Intervention de Christian Dubreuil

Commission des affaires économiques — Réunion du 21 mars 2018 à 9h30
Audition de M. Christian duBreuil directeur général de l'office national des forêts onf

Christian Dubreuil, directeur général de l'Office national des forêts (ONF) :

Au conseil d'administration, il y avait sept représentants des salariés et des fonctionnaires, quatre ont démissionné. Sont restés autour de la table : le représentant du syndicat CGT des ouvriers, celui du syndicat CFDT des ouvriers et celui du syndicat FO des personnels administratifs, qui sont aussi honorables que les autres. Un certain nombre de syndicats de fonctionnaires ont démissionné des comités techniques. Je pense que ce n'est pas une bonne idée, car il n'existe de comités techniques à l'Office qu'en vertu non pas de la loi, car nous ne sommes pas une administration, mais d'une délibération du conseil d'administration. Je souhaite que les organisations syndicales reviennent dans ces instances. Le 6 décembre prochain, se tiendra une élection générale pour la fonction publique, qui pourra faire évoluer les choses...

M. Franck Montaugé m'a interrogé sur un point particulier du COP, et beaucoup d'entre vous ont également posé la question de la rémunération des « aménités positives », c'est-à-dire le service rendu par la forêt à la société. Entré au ministère de l'agriculture en 1998, je peux témoigner que c'est une question dont on discute depuis vingt ans ! La forêt est ce qui stocke le mieux et le plus durablement le carbone et, de plus, elle épure l'eau. La qualité de nos eaux vient de celle de nos forêts, et ce n'est pas un hasard si l'agglomération de Saint-Etienne a acheté massivement des forêts dans le Pilat. De même en Ile-de-France, ce sont les nombreuses forêts domaniales et communales qui assurent la qualité de l'eau. Vous avez évoqué l'initiative « 4 pour 1000 » de Stéphane Le Foll, à laquelle l'ONF participe. Toutes les études montrent que les sols forestiers sont meilleurs que les sols agricoles, puisqu'on n'y utilise pas de pesticides.

On pourrait ainsi multiplier les exemples de ces aménités positives : les forêts sont aussi des lieux de promenade pour les urbains, des lieux d'éducation à l'environnement pour nos enfants, sans parler de la « forêt-thérapie » telle qu'on la voit se développer au Japon. Mais toutes ces actions, que mène l'Office au titre de la multifonctionnalité de la forêt ne sont pas financées et ne rapportent rien à son budget. Il y a là un sujet de réflexion, à mon sens, pour le Gouvernement et le Parlement. Il y a vingt ans, on essayait d'approfondir l'analyse pour calculer l'avantage financier qu'apportaient ces aménités. Je n'ai pas vu, depuis, ce débat aboutir. L'Office a passé des conventions avec les agences de l'eau, pour financer des actions ponctuelles, mais nulle part n'est pris en compte le fait que la forêt épure l'eau : on considère qu'elle l'a toujours fait, et qu'elle continuera à le faire. Il est vrai que les agences de l'eau ont plutôt été mises à contribution pour financer l'Agence française de la biodiversité... Ceci pour dire que tous les gestionnaires, agricoles et forestiers, vous rendront grâce si un jour ces services que l'agriculture et la forêt rendent à la nation, en particulier de stockage du carbone, et qui ne peuvent être financés ni par la vente des bois, ni par celle des produits de l'agriculture, étaient pris en compte.

M. Laurent Duplomb parle d'or quand il évoque les résistances de nos concitoyens urbains à la gestion de la forêt - une sorte de « syndrome Idefix » qui porte à considérer que couper un arbre, c'est détruire un être vivant. Nous savons tous ici qu'un arbre nait, vit et meurt, et que quand il meurt, il peut tomber et provoquer des accidents. Nous savons aussi que pour que la forêt se régénère, il faut prélever les chênes de 180 ans pour permettre aux chênes plus jeunes de pousser - c'est ce que l'on fait depuis Colbert. On prélève ainsi les chênes de Tronçais, qui ont été plantés par onze générations de forestiers avant nous. Ceux qui travaillent à l'ONF ne verront jamais, de leur vivant, le fruit de leur travail : vous avez donc raison de dire qu'ils sont passionnés. Il en va de même pour la chasse, où sévit le « syndrome Bambi » : la régulation des populations tant en forêt que dans les espaces agricoles est pourtant indispensable.

