Intervention de Fatiha Mlati

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 8 février 2018 : 1ère réunion
Table ronde sur les mutilations sexuelles féminines

Fatiha Mlati, coordonnatrice de la question du genre de France terre d'asile, membre de la Commission d'orientation de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) :

directrice de l'intégration, coordonnatrice de la question du genre de France terre d'asile, membre de la Commission d'orientation de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF). - Je vous remercie, Madame la présidente. Je voudrais commencer mon intervention en rappelant quelques chiffres relatifs aux demandes d'asile. Notre pays est le premier à protéger les personnes qui sont potentiellement victimes d'excision. Cela fait plusieurs années que nous le constatons.

Vous le savez, nous assistons à une croissance des demandes d'asile en général, aussi bien en France qu'en Europe. En 2016, notre pays se classait au 3ème rang des pays d'accueil européens, avec un peu plus de 85 000 demandes. En 2017, nous avons franchi le cap des 100 000 demandes. Nous ne disposons pas encore des statistiques détaillées, car le rapport de l'OFPRA ne sera disponible qu'à la fin du mois d'avril 2018.

Ce cadre étant précisé, nous savons qu'en janvier 2017, 6 200 jeunes filles étaient protégées par la France au titre de l'excision, contre 4 007 en janvier 2015. La fourchette est de 4 000 à 6 000 demandeuses d'asile chaque année au titre de l'excision, avec une augmentation de la protection qui leur est apportée.

Autre point important à noter, on constate depuis quelques années une baisse de la proportion de femmes parmi les demandeurs d'asile ; elles représentent environ un tiers des demandes (33 %). Parallèlement, on observe une hausse de l'âge moyen, qui se situe autour de 31 ans. S'agissant des femmes cependant, on relève une augmentation des demandes d'asile de la part de primo-demandeuses âgées de zéro à vingt-quatre ans, directement liée à l'augmentation du nombre de demandes liées à l'excision.

Je voudrais maintenant insister sur les pistes d'amélioration de notre législation depuis la dernière loi, votée en 20153(*). Si la volonté de prendre à bras le corps le sujet des mutilations sexuelles féminines au niveau mondial remonte à 1984, je rappelle que la France a été le premier pays à criminaliser ces pratiques en 1985. De plus, en 2012, la jurisprudence du Conseil d'État a établi que l'excision était un motif à part entière justifiant une demande de protection. De même, en avril 2013, un droit au séjour a été accordé aux parents dont les filles sont protégées au titre de l'excision.

Avant même l'apport de la loi de 2015, je voudrais rappeler toutes les avancées permises par la Commission européenne dans la lutte contre les mutilations sexuelles féminines, à travers plusieurs directives contraignantes pour les États membres. Ces textes ont notamment permis de reconnaître l'excision comme un motif légitime de protection dans le cadre du traitement des demandes d'asile.

Enfin, je note que les débats politiques qui ont eu lieu au cours des dernières années sur la question du genre, de manière parfois très polémique, ont eu le mérite de mettre à distance le relativisme culturel et de recentrer véritablement ce débat sur la question des droits de l'Homme et des droits universels.

Voilà quelques rappels que je souhaitais faire en guise de préambule.

J'en viens maintenant à la présentation des principaux apports de la loi de 2015. Je tiens à saluer avant tout le travail formidable accompli par l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) à cet égard. En effet, l'Office a créé dès 2013 un groupe de travail sur la prise en charge de la vulnérabilité des demandeurs d'asile. Par la suite, un groupe de référents a été mis en place de manière permanente. Ce groupe de travail a permis d'identifier les bonnes pratiques à diffuser et a mis en lumière la nécessité de traiter, au sein de la question de la vulnérabilité, celle des violences contre les femmes, dont l'excision.

Dans la continuité de ces travaux, la loi de 2015 a introduit un mécanisme d'évaluation des motifs de vulnérabilité des demandeurs d'asile, diligenté par un agent de l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) dès le début de la procédure de demande d'asile. Dans ce cadre, l'OFII doit transmettre l'information à l'OFPRA afin que celui-ci détermine les modalités d'examen particulières de cette demande au vu de ces vulnérabilités. La loi de 2015 a donc mis en place une prise en compte vraiment très spécifique de cette problématique par les différents acteurs habilités à intervenir sur la demande d'asile.

De surcroît, la loi de 2015 prévoit une visite médicale obligatoire en amont de la procédure de demande d'asile, avec l'objectif d'obtenir un certificat médical de non-excision, dont la mise en oeuvre est encadrée par un arrêté du 23 août 20174(*). De plus, la réforme de la demande d'asile a permis la présence d'un tiers lors de l'entretien par l'OFPRA, ce qui est très important. En parallèle, des rappels réguliers ont été adressés aux préfets pour faciliter l'accès au droit au séjour des parents des jeunes filles concernées par le risque d'excision.

Malgré ces avancées, il reste encore des points d'amélioration. Cela concerne notamment la mise en oeuvre de l'arrêté du 23 août 2017 sur l'examen médical. Ainsi, nos structures d'accueil, qui sont présentes sur tout le territoire et qui gèrent un peu plus de 4 000 places d'accueil de demandeurs d'asile, nous font part de problèmes dans certains territoires où les demandeurs d'asile rencontrent des difficultés pour obtenir des rendez-vous. Il peut aussi y avoir une trop grande distance entre le lieu où est hébergée la personne et les endroits où elle peut accéder à un médecin formé pour pratiquer cet examen. Plus généralement, on constate aussi le manque de formation des praticiens. Enfin, dans certains territoires, les travailleurs sociaux qui accompagnent les familles dans l'accès à l'examen médical se heurtent purement et simplement au refus de la part de certains médecins de pratiquer cet examen médical, avec l'accord de l'antenne locale du Conseil de l'ordre des médecins - au motif qu'ils ne considèrent pas cet examen comme un acte de soin.

