Intervention de Laurence Rossignol

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 22 février 2018 : 1ère réunion
Audition de M. François Molins procureur de la république

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Merci pour l'expertise que vous avez bien voulu partager avec nous. L'absence de pérennité des dispositifs qui se mettent en place dans les départements constitue effectivement un vrai sujet de préoccupation pour les élus locaux que nous sommes. Conclure une convention consomme beaucoup d'énergie. Or il suffit qu'un acteur change pour que cette convention dépérisse.

Je citerai un exemple sur la diversité des réponses pénales des parquets. La loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel3(*) est très diversement appliquée sur le territoire. Certains parquets s'en sont saisis et en font un excellent usage. Dans d'autres endroits, personne ne mobilise ce texte, alors que cette loi pourrait être utilisée dans des circonstances telles que le harcèlement de rue, par exemple. Certaines gendarmeries y ont d'ailleurs recours dans la lutte contre la prostitution des mineurs.

Je voulais vous faire partager une préoccupation. Actuellement, on ne cesse de chercher le hiatus entre le nombre de faits extrapolé des enquêtes sur les violences sexuelles, le nombre de plaintes et le nombre de condamnations. Face à ces chiffres, il est difficile de dire aux victimes que la justice doit rester leur premier recours. Comment pouvons-nous inciter les victimes à s'adresser à la justice alors que les chiffres eux-mêmes n'entretiennent pas la confiance en la justice ? Comment pouvons-nous lever cette contradiction, d'autant qu'en matière de violences sexuelles, on ne peut pas se contenter de considérer que seuls les faits poursuivis sont vrais ? Nous savons tous en effet que certains faits, bien que vrais, ne sont pas poursuivis. À cet égard, quel est, selon vous, le pourcentage de dénonciations calomnieuses et d'affabulations en matière de violences sexuelles ? On en parle beaucoup. Dans cette société de la délation qui s'instaure, toutes celles qui n'ont pas pu faire reconnaître par la justice les faits qu'elles dénonçaient seraient finalement considérées comme des manipulatrices ou des affabulatrices. Or je suis certaine que tel n'est pas le cas.

Enfin, l'articulation entre la justice pénale et la justice civile en matière de violences conjugales me pose problème. Autant je crois qu'il existe une bonne compréhension des faits en matière pénale, autant la justice civile continue de ne pas prendre en compte la parole de la femme. Je vous conseille d'aller voir le film Jusqu'à la garde. On y voit un personnage de juge aux affaires familiales qui n'entend pas la parole de la femme victime. Comment mieux articuler la connaissance que vous possédez au niveau pénal avec la justice familiale ?

Quant aux commissariats et gendarmeries, il s'agit de mon point de vue d'un problème de volonté politique des ministres. Je n'ai jamais entendu un ministre de l'Intérieur demander aux préfets de faire de la lutte contre les violences faites aux femmes la priorité de l'action des forces de l'ordre, au même titre que les cambriolages ! J'entends toujours que l'on ne va pas solliciter les policiers, qui ont déjà beaucoup de travail avec la sécurité publique, pour traiter des questions de violences faites aux femmes. Je suis convaincue qu'il s'agit d'abord d'un problème de volonté politique.

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