La forêt est aussi le lieu où l'on perçoit le mieux le changement climatique. La forêt remonte du sud vers le nord. L'expérience dite « Giono » - l'auteur de L'homme qui plantait des arbres - menée à l'initiative de la Cop 21, et où des espèces méditerranéennes du massif de la Sainte-Baume ont été plantées en forêt de Verdun en est un témoignage : à échéance de vingt ans, les espèces méditerranéennes vont remonter vers le nord - et avec elles les incendies de forêt...

Tout ceci implique de communiquer auprès des populations urbaines, pour expliquer ce que l'on fait. J'y participe modestement, notamment via la journée internationale des forêts qui s'est tenue sur le parvis de l'Hôtel de ville. La pédagogie est une action collective, et France Bois Forêt a lancé une campagne sur les usages du bois, à laquelle elle consacre 10 millions d'euros. Mais c'est aussi à chacun d'entre nous de faire oeuvre de pédagogie.

M. Roland Courteau s'est inquiété à juste titre de la santé des forêts. De la même manière que l'on a vu se multiplier les zoonoses chez les animaux, et le franchissement de la barrière d'espèce entre les animaux et les hommes - que les scientifiques nous disaient autrefois impossible - on voit se répandre d'importants problèmes de santé des forêts dus au changement climatique, à la sécheresse, aux alternances entre sécheresse et pluies diluviennes. Chaque essence a son problème : la chenille processionnaire pour le pin ou le chêne, la chalarose du frêne, qui risque de tuer tous les frênes français comme cela a été le cas de la graphiose pour les ormes ; le pire étant peut-être dans la remontée, depuis l'Espagne, du nématode du pin, qui va arriver dans les Landes en 2020. Le Parlement pourrait, à mon sens, interpeller le Gouvernement, les institutions comme l'Institut national de la recherche agronomique : la recherche doit être mobilisée, et des financements prévus, si l'on veut éviter que les Landes, sur lesquelles la forêt de pins a été plantée au XIXème siècle, ne redeviennent simple lande.

La seule préoccupation de l'Office - je réponds à Mme Michelle Gréaume - n'est pas la rentabilité. La loi et le COP exigent que la forêt publique soit gérée durablement. C'est la première tâche de l'ONF, à laquelle s'ajoute la multifonctionnalité, qui exige de prendre en compte tout à la fois les objectifs économiques, sociaux et environnementaux, majeurs eu égard à la qualité de la biodiversité forestière.

L'ONF doit achever la révolution culturelle par laquelle on a créé, en 1964, un Epic pour succéder à l'administration des Eaux et Forêts, laquelle reste encore dans notre « fond de l'oeil » : c'était une administration de 12 000 fonctionnaires - sans compter les ouvriers qui n'étaient pas rangés dans les effectifs mais dans les charges ! - financée par les ventes de bois et les dotations publiques. Pendant les époques bénies, les ventes de bois couvraient 80 % des charges de l'Office : elles n'en représentent plus que 30 % aujourd'hui. Il faut, collectivement, bien comprendre que l'EPIC gère ses missions en ne mettant pas la rentabilité au premier rang. Cependant, son modèle économique - du fait que l'État et les communes forestières ont décidé de plafonner leur contribution à 200 millions d'euros, sur un budget de l'ONF total de 850 millions - le conduit à rechercher toutes les ressources possibles : vente des bois, baux de chasse, concessions en forêt domaniale, et une activité concurrentielle qui représente plus de 100 millions d'euros. L'État, de son côté, finance directement les missions d'intérêt général - restauration des forêts en montagne, défense des forêts contre l'incendie, biodiversité, notamment outre-mer, maintien du trait de côte et du cordon dunaire.

