Avec Simon Sutour, Benoît Huré et Sylvie Robert, nous nous sommes rendus à La Haye les 5 et 6 mars. Le rapport que nous avons établi vous a été adressé. Je me bornerai en conséquence à vous livrer les principaux enseignements que nous pouvons tirer de ce déplacement. Nos collègues pourront bien sûr intervenir par la suite.
Je tiens d'abord à remercier nos interlocuteurs néerlandais pour la qualité de leur accueil. Nous avons eu des entretiens sur les thèmes de la fiscalité et du Brexit ainsi qu'un contact avec nos compatriotes qui siègent dans les agences européennes Europol et Eurojust.
Le premier constat est celui d'un pays dont la situation économique est très solide, par contraste avec une situation politique encore fragile. Sur le plan économique, les Pays-Bas ont surmonté les effets de la crise économique et financière de 2008. Cela se traduit par une croissance qui devrait atteindre 3,1 % en 2018 et un retour au quasi-plein emploi. Les finances publiques ont été redressées avec désormais un excédent budgétaire. La dette publique est passée sous la barre des 60 % prévue par le Pacte de stabilité et de croissance.
En revanche, la situation politique apparaît fragile. Il a fallu des mois après les élections législatives de mars 2017 pour mettre en place une nouvelle coalition gouvernementale. Celle-ci, pilotée par Mark Rutte, ne dispose que d'une majorité d'un siège à la chambre basse du Parlement.
Deuxième constat : État fondateur, les Pays-Bas ont une vision très pragmatique de l'avenir de l'Union européenne. Ils veulent que celle-ci soit efficace et se concentre sur l'essentiel, à savoir les migrations, la lutte contre le changement climatique et la criminalité transfrontalière. Cette vision s'exprime clairement sur le plan budgétaire.
Leur position est manifestement en retrait par rapport à l'ambition d'une Europe puissance mise en avant par notre groupe de suivi sur la refondation, mais ils rejoignent notre plaidoyer pour une Europe recentrée sur les domaines où elle apporte une réelle plus-value. On peut aussi relever qu'ils ont décidé de participer à la coopération renforcée sur le Parquet européen.
Les Pays-Bas insistent aussi sur le respect des règles et refusent catégoriquement une « Union de transfert » qui les conduirait à financer des États qui n'ont pas mis en oeuvre les réformes structurelles nécessaires pour redresser leur situation. Cela les amène, en l'état, à être réservés sur un approfondissement de l'Union économique et monétaire. Toutefois, le dialogue demeure possible sur des questions concrètes comme l'achèvement de l'Union bancaire ou la création d'un Fonds monétaire européen à partir du mécanisme européen de stabilité. Nos analyses se rejoignent par ailleurs sur le rôle des parlements nationaux, qui doit être renforcé.
Le Brexit constitue un choc pour ce pays, les échanges bilatéraux représentant 10 % du PIB. Un Brexit « dur » pourrait avoir des conséquences très lourdes, d'où la volonté d'en limiter autant que possible les effets et de promouvoir une coopération effective à l'avenir. Soulignons que les Pays-Bas sont restés solidaires des positions défendues jusqu'à présent par l'Union européenne. Ils font d'ailleurs valoir que le Brexit donne une image claire du « coût de la non-Europe ». Le retrait britannique est aussi un défi pour la position des Pays-Bas dans l'Union européenne. Ils perdent en effet un partenaire avec lequel ils étaient en phase sur une majorité de sujets. Souhaitant être « au coeur de l'Europe », ils peuvent avoir un rôle d'entraînement vis-à-vis de pays du nord qui rejoignaient jusqu'à présent les positions britanniques.
Au total, en dépit de divergences réelles, il nous a semblé que les Pays-Bas pouvaient jouer un rôle appréciable pour contribuer à une relance européenne. Dans le contexte politique difficile que traverse l'Italie, ils pourraient, aux côtés du couple franco-allemand, apporter utilement leur éclairage fait de réalisme et de pragmatisme. Ce faisant, ils pourraient rallier des pays plus frileux sur l'approfondissement du projet européen. Les Pays-Bas peuvent faire office de « troisième homme », en complément du couple franco-allemand, après le vide laissé par le départ du Royaume-Uni.
J'en viens maintenant aux questions économiques. Nous sommes arrivés aux Pays-Bas avec deux images en tête : d'une part, celle du nouveau boom économique : plus de 3 % de croissance, un excédent budgétaire et le plein emploi ; d'autre part, celle d'un État membre au « banc des accusés » en matière d'optimisation fiscale, avec le Luxembourg et l'Irlande.
Sur cette question sensible, nous tirons plusieurs enseignements. Tout d'abord, si les Pays-Bas font tout pour ne pas apparaître comme un « paradis fiscal », il demeure évident que l'attractivité est au coeur de leur stratégie, et même de leur identité. L'arme fiscale continuera à y jouer un rôle central. Il convient d'ailleurs de relativiser les inflexions du gouvernement pour deux raisons. La première est que l'écosystème néerlandais favorable aux multinationales est tellement complet qu'il n'a peut-être plus autant besoin de dispositifs fiscaux trop avantageux. La seconde raison est que la stratégie fiscale se déplace. Condamnées par la Cour de justice pour avoir trop favorisé les multinationales, les autorités ont désormais décidé une baisse massive des prélèvements sur l'ensemble des entreprises, qui sera compensée par un alourdissement de la fiscalité sur les ménages et sur l'énergie. Il faut oser prendre de telles mesures, mais la population néerlandaise ne proteste guère, consciente de l'intérêt pour l'économie et l'emploi de soutenir les entreprises.
À propos du prochain cadre financier pluriannuel, nous avons entendu à plusieurs reprises la formule « pas un euro de plus pour l'Union européenne », qui constitue malheureusement l'un des ciments de la coalition gouvernementale. En clair, nos interlocuteurs considèrent qu'il ne serait pas anormal que le budget d'une Europe à 27 soit mécaniquement diminué par rapport à celui d'une Union à 28. En outre, ils souhaitent que les nouveaux besoins - migrations, sécurité, changement climatique - soient financés par un redéploiement à partir de la PAC et de la politique de cohésion. Ils considèrent que l'Union européenne doit se recentrer sur des politiques par essence supranationales. Pour tout le reste, c'est aux États membres de prendre les mesures qui s'imposent pour retrouver des marges, comme l'ont fait les Pays-Bas par les réformes douloureuses menées depuis 2012.
Cet appel à la responsabilité de chacun des États a été encore plus insistant s'agissant de l'avenir de l'Union économique et monétaire.
Nos interlocuteurs nous ont tenu le discours classique « d'un pays du Nord » fermé à toute avancée dès lors que la confiance n'existe plus vis-à-vis de partenaires qui ne respectent pas les règles du pacte de stabilité. Ils ne semblent guère sensibles aux arguments français en la matière.