Intervention de Tatiana Kastouéva-Jean

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 21 mars 2018 à 9h35
Russie — Audition conjointe de Mme Tatiana Kastouéva-jean chercheur directrice du centre russie

Tatiana Kastouéva-Jean, chercheur, directrice du Centre Russie-Nouveaux États Indépendants :

En politique intérieure, on note ces dernières années un retour des questions économiques, sociales, les inégalités sociales ou régionales, etc. Le discours de Vladimir Poutine le 1er mars répondait à ces questions, pour rassurer son électorat. Les retraités qui dépendent de l'Etat, plus de 34 millions de personnes, forment une grande part de ses électeurs. S'y ajoutent les agents publics, qui dépendent du budget de l'Etat. Ils attendent une juste récompense de leur travail. Sur le plan démographique, l'allocation maternelle de 10 000 dollars au deuxième enfant a eu un impact positif à court terme, mais la tendance se renverse déjà. Sous le règne de Poutine le nombre de naissances par femme a augmenté, l'espérance de vie aussi, à 74 ans environ à présent - l'objectif est aujourd'hui de dépasser 80 ans. Les problèmes concernent surtout la population active, et les cohortes de femmes en âge de procréer ne sont pas suffisantes, mathématiquement, pour combler le creux : le manque de main d'oeuvre est durable. On comptait au milieu de la décennie précédente 12 millions de 14-19 ans, ils ne sont plus que 7 aujourd'hui. Or c'est dans cette cohorte que l'armée puise ses cadres, les universités leurs étudiants.

Des mesures sont prises pour maintenir l'équilibre entre l'Est et l'Ouest, pour enrayer les départs des régions extrême-orientales. Le « grand tournant vers l'Est » se heurte à la fuite des populations et au manque criant d'infrastructures... Il existe deux ministères territoriaux, l'un aux affaires du Caucase du Nord, région très sensible, l'autre à l'Extrême-Orient, où la chute de population s'est ralentie, mais sans renversement de tendance.

Sur l'agent Skripal et les « traîtres à la nation », Vladimir Poutine a eu des propos très violents en 2010. On a vu dans les événements récents une volonté de handicaper la Grande-Bretagne, de tester la solidarité occidentale, de booster la popularité du président à la veille de l'élection : mais il n'a pas besoin de cela ! La Coupe du monde est un argument plus porteur ; Poutine est très sensible à l'aura que peut lui apporter l'organisation de grands événements sportifs : un risque de boycott des pays occidentaux n'était pas dans ses objectifs ! Quoi qu'il en soit, je note que Gazprom, au plus fort de la crise, il y a quelques jours, a émis des eurobonds sur la place londonienne et ces titres ont rencontré un bon accueil des investisseurs.

L'impact des sanctions est ambivalent. Les Russes eux-mêmes l'avaient évalué à 1,5 point de PIB, avant de le ramener à 0,5 point aujourd'hui. Vladimir Poutine a reconnu l'existence du problème, mais surtout pour l'avenir, car la Russie a besoin des hautes technologies occidentales y compris pour moderniser l'extraction de matières premières.

La posture de confrontation avec l'Occident ne supprime pas les fenêtres de coopération, en particulier économique et le chef de l'Etat russe fait tout pour la maintenir, par exemple en invitant des entreprises françaises - ou encore le président Macron au forum économique de Saint-Pétersbourg.

Vous avez cité toutes les raisons qui placent la politique étrangère au centre des préoccupations en Russie, notamment la revanche sur les humiliations ressenties avec la perte du rang international dans les années quatre-vingt-dix (la restauration de ce rang est considéré comme un des principaux acquis de l'ère Poutine). Il y a aussi un effet de propagande, qui se reflète fidèlement dans les sondages.

La création des classes de cadets, la « Jeune Garde », le prestige croissant des métiers militaires témoignent-ils d'une militarisation accrue de la société ? Les relations avec l'Occident ont leur influence, la propagande aussi. Du reste, le ministère de la défense se flatte de ne pas avoir de difficulté à recruter. Mais à l'époque soviétique, l'enrôlement militaire concernait 100% de la société ! Aujourd'hui, s'il est bien vu d'inscrire ses enfants dans de telles classes - parce qu'ils sont mieux là, à apprendre la discipline, qu'à traîner avec les dealers de drogue, et parce que la nostalgie joue un peu - il faut relativiser le phénomène, quantitativement et qualitativement.

Les fraudes électorales sont aujourd'hui en recul : bien sûr, car tout se passe en amont, vous l'avez dit, lors de la sélection des candidats. Le premier filtre municipal et les parrainages servent à écarter les indésirables. Quel score aurait fait Navalny ? Difficile à dire ! Mais au-delà des réseaux sociaux, il est doué pour le contact direct avec les électeurs et avait recueilli 27% des suffrages en 2013 alors même qu'il n'avait pas accès à la télévision fédérale...

Tolstoï n'est pas un nom qui circule pour la succession à la tête de l'Etat. Je ne crois pas que les Russes attendent une personnalité médiatique, plutôt un manager efficace, qui aurait l'expérience d'une région, d'un ministère, d'une structure de force comme Vladimir Poutine. Le nom qui circule est celui d'Alexeï Dumine, gouverneur de la région de Toula ; il est jeune, il a la confiance du président, il est issu comme lui d'une structure de force, mais il est peu probable que le président souhaite exposer trop tôt son futur successeur. Il nommera peut-être une personnalité « sous les radars ».

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