Intervention de Eric Trappier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 21 février 2018 à 9h35
Loi de programmation militaire 2019-2025 — Audition de M. Eric Trappier président du conseil des industries de défense françaises cidef

Eric Trappier, président du Conseil des industries de défense françaises (CIDEF) :

Tout d'abord, y a-t-il des trous dans la LPM ? Il est difficile d'y répondre, car l'exhaustivité est délicate, et ce n'est pas un exercice qui nous est demandé.

On a identifié que, pour les hélicoptères, les choses allaient lentement. L'hélicoptère léger a été décalé. C'est un sujet de préoccupation, mais cela fait partie des équilibres qui ont été décidés et que l'on respecte.

On constate aussi le remplacement de matériels terrestres. Des choix ont été opérés dans un certain nombre de domaines.

Dans la marine, les frégates légères devront être développées. Le plus gros enjeu portera cependant sur le renouvellement de la dissuasion et la poursuite à venir des livraisons de sous-marins nucléaires d'attaque (SNA), qui sont liés en termes de préparation de l'avenir.

Ces enjeux vont « driver » la filière. Dans le domaine aéronautique, on est dans le rattrapage des décalages, des ravitailleurs, des livraisons de certains types d'appareils dont l'A400M.

Il faut insister sur ce qu'a dit le sénateur Perrin : la DARPA draine des milliards, alors que nous nous satisfaisons d'un milliard d'euros pour tout le monde, et encore, avec une montée en puissance qu'il va falloir surveiller pour arriver à des chiffres ronds. La France ayant moins d'argent, il nous faut être plus intelligent.

Nous sommes capables d'être bien meilleurs que les Américains, je veux le dire haut et fort, non pas en termes de volumes - car les États-Unis nous surclassent - mais en termes d'efficacité.

Le nEURON est, de ce point de vue, un bon exemple. Il est réalisé par six pays européens, et leurs industriels sous maitrise d'oeuvre Dassault Aviation. Environ 400 millions d'euros, dont 200 millions d'euros pour la France, ont été nécessaires pour réaliser un drone de combat furtif, apprécié par la DGA. Les Américains, pour un modèle identique, auraient dépensé au minimum dix fois plus.

Il faut en effet, de ce point de vue, réconcilier la percée technologique avec les capacités militaires de demain. Or le drone de combat ne remplacera pas les avions de combat. Les deux sont complémentaires. La France doit donc être fière de ce qu'elle est capable de faire - et c'est vrai d'un grand nombre d'équipements où l'on sait être efficace. C'est pourquoi, dans le cadre de coopération, il ne faut pas que la méthode de coopération se retourne contre notre efficacité industrielle. D'où l'importance qu'elle repose sur des règles claires fondées sur l'optimisation des compétences dans le cadre d'une maîtrise d'oeuvre légitime fondée sur les savoir-faire et la capitalisation des expériences.

L'espace est un sujet de préoccupations qui n'est pas seulement lié au militaire.

La dissuasion nucléaire oblige à préparer la future génération de missiles qui est en cours. L'inquiétude que peuvent avoir les Européens, les Français étant un peu petits pour répondre à ces problématiques, concerne l'accès à l'espace par le biais de lanceurs traditionnels, voire de lanceurs qui permettent d'abaisser les coûts en réutilisant un certain nombre d'étages de propulsion, possibilité que vient de démontrer Space X. J'aimerais bien qu'on le fasse aussi en France. On a pour ce faire une génération à préparer.

Les Chinois investissent également énormément dans l'espace. Américains et Chinois préparent le suborbital, avec des avions capables d'aller dans un premier temps nettoyer l'espace de tous les déchets qui s'y trouvent et, dans un second temps, de prendre possession d'un satellite par exemple, ce qui n'est pas une bonne chose pour ceux qui l'ont lancé.

Cette bataille est en train de s'engager, et je pense que la France ne peut répondre seule à ce sujet. Or, l'Europe est très divisée en la matière : les Italiens ont leur logique, les Allemands la leur. Les français également. C'est à l'Agence Spatiale Européenne de mener les réflexions.

La course aux satellites est aussi fondamentale. En France, Thales et Airbus sont les deux grands industriels capables de concevoir, chacun de leur côté ou ensemble, des satellites qui répondent à des problématiques de surveillance environnementale ou militaire.

Il est fondamental que ces filières soient alimentées par des programmes et des développements futurs. Là aussi, les démonstrateurs seront les bienvenus.

Pour ce qui est du Rafale, les 28 avions dont vous avez parlé ont été décalés par la précédente LPM. L'armée de l'air en avait besoin, la marine ayant été pratiquement servie en totalité. Ce décalage a été réalisé pour des raisons purement budgétaires. Le pari de l'export a été fait et tenu. Il faut s'en réjouir parce que vous savez que l'on ne peut s'arrêter de produire pour recommencer trois ou quatre ans après.

On retrouve ces 28 avions dans la LPM. On nous a demandé de ne reprendre les livraisons qu'à partir de 2022, ce qui ne nous pose pas de problème dans la mesure où les exportations actuelles courent jusqu'à 2021.

