Intervention de Diaryatou Bah

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 8 février 2018 : 1ère réunion
Table ronde sur les mutilations sexuelles féminines

Diaryatou Bah, auteure de On m'a volé mon enfance :

Je témoignerai de la difficulté de dénoncer les coutumes et traditions, mais également d'être militante et de porter la voix de toutes ces personnes qui ne pourront être là pour s'exprimer. Il n'est pas facile de bousculer les lignes dans nos familles. Mon livre est paru en 2006. Dans mon histoire, j'ai tenté d'expliquer quelles étaient les coutumes, les traditions et la pratique de l'excision. Je suis originaire d'une grande famille de Guinée. Mon père a quatre femmes et trente-deux enfants. À l'âge de quatre ans, j'ai habité chez ma grand-mère, qui m'a élevée jusqu'à mes dix ans. J'explique souvent le quotidien des femmes de ce village, ainsi que leur courage. C'est elles qui portent l'éducation et les coutumes. Ce faisant, elles répètent ce qu'elles ont vécu, et cela se reproduit de génération en génération. Ma grand-mère a été mariée deux fois. Chez nous, les hommes peuvent répudier les femmes quand ils le veulent. L'excision fait aussi partie de ce phénomène de contrôle des femmes dans leur sexualité. Un homme peut prendre quatre ou cinq femmes, et les répudier quand il n'en veut plus. Puis il peut en épouser d'autres et ainsi de suite. Je vous raconte cela pour que vous compreniez le contexte familial, ainsi que la pression qui pèse sur les femmes pour faire plaisir aux hommes. C'est très important de le souligner et de le dire.

Ma mère a été mariée, elle aussi, à l'âge de douze ans avec mon père, qui avait appris le Coran chez mes grands-parents. Ils lui ont alors donné ma mère en mariage. Je suis née deux ans après ma soeur. Ma mère, qui ne pouvait pas nous élever en même temps, m'a confiée à ma grand-mère.

Comme toutes les petites filles de mon village, j'ai été excisée à l'âge de huit ans. J'en entendais parler. J'entendais des filles revenir en criant et pleurant, sans pouvoir marcher, mais je ne me posais pas de question. Je savais que j'allais être excisée. Ma grand-mère repoussait souvent la date. Peut-être avait-elle peur de quelque chose, mais sans me le dire. À l'âge de huit ans, on m'a demandé d'accompagner dans la nature une dame qui était venue voir ma grand-mère. Je ne savais pas ce qui m'arrivait. On m'avait juste vêtue d'un pagne rouge. Quand je suis arrivée, d'autres femmes m'attendaient. Je me suis retrouvée par terre avec ces femmes. Elles m'ont tenu les pieds et les mains. On m'a excisée avec un couteau qui avait déjà servi pour d'autres filles. Cette dame passait de village en village, et était payée avec des sacs de riz. Comme je le dis souvent, le cri que j'ai poussé ce jour-là résonne encore en moi, c'est un cri que je ne pourrai jamais oublier, et je pense que c'est le cri que des milliers de femmes dans le monde ont poussé ou poussent encore lors de l'excision. La douleur était telle que je ne pouvais même pas me relever. C'est ma grand-mère qui me tenait pour que je puisse marcher. Je marchais avec les pieds écartés. J'ai été soignée avec de l'eau chaude pendant un mois, et avec les « médicaments » de la nature : il n'y avait pas de médecin, il n'y avait rien. Ensuite, une cérémonie a eu lieu, au cours de laquelle des chants et danses ont retenti. Pour eux, le rituel qui se répétait de fillette en fillette avait été accompli.

Après l'excision, c'est le mariage qui attend les filles, mariage forcé, ou mariage arrangé. En ce qui me concerne, je dis souvent que c'est un mariage forcé car à douze ans, une fille ne connaît pas la vie. Elle sait encore moins ce que sont l'amour ou le mariage.

Ma grand-mère est décédée lorsque j'avais dix ans. Je suis alors retournée à Conakry, dans cette grande famille où je n'avais pas ma place. Ma mère, qui était la quatrième épouse, avait presque le même âge que les enfants de mon père. Elle était perçue comme une bonne dans cette famille. Elle lavait les assiettes des autres femmes, et toutes ces sortes de choses. J'ai commencé l'école à l'âge de dix ans, et ce jusqu'à l'âge de quatorze ans. L'étape suivante était celle du mariage, ce qui suppose, et c'est encore plus important, la virginité de l'épouse. Il ne faut pas parler à un homme, pas coucher avec un homme, mais nous les femmes, nous ne savons pas pourquoi. La sexualité est tue. Dans nos pays, on excise les petites filles car on ne verbalise rien. On pense que l'excision permettra de contrôler le corps et la sexualité des femmes, alors que seule l'éducation peut faire cet office.

