Intervention de François Molins

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 22 février 2018 : 1ère réunion
Audition de M. François Molins procureur de la république

François Molins, procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris :

Les statistiques ne permettent pas de l'affirmer, mais je pense que c'est le cas.

Dans le travail que nous effectuons sur les points à améliorer, nous nous efforçons de porter un regard critique sur nos pratiques, en particulier en ce qui concerne le parcours des victimes, en partant du schéma de répartition des saisines.

La victime d'un viol ou d'une agression sexuelle se présente dans un commissariat : les choses commencent à se compliquer. La situation diffère selon qu'elle se présente le jour ou la nuit, en semaine ou le week-end. Le protocole consiste à déterminer le service le mieux « armé » pour traiter un tel dossier. Cela implique de recueillir un certain nombre de renseignements. Il est donc important que la victime ait en face d'elle un fonctionnaire déjà formé et compétent pour collecter les renseignements qui seront portés à la connaissance du parquet et qui permettront de déterminer si le dossier reste du ressort du SAIP du commissariat d'arrondissement ou doit être envoyé à la police judiciaire, en fonction de la gravité des faits. Or tous les fonctionnaires ne possèdent pas le même niveau de compétence et l'organisation n'est pas toujours identique d'un commissariat à l'autre. Certaines victimes peuvent ainsi être amenées à rester plusieurs heures dans un commissariat, être entendues plusieurs fois sur les mêmes faits par le même service ou des services différents. Cette situation peut être assez pénible.

Nous avons donc travaillé à améliorer la prise en charge de la victime. Nous avions lancé début 2017 le dispositif de l'évaluation personnalisée des victimes, issu de la loi du 17 août 20152(*). Selon l'article 10-5 du code de procédure pénale, ce dispositif consiste à déterminer si la victime a besoin de mesures spécifiques de protection au cours de la procédure pénale, parce que les faits dont elle a été victime sont très graves ou qu'elle est susceptible de mesures de représailles ou d'intimidation de la part de l'auteur des faits. Nous avions demandé aux services de police de mettre en oeuvre cette mesure : il s'agissait, chaque fois qu'ils allaient voir une victime de faits relativement graves, de nous dire si, d'après eux, elle devait entrer dans ce dispositif. Le cas échéant, nous devions saisir une association d'aide aux victimes pour obtenir cette évaluation personnalisée. Une première évaluation statistique des résultats du dispositif, à la fin de 2017, a fait apparaître entre 30 et 40 retours positifs de la part des services de police parisiens. Je ne les incrimine pas, bien au contraire ! Je pense que le dispositif est passé à côté de la cible et que les policiers ont tant à faire sur des contentieux de masse qu'ils ne sont pas en mesure d'assurer cette détection.

Nous avons donc rectifié le tir et inversé le dispositif. Nous avons constaté que celui-ci « doublonnait » en quelque sorte un dispositif permettant au parquet de saisir directement les associations d'aide aux victimes face à des victimes gravement traumatisées. Nous avons donc fusionné les deux dispositifs. Désormais, les sections de permanence du parquet de Paris saisissent systématiquement le Centre d'information sur les droits des femmes (CIDF) afin d'obtenir une évaluation personnalisée pour toutes les victimes d'infractions criminelles, dès lors que les faits ont été commis au sein du couple. C'est Paris Aide aux victimes qui est saisie en revanche si les faits ont été commis en dehors du couple. Nous avons instauré le même dispositif à l'égard des victimes d'infractions délictuelles particulièrement traumatisées ou exposées à des risques de représailles ou d'intimidation. J'ai adopté ces directives le 20 décembre 2017. Lors de la première évaluation de ce système, fin janvier 2018, près de 70 signalements avaient été adressés au CIDF ou à Paris Aide aux victimes. Aujourd'hui, ce dispositif présente une réelle efficacité et fait « exploser les compteurs » des associations d'aide aux victimes.

Nous avons également oeuvré à une accélération et à une meilleure répartition des saisines afin d'éviter une attente trop longue de la part de la victime. Nous nous sommes donc attachés à identifier les failles dans leur parcours. Dans les commissariats parisiens, les Brigades locales de protection de la famille (BLPF) ne travaillent pas le week-end. Les points de fragilité sont la nuit, le samedi et le dimanche. Nous avons travaillé en premier lieu sur la primo-audition : nous avons donné des instructions pour éviter les auditions multiples et renouvelées. Ces directives ne sont pas encore formalisées, mais nous avons réuni tous les services de police parisiens pour en parler ; le message est en train de passer. Nous insistons sur le fait que la primo-audition n'est pas nécessaire si aucun fonctionnaire présent n'est compétent et n'a pas été formé à cette fin. Elle n'est utile que si elle permet de recueillir suffisamment d'éléments pour appeler le parquet et lui permettre de saisir le service compétent. En tout état de cause, mieux vaut réserver la première audition au service de police qui sera saisi de l'enquête et des investigations plutôt que de procéder à une primo-audition qui ne sera pas concluante.

Il est également impératif que le service de police accueille la victime qui se présente au commissariat. Nous avons en effet constaté des situations dans lesquelles la victime se présentait à un service et, parce que tous les agents étaient occupés, elle était renvoyée chez elle et invitée à revenir plus tard. Nous avons souligné que cette pratique était à proscrire et que les victimes devaient être traitées immédiatement.