Par ailleurs, en ce qui concerne l'accompagnement des familles, les travailleurs sociaux doutent parfois de la sincérité des pères quant au fait de bannir définitivement l'excision des pratiques familiales. Cet aspect-là est vraiment très important et doit être pris en compte. Plus généralement, cela fait plusieurs années que France terre d'asile demande aux acteurs de l'asile et gestionnaires d'établissement des lignes directrices très claires en ce qui concerne la promotion de l'égalité femmes-hommes. En effet, il est primordial de conduire un travail d'ordre pédagogique auprès des demandeurs d'asile pour amener vers un partage de nos valeurs l'ensemble des personnes susceptibles de résider dans notre pays.

Au-delà, nous constatons des inégalités territoriales dans la prise en charge des demandeurs d'asile. Il faut dire que beaucoup d'actions sont concentrées sur la région Ile-de-France et que certains territoires sont moins bien dotés. Il en va ainsi de la prise en charge de l'accompagnement psychologique ou de la reconstruction des victimes.

De surcroît, les gestionnaires de centres attirent notre attention sur la nécessité de traiter la question des déboutés avec, là encore, des différences préoccupantes selon les territoires. Concrètement, aujourd'hui, les familles des jeunes filles menacées d'excision peuvent se voir accorder trois statuts. Première hypothèse : la petite fille est protégée et ses parents obtiennent directement une carte de résidents de dix ans. Deuxième possibilité : les parents obtiennent un titre de séjour annuel. Troisième formule : on leur délivre un premier récépissé, mais ils sont considérés d'abord comme déboutés et sans droit au séjour. Or ces différences peuvent avoir un impact important sur l'avenir et la vie de ces familles. En effet, quand les parents sont déboutés, cela signifie qu'ils n'ont aucuns droits sociaux et que les structures d'accueil ne peuvent pas leur offrir un logement pérenne. De plus, les pratiques en matière de titre de séjour pour les parents sont parfois différenciées selon les territoires. C'est un élément important sur lequel il faut travailler.

Par ailleurs, il faut faire en sorte de mettre en place un système de prise en charge globale des demandeurs d'asile garantissant un accès équitable aux procédures. Vous le savez, il y a une pression très importante au regard des flux. Actuellement, on distingue dans les faits deux voies de prise en charge des demandeurs d'asile qui sont équivalentes en volume (environ 80 000 places) : d'un côté, celle du CADA (Centre d'accueil pour demandeur d'asile), qui offre une prestation complète et spécialisée aux demandeurs d'asile et leur garantit un accès à la procédure à la fois juste et équitable. De l'autre, un dispositif ad hoc au sein duquel les prestations concernent essentiellement l'hébergement, et très modérément l'accompagnement. Bien évidemment, toutes les personnes dites vulnérables, notamment celles concernées par l'excision, pâtissent de cette situation qui engendre une inégalité de traitement.

Enfin, il reste des tensions au niveau du premier accueil - tout le monde le sait - notamment à Paris, où les files d'attente sont importantes. Normalement, la procédure d'enregistrement des demandes d'asile devrait être effectuée dans un délai de trois jours, même si, en période de tension, on tolère des délais pouvant aller jusqu'à dix jours. Mais en pratique, les délais d'enregistrement peuvent aller jusqu'à un, voire trois mois, comme par exemple en Seine-Maritime l'année dernière. Or ces délais ne sont pas sans conséquences sur le traitement des demandes d'asile.

Telles sont les principales difficultés dont je voulais vous faire part, même si je veux conclure sur une note plus optimiste : je pense que le travail initié pour consolider notre politique d'asile et mieux protéger les victimes de mutilations sexuelles féminines va se poursuivre. Je citerai à cet égard l'amélioration du pré-accueil, à travers l'émergence des nouvelles structures que sont les centres d'accueil et d'orientation qui permettront, nous l'espérons, une meilleure évaluation de la vulnérabilité des demandeurs d'asile, et donc aussi une meilleure orientation.

Nous espérons aussi, et c'est un point abordé dans l'excellent rapport du HCE|fh publié en décembre 20175(*), que les bonnes pratiques qui ont émergé à travers le travail fait par l'OFPRA pourront prospérer au sein de l'OFII qui intervient au coeur du dispositif.

Autre perspective encourageante, le futur projet de loi « asile et immigration » annoncé par le Gouvernement stabilise le droit au séjour des parents en leur permettant l'accès au titre de séjour pluriannuel. En outre, il crée pour la première fois une passerelle directe entre l'OFPRA et les médecins. Selon moi, cela constitue une avancée majeure.

Pour terminer, je voudrais rappeler qu'il y a 48 heures, s'est tenu au Parlement européen un débat sur les mutilations sexuelles féminines. À cette occasion, les députés européens ont appelé l'ensemble des États parties du Conseil de l'Europe à ratifier la Convention d'Istanbul, texte majeur en ce qui concerne la lutte contre les violences faites aux femmes. Certes, cette convention a pu entrer en vigueur, compte tenu du nombre d'États qui l'ont ratifiée. Néanmoins, une ratification par l'ensemble des États parties constituerait indéniablement un beau symbole.

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