Intervention de Jean-François Longeot

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 21 mars 2018 à 9h30
Proposition de loi relative à l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-François LongeotJean-François Longeot, rapporteur :

Ce travail a été réalisé dans un délai très court. Je remercie MM. Maurey et Nègre d'avoir déposé cette proposition de loi qui sera examinée à partir du 28 mars.

L'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs est la dernière étape d'un mouvement de libéralisation engagé par la Commission européenne au début des années 2000, à travers ses « paquets ferroviaires ».

Nous avons peu à peu intégré ces évolutions dans notre droit. Le transport ferroviaire de marchandises a été libéralisé progressivement - dès 2003 pour le réseau transeuropéen de fret, puis pour l'ensemble des services de fret internationaux, et enfin pour le fret domestique en 2006.

En 2009, nous avons créé notre régulateur, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) dont le domaine a depuis été étendu au secteur routier - il s'agit aujourd'hui de l'Arafer. Les services internationaux de transport de voyageurs ont été ouverts à la concurrence à partir de 2010, avec une possibilité d'effectuer des dessertes à l'intérieur du pays, dans certaines conditions.

Adopté en décembre 2016, le quatrième paquet ferroviaire européen est un ensemble de textes abordant plusieurs thèmes : des sujets techniques, concernant notamment la sécurité et l'interopérabilité ; la gouvernance et l'organisation des systèmes ferroviaires ; et enfin, l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, qui nous intéresse aujourd'hui. Quelles échéances ont été fixées ?

L'Union européenne distingue deux catégories de services : d'abord, les services conventionnés, subventionnés par une autorité organisatrice de transport, font l'objet d'un contrat de service public - il s'agit, en France, des trains TER gérés par les régions depuis 2002, et des TET, jusqu'à présent gérés par l'État, mais dont une grande partie ont été transférés aux régions. Ces services sont régis par le règlement européen 1370/2007, qui a été modifié par ce paquet ferroviaire. Ensuite, les services non conventionnés, ou « services librement organisés » - en France les TGV - sont régis par la directive 2012/34, elle aussi modifiée.

L'Union européenne a décidé d'ouvrir les services conventionnés à la concurrence à partir du 3 décembre 2019, tout en prévoyant une série de dérogations, que les États membres sont libres d'autoriser ou non dans leur droit. Parmi ces dérogations figure notamment la possibilité, entre 2019 et 2023, de laisser aux autorités compétentes le choix d'attribuer directement des contrats sans passer par une procédure de mise en concurrence.

Sur ce point, la proposition de loi a retenu la date du 3 décembre 2019, en excluant toutes les dérogations prévues par le droit européen. Cela n'exclut pas une certaine progressivité dans la mise en oeuvre de la réforme puisque que l'obligation de passer un appel d'offres n'entrera en vigueur qu'au terme de chacune des conventions signées entre les autorités organisatrices de transport et SNCF Mobilités avant le 3 décembre 2019, soit vers 2023-2024.

En attendant, les régions volontaires pourront ouvrir à la concurrence tout ou partie des services ferroviaires qu'ils organisent dès le 3 décembre 2019 en le prévoyant dans leur convention, comme l'ont déjà fait les régions Grand Est et Pays-de-la-Loire.

Pour les services non conventionnés, l'Europe impose une ouverture effective le 14 décembre 2020 - soit pour l'horaire de service 2021. Mais elle oblige les États membres à en définir le cadre juridique avant la fin de l'année 2018, compte tenu des démarches nécessaires pour qu'une entreprise puisse effectivement entrer sur le marché, notamment la réservation de sillons auprès du gestionnaire d'infrastructure.

Il nous reste très peu de temps pour fixer le cadre juridique de cette ouverture à la concurrence. Il ne s'agit pas seulement de respecter ces échéances européennes, mais de permettre aux acteurs - y compris SNCF Mobilités - de s'y préparer suffisamment en amont. C'est l'objet de cette proposition de loi, qui vise aussi à soutenir cette démarche d'ouverture à la concurrence des services ferroviaires.