À l'âge de treize ans et demi, un homme a demandé ma main à mes parents en expliquant qu'il travaillait en Europe, et qu'il comptait m'y m'emmener. Il disait que s'il m'épousait, tout irait bien pour ma famille. Ma mère, qui avait subi tant de violences dans cette famille, a considéré qu'elle avait là l'occasion de soustraire sa fille au même sort. Elle pensait qu'en Europe, tout irait mieux. Elle ne pensait pas que j'allais vivre avec le mal.

Je suis arrivée en Hollande avec un visa de tourisme. Cet homme n'était pas là, mais appelait de temps en temps. Nous avons fait le mariage religieux. Cet homme avait quarante-cinq ans, j'en avais quatorze. J'ai subi un viol, puisque je ne connaissais rien à la sexualité. Je n'entrerai pas dans les détails. J'ai fait trois fausses couches, dont l'une à quatre mois. Je ne savais même pas que j'étais enceinte. J'ai perdu un enfant à la naissance. Je ne parlais pas la langue, je n'avais pas de papiers. J'étais clandestine. Cet homme me mentait, me battait et m'enfermait de jour en jour dans un quotidien de violence.

Je suis venue en France avec cet homme, que j'ai quitté à l'âge de dix-sept ans et demi grâce à une émission de télévision. Je comprenais un peu le français, même si je ne savais ni lire ni écrire. J'ai vu des femmes, notamment une jeune femme d'origine marocaine, qui expliquait comment elle avait pu sortir de cette vie. Elle a donné les noms des associations et indiqué qu'il y avait des assistantes sociales. Je suis passée tous les jours devant la mairie des Lilas, mais je ne savais pas que c'était la mairie. Ensuite, j'y suis allée grâce à ma voisine, qui m'a expliqué qu'il existait des associations là-bas, à la mairie. Je suis donc allée chercher de l'aide auprès des assistantes sociales.

Par la suite, mon parcours a été de longue haleine. J'ai dû, comme d'autres victimes, revenir sur mon passé et en parler partout. J'ai dû raconter mon histoire à plusieurs reprises, ce qui est le plus difficile si on n'a pas fait de travail sur soi-même. Pourtant, on peut ne pas en vouloir aux parents. Ce sont les coutumes et les traditions qu'il faut incriminer. Il faut attaquer le mal à la racine ! Nous nous heurtons dans ce combat au relativisme culturel, qui explique que tout ceci est normal, puisque c'est culturel. Le tout est mélangé à la religion, ce qui nous aide encore moins. Tout le monde a appris avec l'imam, qui nous dit que si nous continuons à pratiquer ces coutumes, nous irons au paradis. Il dit que c'est comme cela, et pas autrement...

Aujourd'hui, après être sortie de tout ce parcours, après avoir achevé ma reconstruction et retrouvé mon identité, qui avait été falsifiée, j'ai dû subir une opération pour perdre du poids. J'ai pesé plus de 150 kilos. Il a fallu que je puisse refaire confiance aux hommes pour avoir un enfant. Aujourd'hui, j'ai une petite fille. C'est aussi pour elle que je me bats contre l'excision. Je veux qu'elle connaisse son origine et son identité, qu'elle retourne en Guinée, mais je sais aussi que j'aurai un combat à mener pour qu'elle ne soit pas excisée. Je milite dans différentes associations pour continuer ce combat, notamment le Gams, Excision parlons-en ! et Ni putes ni soumises. Je m'identifie à toutes les femmes présentes dans cette salle, mes soeurs de combat, qui m'ont transmis le flambeau. Je veux rendre tout ce qu'on m'a donné. C'est pour cela que j'en parle aujourd'hui. Je ne cesserai pas de parler, pour que l'excision cesse. Avec Excision parlons-en !, je participerai dans les lycées et les collèges à la campagne dont a parlé Isabelle Gillette-Faye. Nous allons essayer de sensibiliser chacun afin que les petites filles ne soient plus excisées.

Dans ce combat, je vous invite toutes et tous à nous rejoindre. Nous devons briser les tabous et mettre enfin un terme à l'excision !

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