Vous avez abordé le problème de la pérennité des politiques pénales. Je pense qu'il manque aujourd'hui dans ces politiques une dimension d'évaluation. Nous le soulignons depuis près de vingt ans au ministère de la Justice, sans que l'on puisse constater d'évolution notable dans ce domaine. Qui pourrait procéder à ces évaluations ? Aujourd'hui, en principe, ce sont les procureurs généraux qui devraient évaluer ces politiques publiques, mais ils ne le font presque jamais. J'ai connu dans ma carrière quelques procureurs généraux, très minoritaires, qui, avant le départ d'un procureur, effectuaient une inspection du parquet et adressaient au nouveau procureur une lettre de mission pour récapituler la situation du parquet et les axes de politique pénale à conserver, voire à développer. Cette inspection n'est presque jamais réalisée, alors qu'elle entre dans la mission du Procureur général. Ce dernier est en effet en charge de l'animation, de l'évaluation et de la mise en cohérence des politiques pénales de sa cour d'appel. Si cette mission était développée, et accompagnée des moyens nécessaires, je pense que l'efficacité et la pérennité des politiques publiques s'en trouveraient améliorées.
Nous avons recueilli sans doute plus de signalements en matière de violences sexuelles depuis quelques mois. Dans le domaine de la flagrance, nous sommes régulièrement confrontés à des cas d'affabulation concernant des viols dont sont victimes des femmes et de plus en plus d'hommes. Des personnes se présentent dans les commissariats en inventant des agressions. L'objectif est parfois de justifier d'une absence vis-à-vis d'amis, de parents ou de petits amis. D'autres personnes vivent dans ce genre de fantasme. Le phénomène existe, mais il reste marginal.
Je ne veux pas botter en touche, mais la réponse à la question de Mme Rossignol s'avère compliquée. Le parcours judiciaire de la victime ne sera jamais facile. On peut s'attacher à le faciliter, mais il ne sera jamais facile pour autant. La victime, quelle que soit sa crédibilité, va se trouver enfermée dans un schéma procédural dans lequel elle n'aura pas plus de droits que la personne soupçonnée. Cette dernière doit, elle aussi, disposer de certains droits. La victime sera enfermée dans un cadre qui doit satisfaire à une exigence probatoire. Le procureur aussi, même s'il a une vigilance particulière à l'égard des victimes, se trouvera enfermé dans une exigence d'impartialité qui l'amènera à développer toutes les investigations, à charge et à décharge. Je pense que nous ne pourrons jamais garantir aux victimes un parcours facile. Toute parole, dans le cadre d'une procédure, a vocation à être contestée par la personne accusée. On peut néanmoins s'attacher à faire disparaître un certain nombre d'embuches ou d'anomalies qui n'ont pas lieu d'être dans le parcours des victimes. C'est le travail que nous avons essayé de lancer depuis quelques années au parquet de Paris. Nous ne sommes pas encore parvenus au terme de ce processus, qui exige des efforts permanents.
S'agissant de l'âge du consentement, il existe de vraies difficultés. Il existe quand même un précédent en droit français. En effet, l'article 227-25 réprime l'atteinte sexuelle sur un mineur de moins de 15 ans. Il fixe donc un cap. Il faudrait pouvoir en parler de façon plus détaillée, éventuellement avec ma collègue de la Section des mineurs qui vit cette situation au quotidien. Nous distinguons bien les viols sur mineurs selon qu'ils sont commis par des majeurs ou par des mineurs ou de très jeunes majeurs. Il faut garder à l'esprit que le viol renvoie toujours à la nécessité - si l'on se réfère à la définition du code pénal - de déterminer une dimension de violence, contrainte ou surprise. En l'absence de ces critères, il peut y avoir des difficultés. C'est la raison pour laquelle je pense que la fixation d'un âge constituerait la seule façon de sortir de ce débat.
Par rapport au schéma de maturité sexuelle de certains jeunes, l'âge de 15 ans me paraît poser problème. Bien sûr, la loi ne peut pas tout régler et il faut, à l'évidence, faire preuve d'un certain discernement. Vous preniez l'exemple d'une histoire amoureuse entre une jeune fille de 14 ans et un jeune homme de 18 ans et quelques mois. Quelle que soit la loi, ces dossiers excluent une approche trop rigide, sauf à risquer des erreurs. Pour autant, je pense qu'il n'existe pas d'autre solution aujourd'hui que de légiférer dans ce domaine, que ce soit en fixant un âge ou une présomption.