Intervention de Grégory Abate

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 21 mars 2018 à 9h50
« adapter les règles de l'impôt sur les sociétés au nouveau contexte international et européen » : Audition conjointe de M. Grégory Abate sous-directeur de la fiscalité directe des entreprises à la direction de la législation fiscale M. Bernard Bacci directeur fiscal du groupe vivendi Mme Béatrice deShayes directrice fiscale du groupe lvmh M. Daniel Gutmann avocat associé du cabinet cms francis lefebvre avocats et de Mme Stéphanie Robert directeur de l'association française des entreprises privées afep

Grégory Abate, sous-directeur de la fiscalité directe des entreprises à la direction de la législation fiscale :

Pour éviter la répétition du scénario de la taxe à 3 % sur les montants distribués, nous nous sommes engagés dans une revue des différents régimes de taxation existants en France à l'aune de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et en tenant compte également de la jurisprudence constitutionnelle. Le régime de l'intégration fiscale focalise nos inquiétudes. Le coeur du dispositif, à savoir la consolidation des pertes et des profits des entreprises membres d'un même groupe à l'échelle du territoire national, n'est pas remis en cause par la jurisprudence européenne. Au contraire, ce principe a été validé par la CJUE. En revanche, les mécanismes qui neutralisent et atténuent la taxation sur les opérations à l'intérieur du groupe (versement de dividendes donnant lieu à une exonération de 1 % au lieu de 5 % dans le droit commun, ou cession d'actifs neutralisée entre sociétés du même groupe) constituent des avantages qui s'exercent dans le périmètre restreint des entreprises établies en France. À ce titre, ils ne sont pas forcément compatibles avec la liberté d'établissement définie par le droit européen.

Il est difficile d'évaluer si ces règles sont conformes à la jurisprudence de la CJUE qui ne se prononce que sur des cas particuliers sans dégager de grands principes. Il n'en reste pas moins que certains sujets sont plus sensibles que d'autres, comme le traitement des dividendes qui ne bénéficient pas de l'exonération du groupe mère-fille et sont neutralisés à l'intérieur du groupe fiscal lorsqu'ils sont versés entre sociétés françaises du groupe. La revue que nous menons vise à sécuriser le plus possible notre environnement sur le plan juridique.

En France, nous disposons d'un arsenal législatif conséquent pour limiter la déduction des intérêts d'emprunts. L'articulation des régimes de limitation des charges financières avec le régime de l'intégration fiscale fait débat. Le dispositif du rabot sur les charges financières nettes consiste à ne pas admettre en déduction 25 % des charges financières nettes d'une entreprise. Le dispositif de lutte contre la sous-capitalisation consiste à réintégrer les intérêts d'emprunts au-delà du seuil qui caractérise aux yeux de la loi la sous-capitalisation d'une entreprise. D'un côté, on part du principe qu'un groupe d'intégration fiscale constitue un redevable unique ; de l'autre, on privilégie une approche individualisée, puis on calcule un surcroît d'intérêts déductibles à l'échelle du groupe. Est-il possible de raisonner à partir du groupe fiscal pour calculer un plafond de charges financières d'intérêts d'emprunts déductibles ? Il semble que raisonner à cette échelle procure des avantages que la CJUE pourrait considérer comme non compatibles avec la liberté d'établissement.

Cependant, la directive ATAD prévoit un mécanisme de plafonnement des charges financières que les entreprises membres peuvent appliquer en fonction de leur bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (EBITDA), au niveau du groupe fiscal national. Par conséquent, si l'on doit transposer cette nouvelle règle, il nous semble à tout le moins que l'on pourrait continuer à raisonner à l'échelle d'un groupe considéré comme une entité unique en matière fiscale. Et si la directive ATAD reconnaît le groupe comme une entité fiscale unique au niveau européen, pourquoi ne pas appliquer le même raisonnement au niveau national ?

D'autres sujets qui touchent aux charges financières ne sont pas moins surprenants. Ainsi, en 2012, on a introduit dans la législation française une mesure pour lutter contre certains dispositifs hybrides, notamment ces instruments financiers grâce auxquels on peut considérer dans un État qu'on a affaire à de la dette donnant lieu à des intérêts déductibles, et dans un autre État qu'il s'agit d'instruments de capital de sorte que les intérêts sont exonérés au titre d'un régime mère-fille. La loi française prévoit que les charges financières ne peuvent être déductibles qu'à condition que celui qui les reçoit soit imposé au moins à 25 % sur ces flux de revenus. Ce mécanisme est-il compatible avec la liberté d'établissement ? La CJUE peut considérer que ce dispositif est dirigé contre des entreprises non françaises et porte atteinte à la liberté d'établissement. En réalité, il s'applique aussi quand le flux d'intérêts est versé en France à une société exonérée d'impôts, ce qui arrive par exemple dans le secteur immobilier. Même si ce régime s'exerce dans le champ transfrontalier, il n'exclut pas les autres.

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