Intervention de Florence Parly

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 février 2018 à 18h00
Loi de programmation militaire 2019-2025 — Audition de Mme Florence Parly ministre des armées

Florence Parly, ministre :

Le temps de la gestion est maintenant terminé. Nous entrons dans l'ère de la construction, de la vision, de l'ambition. J'ai présenté, le 8 février dernier, en conseil des ministres, le présent projet de loi de programmation militaire, qui couvre la période 2019-2025. Ce texte marque le renouveau de nos armées et met fin au grand écart croissant qui pèse sur notre défense depuis tant d'années, avec, d'un côté, des budgets toujours plus contraints, des effectifs toujours plus réduits, des programmes retardés, voire arrêtés et, de l'autre, un besoin et un engagement sans cesse croissants de nos armées, en opérations extérieures comme sur le territoire national. Notre défense a été particulièrement sollicitée au cours des dernières années.

Face à des demandes si opposées et à des signaux si contradictoires, peu auraient tenu. Nos forces armées, elles, ont tenu. Elles ont accompli leur mission. Elles sont intervenues partout où c'était nécessaire, au Sahel, en République centrafricaine, au Levant. Elles ont également réussi à relever le défi de l'opération Sentinelle, pour se battre contre le terrorisme et assurer la sécurité au quotidien de nos concitoyens.

Nos armées ont donc toujours répondu présentes. Elles l'ont fait avec rigueur, efficacité et talent. Je veux à nouveau leur rendre hommage.

Mais ces tendances contraires n'avaient que trop duré. Le Président de la République a donc été extrêmement clair : les armées devaient retrouver les moyens d'accomplir leur mission. Le chef de l'État m'a chargée de lancer une revue stratégique de défense et de sécurité nationale. Ce document, dont les conclusions ont été approuvées en octobre dernier, a permis une analyse fine, précise, de la situation internationale et de l'évolution des conflits.

En bref, le monde dans lequel nous évoluons est imprévisible, plus instable, plus violent. Les conflits ont définitivement changé de visage : ils sont plus déséquilibrés, plus numériques et plus durs. La menace terroriste ne perd rien de son intensité, malgré la défaite de Daech sur le terrain. Les grandes puissances continuent de s'armer et d'affirmer leur autorité par tous les moyens. Les attaques cyber sont de plus en plus nombreuses, plus vastes et plus difficiles à parer.

Dans ce monde et face à ces guerres nouvelles, la France doit tenir son rang. Elle doit faire entendre sa voix. Elle doit être en mesure d'intervenir partout où ses intérêts sont menacés, partout où la stabilité internationale est en jeu. Il fallait une réaction forte et rapide.

Ce projet de loi de programmation militaire a été élaboré dans un délai exceptionnellement court, puisque six mois seulement se sont écoulés depuis le lancement des travaux de programmation et trois mois à peine depuis le dépôt des conclusions de la revue stratégique.

Le texte est désormais entre vos mains et celles de vos collègues députés. Le calendrier, tel qu'il a été fixé, devrait permettre son adoption définitive autour du 14 juillet prochain, cette date ayant évidemment une valeur symbolique très forte. Il se sera alors écoulé moins de dix mois entre la conception et l'adoption du projet de loi ! Par comparaison, ce délai avait été de dix-huit mois pour la LPM 2009-2014 et de quinze mois pour la LPM 2014-2019. Pour parvenir à cet objectif, tous les services du ministère ont été mobilisés.

C'est une loi de programmation de renouveau. Le Président de la République avait fixé un cap clair : consacrer 2 % de notre richesse nationale à l'effort de défense d'ici à 2025. Concrètement, la France investira dans sa défense 198 milliards d'euros entre 2019 et 2023 et 295 milliards d'euros entre 2019 et 2025, période de programmation des besoins couverte par cette LPM.