Nous avons par ailleurs observé que, chaque année, à Paris, entre 70 et 80 victimes de viol ne portent pas plainte dans un commissariat, mais se présentent directement aux Unités médico-judiciaires (UMJ) ou à l'AP-HP pour un examen médical et pour la réalisation de prélèvements. Or lorsqu'aucune procédure n'est en cours, cet examen n'est pas pris en charge au titre des frais de justice. Certaines victimes peuvent même être renvoyées chez elles, les services de santé ayant refusé d'effectuer les prélèvements au motif qu'ils ne seront pas payés pour cela. Nous travaillons pour que les examens médicaux et les prélèvements soient réalisés même en l'absence de procédure et, si la victime l'accepte, que le service de police en soit avisé. Nous nous engagerons alors à prendre en charge financièrement, au titre des frais de justice, les examens médicaux et prélèvements dès lors que la plainte aura permis d'ouvrir une procédure pénale.

Un travail est mené depuis plusieurs mois sur les classements sans suite. De nombreux dossiers se traduisent par un classement, par exemple lorsque l'auteur n'a pas été identifié (viol sur la voie publique notamment). Autre cas de figure : dans le cadre de dossiers complexes, pour lesquels l'enquête n'a pas permis de recueillir suffisamment d'éléments permettant le renvoi devant la chambre criminelle ou correctionnelle aux fins de condamnation de l'auteur. Dans ces cas, la Chaîne applicative supportant le système d'information orienté procédure pénale et enfants (Cassiopée) édite des imprimés de classement sans suite, extrêmement lapidaires, qui peuvent laisser à la personne le sentiment qu'elle n'a été victime de rien du tout. La notion d'infraction suffisamment caractérisée, par exemple, donne l'impression que le viol n'est pas certain. Nous avons été amenés à adapter ces imprimés au niveau du parquet de Paris.

Désormais, pour les viols, nous n'utilisons plus ces imprimés ; nous établissons un courrier expliquant à la victime qu'après sa plainte, une enquête a eu lieu, mais qu'elle n'a pas permis d'établir suffisamment d'éléments pour renvoyer l'auteur devant la juridiction. Pour autant, ce courrier précise que cela ne signifie pas que la victime n'a pas subi les faits dénoncés. Nous lui indiquons également la possibilité d'être reçue par une association d'aide aux victimes ou un délégué du procureur, voire par un magistrat pour obtenir des précisions sur les motifs du classement.

Un travail sera engagé avec les associations d'aide aux victimes, les assistants sociaux des commissariats et les bureaux d'aide aux victimes du futur Palais de justice de Paris. À compter de notre déménagement dans le nouveau palais, mi-avril 2018, nous disposerons d'un bureau d'aide aux victimes particulier. Paris Aide aux victimes a obtenu des crédits pour embaucher 0,5 équivalent temps plein (ETP) d'assistant social et 0,5 ETP de psychologue. Ce bureau d'aide aux victimes pourra donc amorcer une prise en charge immédiate des victimes les plus gravement traumatisées. Cela permettra aussi d'initier un travail en réseau avec les victimes qui auraient déjà pu être en contact avec des psychologues et assistants sociaux des commissariats.

Enfin, la Section des mineurs travaille sur la problématique des infractions prescrites. Cette section se trouve en effet confrontée à de nombreuses plaintes de personnes qui ont été victimes dans leur enfance de faits particulièrement graves, qu'elles viennent dénoncer alors que l'action publique est éteinte par le fait de la prescription. À Paris, la Section des mineurs et la Brigade des mineurs ont mis en place une pratique spécifique. Dans les cas de prescription, une enquête est menée et peut se poursuivre jusqu'à l'audition du mis en cause, non pas dans le cadre d'une garde à vue (puisque les faits sont prescrits), mais d'une audition libre. L'expérience démontre que les victimes ont besoin de cette parole posée. Il est même possible parfois de parvenir à des confrontations. Il arrive que des aveux surviennent alors que les auteurs savaient que les faits étaient prescrits, et que des lettres d'excuses soient adressées aux victimes. Cela peut contribuer à des phénomènes de restauration des victimes.

Par ailleurs, nous sommes confrontés depuis vingt ans - et la situation ne s'améliore pas - à une pénurie d'experts pédopsychiatres, pour les victimes, et d'experts psychiatres, pour les auteurs.

Quant aux faits de harcèlement, au parquet de Paris, ils peuvent être traités par deux sections différentes selon qu'ils sont commis au travail ou en dehors du travail. Le harcèlement sexuel en dehors du travail est traité par la section chargée de la délinquance sur la voie publique, qui avait notamment traité l'affaire Baupin.

Nous rencontrons les mêmes difficultés pour le harcèlement au travail et le harcèlement en dehors du travail. Elles sont plus grandes dans ce second cas. Souvent, les faits dénoncés sont relativement anciens. Cette difficulté est moins forte dans le cadre du harcèlement au travail, car le cadre professionnel est souvent plus restreint, plus stable, et les personnes se connaissent. Ceci rend plus facile la caractérisation de propos et de comportements qui, par nature, sont étrangers à l'activité professionnelle. Dans le cadre professionnel, on arrive aussi à faire peur. Le parquet de Paris, lorsqu'il envoie la plainte au commissariat, rappelle systématiquement qu'il faut notifier aux témoins les dispositions des articles 225-1-1 et 225-2 du code pénal qui prévoient une peine de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende à l'égard de toute personne qui prononcerait une sanction professionnelle contre une personne qui témoignerait de faits de harcèlement. Je pense que cela peut faciliter la libération de la parole dans un cadre professionnel. Nous recueillons quand même relativement peu de plaintes pour harcèlement sexuel.

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