S'agissant de l'évolution du ratio entre fonctionnaires et salariés, je précise que nous ne recrutons pas de salariés sur des missions de police, pour sanctionner les infractions en forêt, conjointement avec l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, la police et la gendarmerie, par exemple pour éviter le déploiement de quads. En revanche, marteler des arbres, c'est à dire les désigner, est une activité commerciale ; la surveillance des forêts domaniales, qui appartiennent au domaine privé et non public de l'État, n'est pas non plus une activité régalienne. Nous ne recrutons donc aucun salarié sur les missions régaliennes, mais celles-ci n'ont pas l'étendue qu'imaginent certaines organisations syndicales.

Que l'ONF bénéficie d'une convention collective nationale, Monsieur Joël Labbé, est le meilleur moyen de rassurer les salariés et d'améliorer leur situation. Je rappelle qu'il n'existe pas, dans le secteur forestier, de convention collective de branche. Parmi les ouvriers forestiers qui font un métier difficile et dangereux, les mieux payés, les mieux considérés travaillent à l'ONF. Ceux qui sont dans les entreprises de travaux forestiers - souvent de très petites entreprises - ne bénéficient pas de telles conditions, y compris en matière de sécurité, en particulier quand ils relèvent de la convention du paysage. J'ajoute que nous veillons à ce qu'aucun travailleur clandestin venu de Roumanie ou de Bulgarie n'intervienne dans les forêts publiques. Si vous en avez vu, ils ne relèvent pas de la forêt publique.

Monsieur Martial Bourquin, bien que vous disiez un peu de mal des taillis, les « breuils » en patois du Beaujolais, le « Dubreuil » que je suis n'en prend pas ombrage, car je comprends que vous vous inquiétez de ce que l'on appelle la hiérarchie des usages. Les forestiers ne font pas pousser des arbres pour que le houppier aille dans une chaudière ; ils veulent voir pousser des chênes - cela demande 180 ans -, des hêtres - 90 ans -, des peupliers - 25 ans -, des pins maritimes - 45 ans -, pour que leur grume aille au bois d'oeuvre. Ce bois d'oeuvre représente 40 % de l'ensemble. Vient ensuite la filière papier, qui progresse dans le secteur du carton - et accompagne la croissance du commerce électronique - tandis que la fourniture de papier journal se porte moins bien, toujours en raison d'internet. Oui, il faut conserver la hiérarchie des usages : les forestiers trouveraient tragique que du bois d'industrie soit utilisé comme bois d'énergie.

Dans l'économie libérale - car tel est le choix que nous avons fait - le « gendarme », c'est le prix. Tout acteur prêt à payer le bois plus cher capte la ressource. Les mérandiers, n'achetaient auparavant que des grumes de chêne pour faire des barriques, à 200 euros le mètre cube. Sauf à ne vendre qu'aux trois wineries de Francis Ford Coppola, dans la Nappa Valley, qui ne se soucie pas du prix, les opérateurs s'efforcent d'acheter d'autres grumes moins chères en recherchant une qualité satisfaisante. Chacun développe ainsi des stratégies en fonction de ses objectifs.

Bien entendu, beaucoup de scieries ont disparu, sont sous-capitalisées ou ont des problèmes de transmission alors que leurs dirigeants approchent de la retraite. Cela a fait l'objet de dizaines de rapports et de colloques. L'action de l'ONF pour y remédier, et qui est prévue dans le COP, consiste à passer des contrats. Les scieurs, au lieu d'aller enchérir aux grandes ventes d'automne, sans savoir s'ils emporteraient des lots et à quel prix - ce qui compliquait leur relation avec les banques - peuvent désormais acheter le bois façonné vendu « bord de route » par contrat. Ces conventions représentent 50 % du volume des ventes en forêt domaniale et 30 % en forêt communale. Nous avons donc, sur ce point, réalisé l'objectif du COP. Le contrat, qui lisse les variations de prix, est une garantie pour le scieur. Si la plus grande scierie pour le hêtre existe encore, en Normandie, c'est qu'au moment où elle a eu des difficultés, elle a pu contractualiser avec l'Office et il en va de même pour les grands scieurs de résineux. Les scieurs de chêne qui ont bien voulu passer des contrats avec l'Office portant sur 100 000 mètres cubes sont très satisfaits des prix dont ils bénéficient. En revanche, le cadre juridique applicable à l'ONF lui interdit d'investir dans la première transformation.

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