Cette réforme doit se traduire - j'en suis personnellement convaincu - par une amélioration de la qualité du service rendu à l'usager et une réduction des coûts, y compris chez l'opérateur historique, stimulé par la présence d'autres acteurs. Plusieurs de nos voisins européens n'ont pas attendu le quatrième paquet ferroviaire pour ouvrir leurs services à la concurrence. Ainsi, l'Allemagne et de la Suède l'ont fait à partir des années 1990, avec des effets positifs.

J'en viens désormais à la présentation de la proposition de loi et de mes principaux amendements, après avoir lu avec attention l'avis du Conseil d'État, et recueilli l'avis de la majorité des parties prenantes lors d'auditions.

Plusieurs de mes amendements tirent les conséquences des remarques formulées par le Conseil d'État et à améliorer - ou parfaire - la qualité juridique du texte - c'était l'objectif de cette saisine du Conseil d'État.

Le premier chapitre fixe les dates et les modalités de l'ouverture à la concurrence. L'ouverture des services conventionnés est prévue le 3 décembre 2019 et la date impérative pour les services non conventionnés le 14 décembre 2020.

L'article 1er supprime le monopole de SNCF Mobilités en plusieurs temps, pour respecter ces différentes échéances. Pour faciliter la lecture des différents dispositifs d'entrée en vigueur, je vous proposerai des amendements de simplification rédactionnelle qui ne modifient pas les échéances fixées par les auteurs du texte.

L'article 2 comporte trois volets concernant les services conventionnés. Il fixe tout d'abord les obligations de communication des autorités organisatrices aux candidats à un appel d'offres. J'aborderai ultérieurement, en une seule fois, la question des données. L'article 2 fixe également le régime des contrats de service public applicable : pour les concessions - anciennement appelées délégations de service public - l'ordonnance de droit commun s'applique, ce qui n'est pas le cas pour les marchés publics. C'est pourquoi l'article renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de fixer les modalités de passation de ces contrats. Mais il revient au législateur de détailler cette procédure. Un de mes amendements rendra l'ordonnance relative aux marchés publics applicable aux marchés concernant des services ferroviaires. Enfin, l'article 2 exclut explicitement les possibilités de dérogation à l'obligation de mise en concurrence prévues par le droit européen, sauf celle qui concerne la possibilité de mise en régie, laquelle figure déjà dans le code des transports.

L'article 3 affirme clairement le rôle d'autorité organisatrice de l'État pour les services ferroviaires d'intérêt national - il était temps !

Les articles 4, 5 et 6 définissent les modalités de l'ouverture à la concurrence des services qui ne sont aujourd'hui pas conventionnés : les services dits « TGV », même s'ils ne sont pas toujours effectués à grande vitesse au sens strict.

Selon l'Union européenne, toute entreprise ferroviaire doit avoir un droit d'accès au réseau (open access), sous réserve qu'elle obtienne un sillon auprès du gestionnaire du réseau, et que son service ne porte pas atteinte à l'équilibre économique d'un contrat de service public conclu par une autorité organisatrice sur le même trajet. Dans ce dernier cas, ce droit d'accès au réseau peut être limité.

Si l'on ouvre à la concurrence les services TGV sans intervenir, les opérateurs vont se précipiter sur les liaisons les plus rentables, et les autres ne seront plus assurées, même si elles jouent un rôle primordial en matière d'aménagement du territoire.

Pour éviter cet écrémage, l'article 4 prévoit la conclusion, par l'État en tant qu'autorité organisatrice, de contrats de service public octroyant des droits exclusifs pour les services à grande vitesse, en contrepartie de la réalisation d'obligations de service public définies pour répondre aux besoins d'aménagement du territoire.

L'objectif de cet article n'était évidemment pas de couvrir tout le réseau à grande vitesse par ces contrats, ce qui serait incompatible avec le droit d'accès au réseau prévu par le droit européen. Mais l'avis du Conseil d'État indique que la rédaction retenue donne cette impression. En conséquence, je vous propose une nouvelle rédaction de ce dispositif, tout en conservant la démarche, que je soutiens complètement.

