Intervention de Ernestine Ronai

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 8 février 2018 : 1ère réunion
Table ronde sur les mutilations sexuelles féminines

Ernestine Ronai, co-présidente de la commission « Violences de genre » du HCE|fh :

|fh. - Je vous remercie, Madame la présidente. Avant toute chose, je souhaiterais souligner que la France s'attache depuis plusieurs années à parler de « mutilations sexuelles féminines » plutôt que de « mutilations génitales féminines ». Cette différence n'est pas seulement sémantique, elle a du sens. En effet, c'est bien le sexe de la femme qu'on atteint lorsqu'on mutile une femme. À l'échelle internationale, on parle en général de mutilations génitales féminines, en mettant notamment l'accent sur le fait que ces mutilations ont des conséquences au moment de l'accouchement et des rapports sexuels - comme l'a très bien dit Ghada Hatem.

Pour autant, il me paraît vraiment important de parler de « mutilations sexuelles féminines » ; je souhaite que la France conserve cette originalité et puisse, pourquoi pas, l'exporter aux autres pays, car je pense que cela aiderait toutes les femmes. Il faut rendre visible ce dont on parle, parce que même dans le cas de l'infibulation, c'est bien de sexe qu'il est question. Le sens profond de la mutilation sexuelle féminine est l'appropriation du corps des femmes par les hommes. Elle est particulièrement violente, avec l'idée que le plaisir est un privilège masculin et que l'homme doit être sûr des origines de sa progéniture. Car c'est aussi cela le sujet. Voilà ce que je voulais dire en préambule.

Sur la question de la formation des professionnels, puisque c'est le thème sur lequel je suis invitée à intervenir ce matin, je dirai d'abord que le Haut Conseil à l'Égalité est très attaché à ce que la lutte contre les mutilations sexuelles féminines passe par une politique publique. Dans ce cadre, la question de la formation est très importante. Vous l'avez dit, un médecin non formé ne voit rien, ne s'intéresse pas au sujet. Une sage-femme, non formée, n'est pas nécessairement en mesure de constater qu'une femme a été mutilée. Or cela aura des conséquences pour la vie de la femme, mais au-delà, aussi, pour la petite fille qui va naître.

A qui s'adressent nos formations ? Bien sûr aux médecins, sages-femmes et infirmières, mais aussi aux professionnels de l'éducation. Lorsqu'elle était ministre de l'Éducation, Najat Vallaud-Belkacem avait publié à plusieurs reprises des circulaires pour demander que l'on parle des mutilations sexuelles féminines dans les écoles. Enfin, la formation concerne aussi les travailleurs sociaux, les magistrats et les forces de l'ordre.

Dans le cadre de la formation que je dirige à l'École nationale de la magistrature (ENM) sur les violences sexuelles, nous avons introduit un module sur les mutilations. Au cours de la dernière session, le parquet de Paris a mentionné six signalements sur un an à ce titre. Ce chiffre semble peu élevé au regard de la population à risque.

Pour autant, cela ne veut pas dire qu'il ne se passe rien car tout le travail accompli, notamment par La Maison des femmes que nous a présentée Ghada Hatem, ne passe pas forcément par le signalement. Je pense par exemple aux médecins de PMI, qui sont particulièrement formés à ce problème en Seine-Saint-Denis et qui font oeuvre de prévention avec les femmes par rapport aux petites filles, en leur expliquant ce que sont les mutilations sexuelles féminines et leurs conséquences. La formation va permettre la prévention des mutilations, car si les professionnels sont attentifs au repérage des mutilations, ils pourront sensibiliser les parents, surtout la mère.

Dans le cadre de la prévention, la loi est tout à fait importante. Cela a été dit avant moi. J'ai beaucoup apprécié ce rappel de M. Kouyaté.

La Convention d'Istanbul a été citée, et je vais vous lire ici l'article dédié aux mutilations sexuelles féminines : « Les parties veillent à ce que la culture, la coutume, la religion, la tradition ou le prétendu honneur ne soit pas considérés comme justifiant des actes de violences couverts par le champ d'application de la présente convention ».

La France ayant ratifié cette convention, elle sera évaluée sur sa mise en oeuvre. L'application de la loi, y compris dans sa dimension répressive, fait aussi partie, comme je le disais à l'instant, de la prévention. À cet égard, M. Kouyaté a évoqué très justement le premier procès qui a eu lieu en France : ce procès et ceux qui ont suivi en cours d'assises ont justement permis de fixer les interdits auprès des populations à risque, en montrant que la loi n'est pas que théorique. Même si cela n'est pas suffisant, c'est très important et cela facilite ensuite la réflexion sur le sujet.

Une étude récente de l'Institut national d'études démographiques (INED) montre un lien entre la durée du séjour en France et le recours à ces pratiques. Plus les personnes sont installées en France depuis longtemps, plus elles s'approprient notre législation et nos valeurs et moins elles font exciser leurs filles.

