Cette commission d'enquête a, d'une part, été créée à la suite d'une vague de suicides, tant dans la Police que, dans une moindre mesure, dans la Gendarmerie et, d'autre part, en raison du mouvement de colère des policiers de l'année passée qui a même débordé leur représentation syndicale. Comment expliquez-vous l'absence de mouvements analogues chez les Gendarmes, même si leurs épouses se sont exprimées ? Mon général, quelles sont, selon vous, les causes à l'origine du malaise des forces de sécurité intérieure ? Sur la dimension sociale, où en est-on de l'application du protocole social parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR) du 11 avril 2016 ? Quelles sont les conséquences actuelles et à venir de la transposition des directives sur le temps de repos, notamment en termes d'effectifs ? Ces mesures impliqueront-elles un nombre supérieur aux 2 500 d'emplois équivalents temps plein (ETP) supplémentaires qui vous ont été promis ? La nouvelle police de sécurité du quotidien (PSQ) risque ainsi d'être mise en oeuvre à moyens constants, sinon réduits, alors que les politiques partenariales, qui en résultent, exigent davantage de personnels.
Sur les moyens et les conditions de vie, puisque les familles sont logées en caserne, pourriez-vous nous donner votre estimation des moyens à allouer à la rénovation convenable du parc immobilier ? À cet égard, le rythme des investissements de l'exercice 2018 vous paraît-il satisfaisant ? À ce rythme, quelle serait la durée nécessaire pour assurer la rénovation, tant du parc immobilier que de celui des véhicules, qu'il s'agisse des véhicules courants, des blindés ou encore des hélicoptères ? Il nous faut mesurer l'effort que doit faire la Nation pour assurer aux forces de sécurité les conditions simplement convenables de l'exercice de leurs missions. S'agissant de la procédure pénale, les chantiers de la justice semblent s'orienter vers sa dématérialisation progressive. Une telle démarche vous paraît-elle de nature à libérer suffisamment d'ETP?
Général Richard Lizurey. - L'état de la Gendarmerie nationale semble a priori favorable. Derrière cette image d'Épinal, il ne faut pas pour autant mésestimer certains signes de mécontentement, suscités notamment par le sentiment d'un décrochage des moyens et d'une moindre reconnaissance. L'esprit de corps et la cohésion de la Maison transcendent néanmoins ces difficultés : le souci du gendarme est de s'adapter avec les moyens dont il dispose pour répondre aux besoins de la population. Les hommes et les femmes de la Maison ont le sens du service chevillé au corps et ce n'est qu'en cas d'extrême nécessité qu'émergent des mouvements collectifs, comme en 1989 et 2001. Ainsi, dans les brigades territoriales qui disposent d'un véhicule au kilométrage conséquent pour quinze personnels, les gendarmes peuvent éprouver de réelles difficultés, qu'ils compensent bien souvent par un engagement personnel et une disponibilité exceptionnels.
En 2017, la Gendarmerie a connu dix-sept suicides. Or, depuis le début de 2018, huit suicides et cinq tentatives ont été enregistrés. Cette tendance est inquiétante et c'est la raison pour laquelle je vais réunir, avant la fin de la semaine, la commission nationale de prévention afin de dresser un état des lieux et d'améliorer le dispositif de prévention qui associe trente-trois référents-psychologues, détachés au niveau des régions ou placés au niveau central, qui accompagnent les gendarmes lors d'événements traumatiques, comme les agressions de gendarmes ou les accidents très lourds, à l'instar de celui de Millas. L'année dernière, 15 000 personnels ont ainsi été pris en charge. Le suicide est un acte complexe qui mêle vies privée et professionnelle. Parfois, le centre de gravité peut être personnel, mais l'accès à l'arme de service facilite cet acte.
Depuis l'affaire de Magnanville, les gendarmes peuvent-ils garder sur eux leur arme de service ?
Général Richard Lizurey. - Absolument : 25 000 gendarmes ont reçu l'autorisation de porter leur arme en civil, au même titre que leurs camarades de la police nationale. Cependant, les gendarmes qui se suicident le font plutôt dans la caserne ou au bureau ; ce qui témoigne du lien affectif avec l'environnement professionnel. Le commandement, la vie en caserne et la cohésion du corps permettent d'assurer un contrôle social et d'identifier les éventuels signes de faiblesse. Malheureusement, nous n'avons pas été en mesure, depuis le début de cette année, d'empêcher le passage à l'acte de sept de nos camarades.