Ce projet de loi est sincère. Je l'affirme la tête haute et je veux y insister, parce que je tiens beaucoup à cette sincérité. De fait, ce texte ne se fonde que sur des crédits budgétaires « en dur » et ne prend en compte aucune recette exceptionnelle hypothétique, liée à telle ou telle conditionnalité, dont la non-réalisation viendrait perturber l'équilibre de la LPM.

En ce qui concerne la provision pour les opérations extérieures, sujet qui nous a tous beaucoup occupés, je rappelle que son montant, fixé à 450 millions d'euros dans la précédente LPM, s'était avéré extrêmement bas par rapport à la réalité des engagements. C'est la raison pour laquelle, dès la loi de finances pour 2018, nous avons revu cette provision à la hausse, à 650 millions d'euros. Toutefois, il fallait aller plus loin : la LPM prévoit de la porter à 1,1 milliard d'euros dès l'année 2020.

Au-delà de cette augmentation significative, une indication forte de méthode a été inscrite dans la présente LPM, qui prévoit que, si cette provision n'était pas entièrement dépensée, les crédits seraient conservés au bénéfice du ministère des armées. En sens inverse, il est également écrit noir sur blanc que, si son montant devait ne pas suffire, l'éventuel surcoût ferait l'objet d'un financement interministériel. Ces éléments de sincérisation me paraissent importants.

Ce texte marque également une rupture avec les réductions d'effectifs engagées dans le cadre des précédentes lois de programmation militaire, réductions certes interrompues dès 2015, avec une première révision à la hausse, et de premières créations d'emplois en 2016, qui se sont poursuivies en 2018. La LPM 2019-2025 prévoit quant à elle 6 000 créations de postes. Il s'agit donc d'une loi de rupture, avec laquelle nous souhaitons pouvoir cueillir les fruits de la remontée en puissance de nos armées.

Comment avons-nous travaillé ? Nous avons d'abord examiné ce que serait une ambition à l'horizon 2030 pour des armées capables d'agir et de l'emporter sur tous les terrains, face à tous les assauts. Cette ambition a été validée par le Président de la République lors d'un conseil de défense qui s'est tenu au mois de novembre 2017. À partir de cette ambition, qui consiste à disposer d'un modèle d'armée complet et équilibré, capable de remplir ses missions de manière « soutenable » dans la durée - le terme est important -, nous avons travaillé de manière à traiter l'ensemble des fonctions stratégiques de notre outil de défense : la dissuasion, la protection, la connaissance et l'anticipation, la prévention et, bien sûr, l'intervention.

Le projet de loi de programmation se déploie autour de quatre axes. En premier lieu, c'est « une LPM à hauteur d'homme ». Les précédentes LPM se focalisaient principalement sur les gros équipements. Pour ma part, je suis très fière que les femmes et les hommes de nos armées, civils comme militaires, soient placés au coeur de cette loi de programmation. Le premier chapitre leur est consacré, ce n'est pas un hasard, mais une volonté. Il s'agit d'assurer l'amélioration de la condition du personnel, les conditions de vie des familles, des conditions de formation, de préparation opérationnelle et d'entraînement.

Ainsi, nos soldats se verront dotés de nouveaux treillis ignifugés, équipements que nos armées attendent depuis longtemps, sans que les promesses aient jusqu'à présent pu être tenues. 23 000 premiers treillis seront livrés en 2019. 100 % du personnel en OPEX en seront équipés dès 2020, et l'intégralité de nos forces dès 2025. De même, 55 000 gilets pare-balles du dernier standard seront livrés sur la période couverte par la LPM, dont 25 000, soit presque la moitié, dès l'année prochaine. 100 % des militaires de la garde nationale en seront équipés dès 2019. Nous leur devions cette reconnaissance et cette marque de respect.

C'est volontairement que j'insiste sur ces petits équipements, qui font le quotidien des soldats et définissent l'exercice de leur engagement. C'est aussi le déficit de petits équipements qui, trop longtemps, a fait la honte des décideurs publics face à nos armées.