Je voudrais également parler du repérage, qui est développé dans les guides élaborés à l'attention des professionnels, que je vous présenterai ensuite. Quels doivent être les signaux d'alerte qui doivent inciter à s'inquiéter pour une enfant ou une jeune femme ? Le questionnement est très important. Certes, l'examen par un médecin compte, mais il y a aussi la façon de poser les questions, de chercher des indices. Les mutilations ne transparaissent pas sur le visage des personnes. Il faut donc faire comprendre aux personnes menacées qu'il existe des lieux où elles peuvent en parler, avec des médecins, des assistantes sociales ou des infirmières scolaires.

Je voudrais vous faire part de mon expérience personnelle à cet égard. J'ai été psychologue scolaire pendant plusieurs années. Je me souviens d'une petite fille de CM2 qui n'allait pas très bien en classe et qui m'avait donc été adressée. Elle devait partir au Mali pour les vacances et m'avait fait part de son inquiétude. Je lui ai demandé pourquoi. Elle a répondu : « Je ne sais pas, mais tout le monde parle autour de moi, j'ai peur ». Alors j'ai fait un signalement. Les policiers ont interrogé la famille et cela a permis que cette petite fille revienne entière. Les policiers avaient expliqué à la famille que l'excision est interdite et condamnable en France et que la petite serait examinée à son retour.

On voit bien ici comment le fait d'informer et de former permet d'être véritablement efficace.

Autre sujet, la question de la protection des jeunes adultes nées en France. Je m'adresse ici aux législateurs et aux législatrices que vous êtes. En France, les mineures sont protégées, mais c'est plus compliqué pour les majeures. En Seine-Saint-Denis, nous avons mis en place un protocole qui permet aux jeunes de bénéficier d'un « contrat jeune majeur », ce qui reste une exception au niveau national. En effet, actuellement, ce contrat n'est valable que si le jeune a déjà été protégé dans le cadre de sa minorité. Il constitue donc un prolongement de cette protection après la majorité. En revanche, si vous n'avez jamais été protégé dans votre minorité par l'Aide sociale à l'enfance (ASE), on vous interdit l'accès à ce contrat. Je trouve vraiment dommage que la législation, pour ces cas particuliers, ne prenne pas en compte la gravité du sujet. La loi devrait permettre la protection des jeunes majeures dans ce cadre.

J'ai été très intéressée par l'intervention de Fatiha Mlati sur la question des examens médicaux. Actuellement, un médecin ayant un diplôme universitaire (DU) de médecine légale peut pratiquer cet examen, qui sera valable pour l'OFPRA. Cela suppose de former les médecins dans les unités médico-judiciaires (UMJ), mais aussi de prévoir la rémunération d'heures supplémentaires. Par exemple, en Seine-Saint-Denis, ces examens concernent 900 personnes, donc cela nécessite quelques moyens supplémentaires. Je vous demande d'y penser lorsque vous examinerez la prochaine loi de finances !

Je souhaiterais aussi vous présenter rapidement deux outils de lutte contre les mutilations sexuelles féminines. Le premier a été créé par la Direction générale de la santé (DGS), révisé avec la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), structure née en 2013 dont l'un des objectifs est la formation des professionnels. Il s'agit d'un guide à destination des médecins et sages-femmes intitulé Le praticien face aux mutilations sexuelles féminines.

Le deuxième outil, également créé par la MIPROF, avec le concours du Gams6(*), de la Commission pour l'abolition des mutilations sexuelles (Cams) et des associations référentes est un kit de formation sur le repérage et la prise en charge des mineures confrontées aux mutilations sexuelles féminines, qui se compose d'un court-métrage et d'un livret d'accompagnement7(*) (kit « BILAKORO »).

Vous pouvez trouver ces outils sur le site Internet stop-violences-femmes.gouv.fr.

J'ai été très intéressée par l'intervention de M. Kouyaté. Vous avez évoqué les différentes échéances successivement définies par l'ONU, et vous avez raison d'attirer notre attention là-dessus. Les mutilations sexuelles féminines sont un sujet grave auquel il faut s'atteler. C'est le cas de la France et des gouvernements français qui se sont succédé (et j'espère que cela va continuer). Cela me donne l'occasion de saluer Laurence Rossignol, l'une des ministres avec laquelle j'ai eu le plaisir de travailler et qui a été très attentive à toutes ces questions, notamment en lien avec la protection de l'enfance.

Pour conclure, je reprendrai ma citation favorite de Simone de Beauvoir : « La fatalité ne triomphe que si l'on y croit ». En France, dans le monde, en Afrique, un peu partout, ceux qui ne croient pas à la fatalité des mutilations sexuelles féminines se mobilisent, et ensemble nous parviendrons à les faire reculer !

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