La prévention du suicide doit également être prise en compte dès la formation. Désormais, nos personnels sont initialement formés à la confrontation à la mort pour favoriser leur résilience face aux événements traumatiques qu'ils peuvent rencontrer durant leur carrière. Les gendarmes n'étaient pas, jusqu'à présent, formés à l'annonce du décès de personnes à leurs proches ; tâche difficile dont ils s'acquittent généralement avec le maire et qui laisse toujours une trace. Mieux formés, nos personnels doivent avoir moins peur d'être confrontés à la mort et être plus en mesure d'échanger sur elle.
La hiérarchie, qui doit être à l'écoute, bénéficie également d'une formation continue sur ces thématiques : le chef doit être conscient de toutes les difficultés que connaissent ses subordonnés. Notre structure militaire dispose de mécanismes de concertation qui ont également un rôle à jouer. Nous allons ainsi développer la formation initiale à l'accompagnement et à l'écoute au sein de l'école des officiers de la gendarmerie nationale et des formations continues destinées aux commandements de compagnie et de brigade. L'accompagnement des personnels est indissociable du commandement et nourrit cet esprit de corps propre à la gendarmerie.
Cette démarche va également être déclinée à l'échelle de la concertation. Le dispositif élaboré par mon prédécesseur, le général Favier, était visionnaire : en assurant l'élection des conseillers jusqu'au niveau central, les personnels élus font preuve d'un esprit constructif et doivent être associés à cette démarche de prévention des suicides. Si les facteurs de vulnérabilité individuelle sont toujours présents, la manière d'y répondre de la gendarmerie est collective ; le nombre de suicides depuis le début de cette année nous incitant à améliorer le dispositif existant.
L'application du PPCR pose la question du respect de la parole donnée. Certes, le décalage d'un an concerne la totalité de la fonction publique et participe de la régulation budgétaire : ce n'est pas un sujet. En revanche, d'autres mesures du protocole du 11 avril 2016, qui ne relèvent pas du PPCR, font l'objet de nouvelles discussions qui tendent à remettre en cause leur légitimité. Le Gendarme considère, à juste titre, qu'il s'agit d'un engagement de l'État et une forme de respect de la parole donnée. Certains signaux négatifs m'alertent à ce sujet. De telles vicissitudes ne sont pas sans nourrir la défiance du gendarme à l'égard des autres administrations. Il me paraissait important d'alerter la Représentation nationale sur ce point.
La directive « temps de travail » a conduit à la diffusion, depuis le 1er septembre 2016, d'une instruction provisoire accordant à chaque gendarme les onze heures de repos physiologiques journaliers par tranches de vingt-quatre heures. Cette mesure a induit une baisse capacitaire de l'ordre de 5,5 % des effectifs pour la gendarmerie implantée dans les départements, et une baisse plus minime chez les gendarmes mobiles. Nous avons désormais absorbé cette baisse capacitaire effective depuis plus de dix-mois. L'Inspection générale de l'administration (IGA) a estimé cette baisse à quelques 3.500-4.000 ETP que nous comptons rattraper par d'autres moyens, comme l'utilisation de nouvelles technologies et la réorganisation de certains services. Le Président de la République a indiqué qu'il n'était pas souhaitable de mettre en oeuvre comme durée maximale de travail hebdomadaire les 48 heures prévues par la directive « temps de travail » ; aucun gendarme, d'ailleurs, ne le demande. Les effets de la directive temps de travail sont ainsi intégrés dans le service et les 2 500 ETP prévus ne permettront pas de compenser la baisse capacitaire qu'elle induit.
La police de sécurité du quotidien (PSQ) implique de redonner l'initiative au terrain. La valorisation de la fonction contact vise à renouer avec la relation personnelle et affective des Gendarmes d'antan avec leur voisinage, alors que l'impératif de technicité a primé pendant des années, au détriment des relations avec la population. Si nous sommes désormais en mesure de répondre à tout incident en moins de quatorze minutes, nous avons oublié l'humain. La PSQ permet ainsi aux maires d'avoir un référent gendarmerie qui l'informe des événements se déroulant dans sa commune.
Dans le cadre actuel, pensez-vous dégager des disponibilités suffisantes pour répondre à cet objectif ?