La population enquêtée est représentative. Nous appliquons une pondération à cet échantillon. Une personne enquêtée représente ainsi entre 1 000 et 10 000 individus. Toutes les enquêtes fonctionnent de la sorte. Même à l'Insee, les enquêtes sont réalisées sur 20 000 personnes et les résultats sont fournis pour la population entière. Nous aboutissons par exemple à ces 62 000 victimes de viol ou tentative de viol en multipliant 0,3 % par les 30 millions de femmes que compte la France.
Nous avons comparé ces résultats avec ceux des autres enquêtes. L'enquête ENVEFF estimait l'effectif de victimes de viols et tentatives de viol à 80 000, 0,5 % des personnes ayant subi ces actes au cours des douze derniers mois. L'enquête CVS menée en 2015 concluait à un effectif à peu près similaire pour les femmes. L'enquête Virage donne un chiffre moins important. La différence tient au fait que nous classons nous-mêmes les personnes dans les catégories au lieu de les laisser s'auto-classer. Le chiffre se révèle un peu plus bas pour les viols et les tentatives de viol, mais il est beaucoup plus élevé que dans l'enquête CVS pour les autres agressions sexuelles (attouchements du sexe, des seins, baisers forcés), qui n'étaient pas aussi clairement distinguées des pénétrations de la bouche, du sexe et de l'anus dans l'enquête ENVEFF.
Pour les femmes, toutes agressions sexuelles confondues, nous retrouvons les mêmes ordres de grandeur que dans l'enquête CVS, mais la répartition entre viol et tentative de viol (les crimes) et les autres agressions sexuelles (les délits) est différente. Les chiffres sont donc cohérents entre les deux enquêtes s'agissant des violences sexuelles. En revanche, chez les hommes, les résultats se révèlent très différents. Ils n'étaient pas interrogés dans l'enquête ENVEFF. L'auto-classement dans les catégories « tentative de rapport forcé » ou « rapport forcé » de l'enquête CVS aboutit à un effectif de 10 000 hommes victimes de viol ou de tentative au cours des douze derniers mois. Avec notre mode de classification par les actes finement décrits, le nombre d'hommes classé dans la catégorie « viol et tentative de viol » est dix fois moins important, de l'ordre de 2 200 personnes. Pour les autres agressions sexuelles, en revanche, le nombre est plus important. Cela démontre que lorsque l'on demande aux individus de s'auto-classer, la subjectivité est plus grande ; ainsi, les hommes qui subissent des attouchements du sexe ont plus facilement tendance à déclarer avoir subi un rapport forcé ou une tentative de rapport forcé que les femmes. L'étude Virage se rapproche donc davantage des catégories juridiques.
L'enquête nous fournit également des éléments d'information sur la répétition et la gravité des faits. Pour les attouchements des seins ou des fesses, les baisers forcés et le « pelotage », quatre à cinq femmes sur dix et cinq à six hommes sur dix déclarent que ces faits sont répétés au cours des douze derniers mois. Lorsque nous observons la gravité des faits, 33 % des femmes indiquent que ces faits sont « tous très graves » et 70 % estiment qu'ils sont « assez graves ou très graves ». À l'inverse, 84 % des hommes considèrent ces faits « sans gravité ».
Par ailleurs, les résultats sur les violences sexuelles au cours de la vie permettent d'appréhender les contextes et les âges. La proportion de femmes qui déclarent un viol ou une tentative de viol s'élève à 3 % pour les viols et 2,5 % pour les tentatives. Pour les hommes, la proportion atteint 0,5 % dans les deux cas. Les autres agressions sexuelles (hors harcèlement et exhibitionnisme) touchent 13 % des femmes et 3 % des hommes. Sur l'ensemble des agressions sexuelles identifiées dans l'enquête, le pourcentage atteint 14 % pour les femmes et près de 4 % pour les hommes. Nous constatons donc une nette différence de proportion selon le sexe.