Ce projet de loi de programmation militaire porte aussi un engagement, celui du Plan famille, que je vous ai présenté au mois d'octobre dernier et dont la plupart des mesures entrent en application cette année : places en crèches, prêt spécifique d'aide à l'accès à la propriété, élargissement de l'offre de prestations sociales pendant l'absence en mission... La LPM prolongera le Plan famille, avec 528 millions d'euros pour poursuivre l'effort dans la durée.

Deuxième axe, le renouvellement des capacités opérationnelles. Pour que nos forces puissent agir pleinement et pour garantir le succès de nos opérations, il faut aussi renouveler nos capacités opérationnelles. Équipements étaient vieillissants et parfois devenus inadaptés, impasses capacitaires faisaient planer des dangers sur notre supériorité opérationnelle. Cette LPM répare le présent et prépare l'avenir. Les matériels les plus anciens, particulièrement usés au cours des dernières années en raison de l'intensité de nos engagements, seront les premiers à être remplacés. Le programme Scorpion sera accéléré et 50 % des nouveaux blindés - Griffon, Jaguar ou véhicules blindés multi-rôles légers - seront livrés d'ici à 2025.

La marine nationale recevra de nouveaux sous-marins nucléaires d'attaque ainsi que de nouvelles frégates. Les quatre premiers SNA Barracuda, les trois dernières frégates multi-missions et les deux premières frégates de taille intermédiaire seront livrées d'ici à 2025.

Contrairement à ce que l'on peut lire ici ou là, l'armée de l'air ne sera pas en reste. Dans la période couverte par la LPM, elle connaîtra l'arrivée de 6 drones Reaper armés, du premier système de drone Male européen et d'avions de chasse, en l'occurrence 28 nouveaux Rafale et 55 Mirage 2000D rénovés. L'armée de l'air bénéficiera aussi des 12 premiers avions ravitailleurs de nouvelle génération MRTT, qui étaient très attendus et qui seront livrés d'ici à 2023. Grâce à cette accélération des programmes, nos armées bénéficieront d'équipements plus modernes, plus adaptés, pour combler un certain nombre de manques capacitaires devenus critiques.

En outre, nous avons décidé d'augmenter le nombre des commandes d'avions ravitailleurs, puisque nous allons porter notre cible de 12 à 15. De même, pour la marine nationale, nous avons élevé notre cible de bateaux patrouilleurs de 17 à 19, dont 11 livrés d'ici à 2025, contre 4 dans le schéma antérieur. Là encore, il s'agit de remédier à des situations extrêmement dommageables, en particulier en outre-mer.

Aucune impasse n'a donc été faite et les trois armées verront leurs capacités renforcées et renouvelées. Enfin, ce projet de loi de programmation militaire respecte un autre engagement du Président de la République, puisqu'il lance le renouvellement des deux composantes de notre dissuasion nucléaire.

Le troisième axe du texte consiste à garantir notre autonomie stratégique et à faire émerger une autonomie stratégique européenne. Garantir notre autonomie stratégique, c'est s'assurer que la France fera toujours entendre sa voix et sera capable de l'emporter quel que soit le terrain, l'adversaire ou les conditions.

Pour anticiper les menaces et les évolutions géopolitiques, nous faisons porter prioritairement nos efforts sur le renseignement. Ainsi, nous avons prévu que 1 500 nouveaux postes, sur les 6 000 que j'ai annoncés tout à l'heure, seraient créés au profit des services de renseignement, et nous investirons en faveur de celui-ci 4,6 milliards d'euros au cours de la période. Ces investissements se traduiront par des drones, des avions de guerre électronique ou encore des satellites.

Avec cette LPM, nous serons également efficaces sur les nouveaux terrains, tels que la lutte dans le cyberespace. Pour ce faire, nous avons prévu d'investir 1,6 milliard d'euros et de recruter plus de 1 000 cybercombattants supplémentaires d'ici à 2025. Le renseignement et la lutte cyber sont deux priorités très marquées, aussi bien en effectifs qu'en investissements.