L'État doit conclure des contrats de service public combinant des services rentables et des services non rentables, pour continuer à assurer la desserte TGV des villes moyennes sans rupture de charge pour les usagers. À l'inverse, un conventionnement des seules sections non rentables obligerait les usagers à changer de train pour commencer ou terminer leur trajet, ce qui réduirait d'autant l'attractivité du mode ferroviaire par rapport aux autres modes de transport. Et l'ouverture à la concurrence se traduirait par une détérioration de la qualité du service rendu à l'usager, ce qui n'est pas l'objectif recherché. Ce dispositif impliquera évidemment une professionnalisation et un renforcement des services de l'État. Mais il faut savoir se donner les moyens de ses ambitions, surtout en matière d'aménagement du territoire.

L'article 5 met en place le droit d'accès au réseau prévu par la directive : une autorité organisatrice pourra limiter un service s'il porte atteinte à l'équilibre économique du contrat de service public qu'elle a conclu. Mon amendement assure la complète transposition du dispositif prévu par la directive, comme l'a suggéré le Conseil d'État.

L'article 6 comporte des dispositions transitoires, pour conserver le dispositif applicable aux dessertes nationales réalisées dans le cadre de trajets internationaux en attendant la mise en oeuvre effective de la généralisation du droit d'accès au réseau.

Le deuxième chapitre a pour objet de lever tous les obstacles à une « ouverture à la concurrence effective et réussie ». Il ne suffit pas de dire : « le marché est ouvert » pour que de nouvelles entreprises proposent des services, il faut aussi lever les obstacles qu'elles peuvent rencontrer.

Le sujet des données est crucial. Les autorités organisatrices doivent obtenir de la part de l'opérateur historique l'ensemble des données nécessaires à la préparation des appels d'offres. Or, malgré les obligations existantes, les régions rencontrent souvent des difficultés pour obtenir les données dont elles ont besoin. C'est pourquoi l'article 7 crée un dispositif contraignant, à deux niveaux. D'abord, il impose à SNCF Mobilités une obligation générale de communication à l'autorité organisatrice de toute information relative aux services conventionnés, sans que puisse y faire obstacle le secret en matière industrielle et commerciale ; si la protection de ce secret est légitime, elle ne doit pas empêcher la transmission des données indispensables, de façon proportionnée et encadrée.

Ensuite, pour éviter toute contestation du bien-fondé des demandes faites par les autorités organisatrices de la part de SNCF Mobilités, l'article 7 prévoit qu'un décret en Conseil d'État, pris après avis de l'Arafer, fixe une liste non restrictive d'informations qu'une autorité organisatrice est en droit d'obtenir en application de cet article, sans préjudice des autres demandes d'informations que l'autorité organisatrice pourrait être amenée à faire. L'objectif est d'éviter que la transmission de ces données soit bloquée par des contentieux.

Enfin, tout manquement à cette obligation pourra être sanctionné par l'Arafer. Le même dispositif s'appliquera à SNCF Réseau.

Les données récupérées par les autorités organisatrices leur permettront de préparer leurs appels d'offres. De façon logique, elles devront communiquer une partie de ces informations aux candidats aux appels d'offres, pour qu'ils puissent préparer leur candidature. C'est pourquoi l'article 2 prévoit qu'un décret en Conseil d'État, pris après avis de l'Arafer, détermine les informations à transmettre aux candidats, y compris celles qui sont couvertes par le secret industriel et commercial - de façon proportionnée et encadrée. Ce dispositif devrait éviter des contentieux sur la transmission des informations aux candidats et fixer un cadre homogène dans ce domaine important.

L'article 8 fixe les conditions relatives au transfert des salariés entre entreprises ferroviaires, lorsque le contrat d'exploitation d'une ligne ferroviaire est remporté par une nouvelle entreprise. Le périmètre des salariés à transférer sera arrêté par les autorités organisatrices de transport - les régions ou l'État - et sera communiqué aux entreprises souhaitant candidater aux appels d'offres. Je vous proposerai un amendement visant à rendre plus opérationnelle la procédure de désignation des salariés devant faire l'objet d'un transfert vers les nouveaux entrants.