S'agissant des lieux dans lesquels ces faits se produisent, pour les femmes, les violences au cours de la vie surviennent essentiellement dans la famille durant l'enfance (inceste) et dans le cadre du couple pour les viols et tentatives de viol. Pour les hommes, les viols et tentatives de viol ont lieu essentiellement dans la famille, quand ils sont jeunes (inceste).
Pour les autres agressions sexuelles relevant du délit, le panorama se révèle légèrement différent. Elles sont très présentes dans le cadre de la famille pour les femmes, mais aussi avec une forte fréquence dans les espaces publics et c'est aussi le cas pour les hommes. Les crimes se produisent dans l'enfance et dans le couple pour les femmes, dans l'enfance pour les hommes. Les autres agressions sexuelles surviennent dans ces espaces, mais aussi dans les espaces publics. Elles se produisent moins dans le cadre du travail ou des études.
Nous avons par ailleurs identifié, pour chaque contexte, les âges auxquels le premier fait (viol, tentative ou attouchement du sexe) s'est produit. Dans le contexte familial, la première agression sexuelle se produit, dans plus de 80 % des cas, avant 14 ans. Ce premier acte correspond essentiellement à un attouchement du sexe. Les tentatives de viol et les viols surviennent à des âges un peu plus avancés. Nous avons quand même été frappés de constater que les agressions sexuelles dans le cadre familial commencent très tôt, chez les femmes comme chez les hommes. Dans le cadre de la scolarité, les faits se répartissent entre les plus jeunes, les adolescents et les jeunes majeurs. Dans l'espace public, les jeunes filles, mais aussi les jeunes femmes adultes sont concernées dans des proportions quasiment identiques. C'est moins vrai pour les hommes qui sont davantage victimes dans l'espace public lorsqu'ils sont plus jeunes.
Pour les viols et les tentatives de viol, notre enquête comportait une question permettant d'identifier les modes de contrainte exercés sur la victime, les enquêtés pouvant cocher plusieurs des modes proposés. La liste était la suivante : « en profitant de votre jeune âge », « en profitant de votre confiance », « par le chantage affectif ou la culpabilisation », « par le chantage économique », « par la menace ou l'intimidation », « par la force physique », « en vous menaçant avec une arme », « il/elle vous a fait boire de l'alcool ou drogué », « vous étiez sous l'emprise de l'alcool, d'une drogue, de médicaments » et « vous étiez endormi-e ».
Dans le cadre de la famille, le fait d'avoir profité du jeune âge de la victime constitue le mode de contrainte le plus souvent avancé (81 %). Avoir profité de la confiance représente également un motif évoqué par 64 % des victimes. Près de 60 % des personnes ont évoqué le chantage affectif et la culpabilisation et 66 % le chantage économique. La menace ou l'intimidation ne concerne qu'une victime sur deux, la force physique moins d'une victime sur deux (42 %). La menace d'une arme et les phénomènes d'alcoolisation ont été signalés dans 5 à 6 % des cas. Enfin, 13 % des victimes déclarent avoir subi un viol ou une tentative de viol alors qu'elles étaient endormies. Nous pouvons donc observer que la définition du viol pourrait prendre en compte, s'agissant de la notion de contrainte, des situations telles que l'abus de confiance, le chantage affectif et la culpabilisation, le chantage économique, l'intimidation, le fait de profiter du jeune âge, d'autant que nous avons constaté des écarts d'âge énormes entre l'auteur et la victime.
Dans le couple, les modes de contrainte les plus présents vis-à-vis des femmes sont l'abus de confiance et le chantage affectif, puisqu'ils concernent respectivement une victime sur trois et une victime sur deux. La menace et l'intimidation recouvrent la moitié des victimes. La force physique est avancée dans 65 % des cas. Dans des relations entre adultes, nous voyons bien que la force physique intervient davantage. L'utilisation de l'alcool est aussi plus présente, même si elle reste minoritaire dans les modes de contrainte (10-11 %). 15 % des victimes déclarent avoir subi un viol ou une tentative alors qu'elles étaient endormies. Le fait d'être endormi-e pourrait peut-être figurer explicitement dans la législation.