La France est la plus grande armée d'Europe. Elle est la deuxième armée du monde libre. Avec cette LPM, la France conforte sa place. C'était une nécessité. Cependant, nos voisins européens sont confrontés aux mêmes menaces et aux mêmes dangers que nous. Forts de notre position de leader en Europe, nous pourrons, grâce à cette LPM, porter des coopérations autour de projets stratégiques à dimension européenne. Je pense à notre politique spatiale ou à notre groupe aéronaval. Ces éléments différenciants doivent permettre d'attirer des partenariats de la part de nos alliés.

L'Europe ne se construira pas sur de bonnes intentions et à coup de traités, de directives ou de règlements, mais autour de projets et de coopérations très concrètes, militaires, industrielles,... C'est ce que nous avons évoqué au cours de la conférence de Munich le week-end dernier. La notion d'autonomie stratégique européenne ne peut pas être un concept : elle doit se construire par l'exemple !

Ce projet de loi de programmation militaire comporte un certain nombre d'éléments différenciants. Par exemple, nous avons prévu des crédits pour financer des études en faveur d'un nouveau porte-avions. De tels éléments doivent favoriser l'émergence d'une autonomie stratégique, non seulement française, mais aussi européenne.

Quatrième axe, l'innovation. Ce n'est pas un sujet gadget ni un supplément d'âme, mais une nécessité absolue au moment où le numérique est partout et change les usages et les modes de combats. Il faut absolument prendre en compte cet enjeu.

Beaucoup a été fait au cours des derniers mois, mais ce n'est qu'un début. Je pense en particulier au fonds Definvest, que nous avons créé en lien avec Bpifrance et la direction générale de l'armement, la DGA. Nous avons aussi lancé des partenariats d'innovation, comme le partenariat Artemis.

Le présent projet de loi va accélérer ce mouvement. L'accent a été fortement mis sur la recherche et le développement. Dans la loi de finances pour 2018, les crédits consacrés aux études et à l'innovation s'élevaient à 730 millions d'euros. Ils passeront à 1 milliard d'euros dès 2022, soit une augmentation de près d'un tiers. Nous allons également prévoir des crédits importants pour préparer les grands programmes d'armement qui structureront les trente ou quarante prochaines années : 1,8 milliard d'euros par an en moyenne seront alloués aux études, pour concevoir aussi bien le successeur du porte-avions Charles-de-Gaulle que le futur char de combat ou le système de combat aérien du futur.

Cette LPM n'est pas seulement un texte de sincérité ou d'ambition : elle est aussi un texte de responsabilité. En effet, comme l'a déclaré le Président de la République lors de ses voeux aux armées, si la Nation consent à accorder des moyens exceptionnels à nos armées, nous devons nous montrer à la hauteur et garantir que chaque euro investi sera bien employé.

Pour ce faire, il faut aussi que le ministère des armées poursuive sa modernisation. Le terme « modernisation » s'inscrit dans un contexte très différent de celui dans lequel il était précédemment utilisé. Les précédentes LPM traduisaient une modernisation sous contrainte. Cette fois, la modernisation est choisie et voulue. Cela change profondément le sens des 14 chantiers sont inscrits dans le Plan action publique 2022, visant à poursuivre la transformation et la modernisation du ministère. La DGA sera transformée pour conduire plus efficacement les programmes d'armement au service de nos armées, nous permettre d'innover davantage et plus vite, renforcer la coopération internationale, en particulier européenne, en matière d'équipement, qu'il s'agisse, d'ailleurs, de coopération ou d'exportation.

Nous allons également créer une direction générale du numérique, qui veillera à la numérisation de l'ensemble de notre ministère, et nous mènerons jusqu'au bout la réforme du maintien en condition opérationnelle aéronautique, que j'ai eu l'occasion de présenter voilà quelques semaines. Nous lancerons également la réforme du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres. La LPM 2019-2025 marque une remontée en puissance. J'aborde l'examen de ce projet de loi avec beaucoup de confiance, mais aussi d'enthousiasme. Et je connais l'engagement et la volonté de votre commission pour assurer l'avenir de notre défense.

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