L'article 8 détermine les droits sociaux qui seront garantis aux salariés de SNCF Mobilités transférés. L'ensemble des salariés transférés conserveraient une rémunération annuelle au moins égale à leur rémunération antérieure, appréciée sur la base des douze derniers mois précédant le transfert, ainsi que leurs facilités de circulation. Les salariés sous statut conserveraient leur garantie d'emploi ainsi que leurs droits à la retraite, sous réserve de l'évolution du régime de retraite des agents de la SNCF.

Enfin, l'article 8 prévoit la possibilité pour les salariés auparavant sous statut de réintégrer celui-ci si, à l'issue d'une première mise en concurrence, SNCF Mobilités est de nouveau chargée de l'exploitation d'un service ferroviaire.

L'article 9 réaffirme le caractère automatique du transfert de propriété des matériels roulants de SNCF Mobilités à l'autorité organisatrice, si elle en fait la demande. La loi de 2014 avait déjà introduit une disposition en ce sens, mais sa rédaction devait être améliorée. Il s'agit d'une possibilité offerte à l'autorité organisatrice, et non d'une obligation. Pour les matériels roulants, chaque autorité organisatrice sera libre de choisir l'option la plus adaptée : les matériels pourront aussi, par exemple, être loués ou apportés par les opérateurs.

L'article 10 prévoit le même dispositif de transfert de propriété pour les ateliers de maintenance totalement ou majoritairement affectés à des services conventionnés.

L'article 11 aborde la question importante des gares de voyageurs. L'ouverture à la concurrence impose de séparer SNCF Gares et Connexions de SNCF Mobilités, afin de garantir un accès transparent et non discriminatoire des entreprises ferroviaires à ces installations.

La proposition de loi prévoit de transformer SNCF Gares et Connexions en société anonyme (SA) à capitaux publics, filiale de l'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) « de tête » SNCF. L'État serait, au moment de cette transformation, détenteur de la totalité du capital social de SNCF Gares et Connexions. Puis ce capital pourrait être ouvert à d'autres investisseurs, l'État devant en tout état de cause demeurer actionnaire majoritaire.

Afin de garantir l'indépendance de SNCF Gares et Connexions de SNCF Mobilités et des autres entreprises ferroviaires, la proposition de loi prévoit plusieurs dispositifs, notamment une incompatibilité des fonctions de membre du conseil d'administration de SNCF Gares et Connexions avec celles de membre du conseil de surveillance, du conseil d'administration ou de dirigeant d'une entreprise ferroviaire ainsi que la possibilité, pour l'Arafer, de s'opposer à la nomination du président du conseil d'administration de SNCF Gares et Connexions si elle estime que son indépendance vis-à-vis d'une entreprise ferroviaire n'est pas assurée.

Par ailleurs, la proposition de loi prévoit que SNCF Gares et Connexions et SNCF Mobilités concluent un accord afin d'assurer le transfert des personnels de SNCF Mobilités qui réalisent actuellement des services et prestations en gare vers SNCF Gares et Connexions. À défaut d'accord conclu dans un délai d'un an à compter de la transformation de SNCF Gares et Connexions en SA, les modalités de ce transfert seraient déterminées par voie réglementaire.

L'article 12 autorise l'État à imposer à l'ensemble des entreprises de transport ferroviaire de voyageurs de participer à un système commun d'information des voyageurs et de vente de billets. L'usager pourra acheter un billet unique, même lorsque la prestation de transport sera assurée par plusieurs opérateurs.

Le dernier chapitre, regroupant les articles 13 à 15, comporte des dispositions diverses, tirant les conséquences des articles de la proposition de loi dans le code des transports.

Je me réjouis que nous puissions débattre, au Sénat, sur un sujet aussi important, qui a des impacts sur les usagers comme sur les territoires. En tant que membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, il est indispensable d'attirer l'attention du Gouvernement sur la desserte des territoires.

Je vous invite à soutenir ce texte, abouti, préparé très en amont, après de multiples consultations. De nombreuses dispositions sont partagées par plusieurs acteurs du secteur. Nous pourrons encore l'améliorer en prenant en compte les remarques du Conseil d'État.

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