Dans les espaces publics, toujours s'agissant des femmes, dans la majorité des cas, l'auteur est connu de la victime. La contrainte liée à l'abus de confiance et au jeune âge peut donc intervenir, mais c'est plutôt l'usage de la force physique qui est évoqué par une victime sur deux. L'alcoolémie est aussi plus souvent avancée que dans le cadre familial. 20 % des victimes déclarent en effet qu'elles étaient sous l'emprise de l'alcool, d'une drogue ou de médicaments lors des faits. Ces éléments de l'enquête sur les modes de contrainte me semblent particulièrement éclairants, car ils précisent la façon dont le consentement des victimes a été extorqué.
Nous avons fait le même exercice pour les hommes, en nous centrant sur le cadre familial. Les viols et tentatives se révèlent trop peu nombreux dans les autres cadres pour obtenir des résultats significatifs. Comme pour les femmes, le mode de contrainte le plus fréquent dans le cadre intrafamilial consiste à profiter du jeune âge et de la confiance. La force physique n'intervient que dans 24 % des cas. On notera que le fait d'user de la violence physique ou d'utiliser une arme est beaucoup moins fréquent que pour les femmes (0 % contre 6 % pour les femmes, s'agissant de la menace d'une arme). La raison vient du fait que les victimes sont souvent de très jeunes hommes alors qu'il peut s'agir aussi, chez les femmes, d'adolescentes ou de très jeunes adultes.
Dans l'espace de la famille et des relations avec les proches, 85 % des violences débutent avant l'âge de 15 ans. Il existe un ou plusieurs hommes agresseurs pour 94 % des femmes victimes et 75 % des hommes victimes. Les femmes restent minoritaires parmi les auteurs de ces abus. Ce sont des violences répétées pour les deux tiers des personnes victimes.
Concernant les relations conjugales, 73 % des femmes victimes dans le couple déclarent au moins un viol ou une tentative. Là encore, ce sont des actes répétés. Ces violences existent même dans le cadre des relations de couples adolescents. Trois quarts des femmes victimes subissent des viols ou tentatives de viol répétés. La force physique est mentionnée par deux femmes victimes sur trois et la menace par une femme victime sur deux.
Dans les espaces publics, enfin, les situations sont diverses. Ces faits peuvent être commis dans la rue, les transports, le voisinage, mais aussi, plus rarement, dans les contacts avec des professionnels (professionnels de santé, police, etc.). Ces violences se produisent tout au long de la vie, surtout pour les femmes. Les viols, les tentatives de viol et les attouchements du sexe sont plutôt le fait de personnes connues, alors que les autres attouchements et baisers forcés sont commis par des personnes inconnues dans la plupart des cas.
En conclusion, il faut retenir que cette enquête fournit une mesure plus proche des catégories juridiques et des définitions de la violence sexuelle que la plupart des sondages et des autres enquêtes existantes. Elle montre aussi que les violences sexuelles n'ont pas baissé depuis quinze ans. Elle souligne qu'au cours de sa vie, une femme sur sept et un homme sur vingt-cinq sont victimes d'agression sexuelle (hors harcèlement et exhibitionnisme). Le chiffre d'une femme sur deux a été avancé récemment dans le débat public : il est erroné. Néanmoins, les résultats de l'étude Virage montrent que ces violences sont un phénomène massif, qui concerne bien une proportion importante de la population et que les auteurs sont des personnes connues, et non des marginaux. Cela nécessite évidemment de mettre en place des plans de prévention de ces violences, d'accompagnement des victimes et de sanction des auteurs nettement plus ambitieux que ce qui existe aujourd'hui. L'enquête fait enfin ressortir que les femmes sont six fois plus souvent victimes de viols et de tentatives de viol que les hommes, et que ces derniers sont victimes pendant leur jeunesse, alors que les femmes le sont tout au long de la vie et dans tous les espaces de vie.
Je vous remercie de votre attention.