Le rapport du COR publié en juin 2017, que je vais essayer de vous résumer par plusieurs documents graphiques, propose de nouvelles hypothèses de projection sur le fondement des données démographiques modifiées par l'INSEE en 2016 et des prévisions économiques régulièrement revues par la direction du trésor. Notre rapport de 2016 reposait sur des données de l'Insee datant de 2010, qui prévoyait un indice de fécondité de 1,95 enfant par femme, une espérance de vie à la retraite de 32,3 ans pour les femmes et de 28 ans pour les hommes en 2060 et un solde migratoire positif de 100 000 personnes par an. Désormais, si l'indice de fécondité est demeuré identique, l'Insee prévoit une espérance de vie à la retraite de 32,5 ans en 2060 et de 33,6 ans en 2070 pour les femmes, ces chiffres s'établissant respectivement à 29,7 ans et à 31 ans pour les hommes. Pour mémoire, ils atteignaient, en 2010, 27,8 ans pour les femmes et 23,2 ans pour les hommes. Quant au solde migratoire annuel, il est revu à la baisse à 70 000 personnes, mais il reste particulièrement délicat à prévoir à long terme dans la mesure où il dépend grandement de décisions politiques. Il peut, en outre, être observé un recul régulier du ratio de dépendance démographique (ratio entre actifs et personnes à la retraite), qui marque un changement fondamental d'équilibre entre générations et pèse lourdement sur notre système de retraite.
Les hypothèses économiques réalisées par la direction du trésor sont au coeur de nos projections, dans la mesure où notre système de retraite est étroitement corrélé à la croissance : les pensions sont indexées sur les prix, tandis que les recettes dépendent des salaires. La croissance est elle-même envisagée en fonction de la double évolution de la productivité horaire du travail et de la population active. Entre les mois de juin 2016 et de novembre 2017, les hypothèses économiques relatives au PIB effectif et potentiel - c'est-à-dire corrigé des effets de conjoncture -, comme à l'écart de production, ont évolué et déjà, les nouveaux chiffres sont caducs dans la mesure où l'Insee a prévu une croissance de 2 % du PIB en 2017, contre 1,7 % envisagé initialement. La croissance du PIB potentiel ayant, selon les données de l'automne 2017, été revue à la baisse (1,25 % au lieu de 1,4 % par exemple pour 2018), les résultats de nos projections en ont été fortement dégradés. Sur la base d'une estimation du taux à chômage de 7 % et d'une évolution variable du PIB en volume, le COR a établi une estimation de la croissance annuelle de la productivité après 2032 allant de 1 % à 1,8 % selon quatre scénarii. Le même exercice a été réalisé en faisant varier le taux de chômage à 4,5 % et à 10 %. Ces projections font l'objet de vifs débats entre économistes selon le poids donné par chacun à la révolution des technologies de l'information et de l'intelligence artificielle sur la croissance et à ses conséquences sur le taux d'emploi. Si les hypothèses économiques, établies par consensus entre les membres du COR, se veulent raisonnables, reste que nul ne peut prédire avec certitude l'évolution démographique, le rythme du progrès technique et, partant, la variation de la productivité du travail. De fait, le choix d'une hypothèse de référence pour fonder une éventuelle réforme du système de retraite ressort d'une responsabilité politique, le COR se contentant de fournir un spectre des possibles pour permettre de discuter ce choix.
Les perspectives financières du système de retraite dépendent à la fois de l'évolution de ses dépenses et de ses ressources. Dans le scénario le plus défavorable établi par le COR, selon lequel la croissance annuelle de la productivité se limiterait à 1 % après 2032, les dépenses de retraites, qui représentent actuellement 14 % de la richesse nationale, atteindraient 14,5 % du PIB en 2070. Dans les trois autres scénarii, la charge des retraites diminue, jusqu'à 11,7 % du PIB selon les prévisions les plus optimistes. Ce résultat dépend d'un double déterminant : la pension moyenne relative au revenu d'activité (de 52 % en 2017, elle pourrait reculer, selon les scénarii, entre 33 % et 41 % en 2070), et le rapport entre les effectifs des cotisants et ceux des retraités de droit direct, qui pourrait passer de 1,74 % à 1,27 % sur la période. De fait, même dans le scénario le plus défavorable, les dépenses de retraites ne dérapent pas, grâce aux réformes réalisées ces dernières années : l'indexation des pensions sur les prix, l'augmentation de l'âge de la retraite et le durcissement des conditions de départ.
Les ressources du système de retraite (13,8 % du PIB aujourd'hui) devraient diminuer en proportion dans les années à venir, pour s'établir entre 12,7 % et 12,8 % à taux de cotisations constant. Cette relative stabilité pourrait en revanche être remise en cause sous l'effet de mouvements de structure majeurs. Les ressources sont en effet déterminées à la fois par le taux de prélèvement sur l'ensemble des revenus d'activité des secteurs public et privé (31,2 % en 2017, puis entre 28,8 et 29,2 % en 2070) et par la part de la fonction publique dans la masse salariale totale, qui pourrait chuter de 11,1 % à 8,3 % sur la période. Dès lors, dans la mesure où les taux de cotisations de la fonction publique, notamment de la contribution des employeurs, est supérieur à celui du privé, tout recul de la proportion de fonctionnaires au sein de la population active fragilise les ressources du système de retraite. Or, le Gouvernement prévoit une diminution de 120 000 du nombre d'agents publics et une évolution des traitements moins dynamique que dans le privé.
Le solde financier du système de retraite, soit la différence entre le niveau de dépenses et le niveau de ressources, est en 2017 de - 0,2 % du PIB. Il pourrait varier selon les scénarii, de + 1 % à - 1,7 % en 2070, dans l'éventualité où la contribution de l'État au financement du système diminuerait de 2,1 % à 1,4 % du PIB compte tenu de l'évolution à la baisse du nombre de fonctionnaires. Si elle était maintenue au niveau actuel de 2,1 % du PIB, le solde financier s'établirait, en revanche, entre + 1,7 % et - 1 %, toujours selon les scénarii de croissance de la productivité au travail, un seul scénario (1 % de croissance de la productivité) prévoyant alors un solde négatif, contre deux (1 % et 1,3 %) dans l'hypothèse précédente. La variation du solde financier du système de retraite est, en outre, sensible au taux de chômage envisagé à partir de 2032. En conséquence, quand la réflexion publique et les commentaires journalistiques se concentrent sur le niveau du solde, il faut avoir à l'esprit qu'il dépend en réalité très largement d'hypothèses relatives à la fonction publique et à la contribution de l'État aux retraites. La question de la part des dépenses destinées au financement des retraites dans le PIB me semble donc plus pertinente : quel effort doit-on demander aux actifs pour financer les retraites ? En effet, si les dépenses de retraite ne dérapent plus, voire se réduisent dans la majorité de nos scénarii, cela ne signifie nullement qu'elles se situent à un niveau satisfaisant. Deux éléments permettent d'apprécier ce niveau : d'une part, l'effet économique de l'effort demandé aux actifs sur le coût et l'incitation au travail et, d'autre part, le rapport entre dépenses de retraite et préférence sociale de la population pour tel ou tel système. En d'autres termes, combien les actifs seraient-ils prêts à cotiser, pour quelle durée et pour quel montant de pension ? La réponse à ces questions est, certes, économique, mais surtout éminemment politique.