J'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui mon rapport sur la proposition de loi visant à proroger l'expérimentation relative à la tarification sociale prévue par la loi du 15 avril 2013, dite « loi Brottes ». Cette expérimentation s'appuie sur l'article 72 de la Constitution, qui permet au législateur d'autoriser les collectivités ou leurs groupements à déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions qui régissent l'exercice de leurs compétences.
L'objectif de l'expérimentation créée en 2013 est d'identifier des solutions pour mettre en oeuvre le droit à l'eau, inscrit dans le code de l'environnement depuis 2006 et prévoyant l'accès de toutes les personnes physiques à l'eau potable pour leurs besoins essentiels, dans des conditions économiquement acceptables par tous.
L'accès à l'eau potable reste un enjeu de grande ampleur car, d'après un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable de 2011, la population française pour laquelle la facture d'eau et d'assainissement dépasserait le seuil d'acceptabilité, estimé à 3% du revenu, serait de 2 millions d'habitants.
L'expérimentation autorise ainsi les collectivités organisatrices du service public d'eau potable et volontaires à déroger à certaines dispositions en vigueur, pour mettre en place une tarification dotée d'une dimension sociale, verser des aides aux usagers via leur budget général, ou encore accroître leur contribution au fonds de solidarité pour le logement (FSL) afin de résorber les impayés.
Les collectivités et groupements intéressés devaient prendre une délibération en ce sens et la transmettre au préfet de département au plus tard le 31 décembre 2014. Au total, 50 collectivités et groupements ont été identifiés par deux décrets successifs en avril et juillet 2015 et 47 se sont effectivement engagés dans l'expérimentation.
Les collectivités concernées présentent des profils très variés en termes d'importance démographique et de caractéristiques locales. C'est précisément la diversité de cet échantillon qui fait la richesse de l'expérimentation. Ainsi, lors de mes auditions, j'ai rencontré des représentants de communes, d'EPCI à fiscalité propre et de syndicats, issus de territoires aussi bien urbains que ruraux, certains caractérisés par une part importante de logements collectifs, d'autres encore par un nombre élevé de résidences secondaires.
La durée de l'expérimentation était fixée à cinq ans par la loi de 2013, soit une application jusqu'au 15 avril 2018. Toutefois, comme le relève un rapport d'étape du Comité national de l'eau (CNE) publié en 2017, l'expérimentation a fait l'objet d'une mise en oeuvre très progressive.
Ainsi, en avril 2017, soit un an avant l'échéance fixée par la loi Brottes, seulement la moitié des projets étaient mis en oeuvre. Ce décalage s'explique par le temps nécessaire, d'une part à l'État pour mettre en place le cadre général de l'expérimentation, et d'autre part à chaque collectivité pour définir les solutions les plus adaptées au contexte local et les déployer.
Comme le souligne le CNE dans son rapport : « Sans prolongement de l'expérimentation, légalement engagée pour une durée de cinq ans, les délais de mise en oeuvre des projets font que les collectivités ne disposeront d'au mieux que de trois ans de recul pour évaluer l'efficacité et l'efficience de leur dispositif, la plupart ne disposant que d'une ou deux années pour expérimenter leur dispositif ». S'il est donc trop tôt pour faire un bilan complet de cette expérimentation, les premières années de mise en oeuvre permettent déjà d'identifier quelques points saillants.
La modulation tarifaire ne semble avoir été qu'appliquée qu'en présence d'une part significative d'abonnés individuels, dotés de compteurs. En présence d'habitat collectif, et donc le plus souvent d'usagers non abonnés, les solutions privilégiées sont le versement d'aides, afin de permettre aux foyers concernés de régler tout ou partie de leurs dépenses liées à l'eau, ou le renforcement de l'approche curative, via des aides accrues au FSL ou par les centres communaux d'action sociale (CCAS).
Dans les territoires permettant une approche tarifaire mais caractérisés par une part importante de résidences secondaires, la modulation via la gratuité d'une première tranche ou une progressivité tarifaire a été généralement écartée, en privilégiant une exonération de la part fixe et parfois un allègement complémentaire sur la part variable.
Certains territoires ont choisi de mettre en place une tarification à la fois environnementale et sociale, comme le syndicat des eaux du Dunkerquois, avec des résultats prometteurs, à la fois en termes d'économie d'eau et de solidarité.
L'identification de la population bénéficiaire de la tarification ou des aides s'est majoritairement appuyée sur des critères de revenu, comme la couverture maladie universelle complémentaire (CMUc) ou le revenu de solidarité active (RSA). Les critères de composition des ménages ont été le plus souvent retenus en complément des critères de revenu.
La loi Brottes prévoit que les organismes de sécurité sociale et de gestion des aides sociales ou des aides pour le logement transmettent les données nécessaires à la mise en place du dispositif, après consultation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Il m'a été indiqué à plusieurs reprises que la capacité à établir cette coopération entre collectivités et organismes de sécurité sociale a été très variable d'un territoire à l'autre. De fait, la source d'informations à caractère social la plus accessible a souvent déterminé le système mis en place, plutôt que l'inverse, ce qui appelle un effort d'harmonisation et de coordination.
Sur d'autres points, les données disponibles et les retours d'expérience sont encore trop limités. S'agissant du coût de gestion des différents dispositifs mis en place, les résultats restent trop hétérogènes pour distinguer une solution optimale, d'autant plus qu'il faut mettre ce coût en regard de l'efficacité du dispositif, en particulier en termes de recours effectif aux aides lorsqu'il s'agit d'un système déclaratif.
De même, nous ne disposons pas encore d'enseignements fiables sur l'évolution du nombre d'impayés suite à la mise en place de ces dispositifs. L'objectif du législateur lors de l'adoption de la loi de 2013 était notamment de renforcer le volet préventif des aides, afin de réduire en aval les cas d'impayés. Sur ce point toutefois, les représentants de plusieurs collectivités ont souligné que les impayés n'émanent pas nécessairement des populations les plus fragiles sur le plan financier.