À partir de 2022, en l'absence d'exportations nouvelles, il nous faudrait livrer, à cadence 1, les 28 avions et les 30 avions complémentaires annoncés comme faisant partie de la vision 2030, qui feront l'objet d'une commande autour de 2023 pour aller vers le format souhaité de 225 avions demandés par les militaires.

Ce ne sont pas les industriels qui ont voulu exporter au détriment de la livraison aux armées françaises, mais bien le pouvoir politique français qui a décidé un décalage pour des raisons budgétaires. Les militaires nous reprochent de servir l'exportation avant eux. Nous n'y pouvons cependant rien. Si on nous demande de servir les Français en premier, on sera les plus heureux du monde. Dans le domaine de la défense, on existe d'abord pour fournir ce que nous produisons à nos forces armées.

Ceci nous permet d'équilibrer les choses de façon compétitive - car il faut rappeler que les matériels français sont compétitifs. Un Rafale, fabriqué à 200 ou 300 exemplaires après exportation, est moins cher qu'un F-35, fabriqué à plus de 4 000 exemplaires !

S'agissant de la coopération européenne, dans un certain nombre de domaines, comme le nEURON, il s'agit d'une préfiguration de ce qu'on peut faire en Europe.

La volonté du Président de la République est d'abord d'établir une feuille de route pour 2018 avec l'Allemagne. Il va nous falloir travailler avec la nouvelle coalition qui devrait prochainement se mettre en place et savoir comment elle conçoit le sujet, du futur système de combat aérien, particulièrement stratégique pour l'avenir de l'autonomie européenne.

Deuxièmement, les allemands ont envie d'alimenter en priorité leur industrie, comme tout pays souhaite le faire. Attention cependant que la pression qui pourrait être mise ne soit pas contraire avec l'absolue nécessité d'une coopération efficace et compétitive que j'évoquais tout à l'heure.

Troisièmement, si l'on veut réaliser des produits qui comblent les besoins des armées, tant l'armée française que le marché de l'exportation, il faut fabriquer des matériels performants et compétitifs. La compétence de la future équipe franco-allemande doit être bien identifiée, afin qu'elle soit capable de réaliser ce type de développement ambitieux.

On avait commencé une coopération entre Français et Britanniques, car il faut reconnaître que, d'un point de vue des capacités militaires, technologiques et industrielles les Britanniques sont plus avancés que les Allemands dans le domaine de l'aéronautique de combat. C'est pourquoi ce rapprochement avait été organisé pour les drones de combat dans le cadre de Lancaster House. On va devoir changer notre fusil d'épaule. Il ne faudrait toutefois pas qu'on ait à recommencer de tels changements...Je vous rappelle que notre industrie est une industrie de hautes technologies qui a besoin de stabilité et de durée.

Il faut que ces engagements se fassent sur du très long terme et résistent à tout ce qui peut arriver, qu'il s'agisse d'élections, qui sont récurrentes, mais aussi d'événements comme le Brexit.

Oui, il faut faire ce que l'on peut entre Européens, dans le cadre de règles qui assurent la puissance et la compétitivité.

Dassault Aviation a entamé des discussions avec Airbus dans le cadre des annonces faites lors du sommet Franco-Allemand du 13 juillet. Antérieurement nous avons travaillé durant dix ans avec BAE Systems. La France a réitéré, à plusieurs reprises sa volonté de réaliser des démonstrateurs de drones de combat (UCAV). Il avait été décidé par les deux gouvernements français et Britanniques du lancement d'un démonstrateur opérationnel à la fin de l'année dernière. Ce lancement n'est pas venu pour les raisons que vous avez identifiées. Les industriels outre-Manche poussent pour poursuivre cette coopération avec les Français. L'impulsion politique qui existait du temps des travaillistes et qui s'est poursuivie avec les conservateurs a été fortement freinée par le Brexit.

Je pense que la volonté britannique est de rester arrimée au continent européen et en particulier aux Français, un certain questionnement se faisant toutefois jour actuellement. Je crois qu'il faut essayer de conserver ce lien à la fois opérationnel et industriel avec nos amis Britanniques.

D'autres pays réalisent-ils des UCAV ? C'est le cas de la Chine. Quand tout le monde en fera, l'Europe devra alors se résoudre à acheter sur étagère aux Etats-Unis. Ce serait une défaite technologique et capacitaire alors que nous possédons les compétences nécessaires pour le réaliser comme l'illustre le nEUROn.

Je pense qu'il est nécessaire de lancer un tel projet. Cette réalisation ne doit pas être opposée aux avions de combat, ni considérée comme un grand système. On a attendu le dernier moment pour dire qu'on avait besoin de drones de surveillance et on en a acheté sur étagère aux Américains parce que nous n'avions pas pris la décision de le lancer. D'où l'initiative prise il y a deux ans de réaliser un drone de surveillance à quatre Européens, voire peut-être plus demain. Cela intervient cependant tardivement alors que tant le Reaper américain et que le Heron israélien se sont imposés dans nombre de pays européens.

Il faut savoir anticiper et trouver des partenaires. Les Allemands y sont peut-être prêts, les Anglais vont peut-être y venir. Je pense toutefois qu'il faut le faire prioritairement dans le cadre d'une coopération européenne.

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