Même si les mutilations interviennent à des âges très précis dans certains pays, il arrive également que des femmes soient excisées alors qu'elles ont plus de vingt ans, comme cette jeune femme que j'ai reçue récemment : elle a refusé un mariage forcé et a été excisée à 22 ans. Il semble donc peu pertinent de parler de profil type.
Docteur Pierre Foldès. - L'Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la violence comme une « menace ou utilisation intentionnelle de la force physique ou du pouvoir contre soi-même, contre autrui ou contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fortement d'entraîner un traumatisme, un décès, des dommages psychologiques, un mal-développement ou des privations ». C'est exactement le cas des mutilations sexuelles.
On considère que 160 millions de femmes sont mutilées dans le monde, réparties dans 85 pays, et que 3 millions de fillettes encourent un risque chaque année. En France, un peu plus de 60 000 femmes sont concernées.
Ces mutilations sont pratiquées autour de la ceinture péri-sahélienne, mais elles apparaissent dans d'autres pays, notamment en Asie, en Indonésie, en Inde, aux Philippines, sur les Hauts Plateaux du Vietnam, en Colombie, au Venezuela et dans tous les pays d'immigration, comme les États-Unis, l'Australie et l'Europe, dont la France.
En Afrique, on distingue deux zones : l'Afrique de l'Ouest, où l'on rencontre des types particuliers de mutilations, et l'Afrique de l'Est, où se pratique l'infibulation. Les réponses, qu'elles soient médicales ou politiques, dépendent du type de mutilation. Le monde anglo-saxon réagit de façon un peu différente, car il n'a pas du tout le même type d'immigration que la France, et donc pas le même type de mutilations.
Les raisons pour lesquelles l'excision est pratiquée sont extrêmement variables. C'est un crime d'homme, né de la peur primale qu'ont les hommes de la sexualité féminine : ils ont voulu la contrôler et ont inventé cette arme terrifiante qu'est la mutilation du clitoris.
L'excision existe depuis vingt-sept siècles. Elle n'est pas un rituel de passage à l'âge adulte. Elle n'est pas du tout d'origine religieuse, même si elle est un peu plus fréquente dans certains pays musulmans, pour des raisons de domination de la femme. Elle ne figure pas dans le Coran. Dans les pays des religions du Livre, la mutilation existait bien avant. Cette pratique ne dépend pas non plus du niveau d'instruction. Au Nigéria, les femmes des couches les plus éduquées sont plus mutilées que les autres.
Dans un certain nombre des pays d'où proviennent les immigrants en France, comme le Mali et le Sénégal, l'excision est un peu plus d'origine rurale. En Afrique centrale, notamment au Nigéria, les petites filles des villes sont plus souvent mutilées.
Mutiler les organes génitaux d'une petite fille est un acte violent, à la fois physique, psychique et sexuel. C'est une atteinte aux droits de l'enfant. Les aspects juridiques se mêlent aux problèmes de santé. Il est très important de considérer une victime dans sa globalité et de prendre en compte toutes les atteintes qu'elle a subies. Ces mutilations sont également un acte de discrimination envers le genre féminin, un acte contraire à la loi, et pas seulement à la nôtre. La totalité des pays où se pratique ce crime - en France, on parle de crime - ont signé le protocole de Maputo1(*), qui les engage formellement à mettre fin à ces mutilations. Ces pays sont donc en contradiction avec leur propre loi. Les mutilations génitales sont des actes ayant de graves conséquences sur la santé et sont donc un problème de santé publique.
Lorsque nous avons essayé de réparer le clitoris il y a un peu plus de vingt-cinq ans, nous nous sommes aperçus que nous étions en fait, en quelque sorte, les premiers « exciseurs ». Le clitoris n'existait absolument pas dans la littérature médicale ! En tant qu'urologue, j'avais cent techniques pour réparer une verge, mais il n'existait rien pour le clitoris, sauf éventuellement pour l'enlever, comme cela s'est fait à l'égard de femmes qualifiées d'hystériques aux États-Unis. Or quand on veut réparer un organe, il faut d'abord savoir comment il est fait et comment il fonctionne.
Le clitoris est composé d'une double arche, le corps du clitoris, ancré sur le bassin. Ses arches se rejoignent à l'avant pour donner le gland, seule partie émergente et visible, que l'on appelle faussement le clitoris. Le clitoris, c'est l'ensemble de cet organe. Il mesure 11 centimètres, il est aussi grand qu'un pénis, mais un peu plus compliqué. Une deuxième arche entoure l'entrée du vagin et contrôle une grande partie de la sexualité féminine.
L'excision consiste à couper de façon tangentielle la partie émergente. Ses conséquences sont plutôt graves, car cette pratique emporte une partie du gland et du genou du clitoris. Il est important d'étudier la physiopathologie, car cela permet de comprendre la gravité des mutilations et des complications qu'elles induisent, mais également pourquoi il est possible de les réparer. Nous avons vu à Women Safe 15 000 femmes mutilées en consultation, nous en avons réparé 6 000. Nous avons étudié les parties blessées, nous nous sommes entretenus avec des exciseuses, nous avons réalisé des autopsies, des dissections anatomiques. Aujourd'hui, l'échographie et les IRM nous permettent de mieux voir ce qui se passe et de montrer aux femmes ce qu'elles ont exactement.
L'OMS distingue trois types de mutilations, plus ou moins graves en fonction de leur profondeur. Il faut absolument oublier cette classification. Certaines mutilations prétendument minimes peuvent avoir des conséquences terribles ; d'autres, très graves, permettent paradoxalement de conserver une sexualité.
On le voit à l'échographie, après mutilation, la majorité du gland du clitoris subsiste, ses vaisseaux sont intacts. C'est pour cela qu'on peut le réparer. Le clitoris, après l'excision, est désinséré de la peau. Un magma cicatriciel se crée, qui le colle à l'os du pubis en arrière. Les nerfs sont toujours là et il est possible de reconstituer le gland, mais en fait les conséquences de la mutilation sont très graves, car le fait d'attacher le clitoris à l'os du pubis, qui est normalement mobile et indépendant, aura de nombreuses conséquences.
Lors des rapports, l'ensemble de la vulve bouge. Après une excision, ces mouvements ne sont plus possibles, ce qui rend les rapports très douloureux, voire impossibles dans certains cas.
Même si les exciseuses d'Afrique de l'Ouest prétendent ne pas infibuler - l'infibulation consiste à fermer la vulve -, dans 80 % des cas environ, elles blessent les petites lèvres qui vont ensuite se coller, fermer la partie supérieure de la vulve et diminuer sa hauteur. En conséquence, lors d'un accouchement, la tête du bébé fait éclater le périnée postérieur. Le « simple » geste de mutilation détruit donc en fait trois étages de la vulve. Ensuite, chaque rapport, chaque accouchement sera source de nouvelles complications. La somme de ces complications successives entraîne un traumatisme beaucoup plus grave qu'on ne l'imaginait.
Aujourd'hui, 25 % des petites filles sont mutilées avant l'âge de trois ans. Dans cette tranche d'âge, le taux de mortalité immédiate à la suite des mutilations est de 10 % à 15 %. La majorité des petites filles sont mutilées entre l'âge de trois et dix ans. Enfin, 15 % des mutilations sont pratiquées au-dessus de dix ans. Ces mutilations sont en croissance. On en voit beaucoup en France. Les femmes originaires du sud du Burkina Faso, de la Côte d'Ivoire, de Guinée sont mutilées de plus en plus tard, parfois à l'âge de vingt-cinq ans, parfois plusieurs fois, avec les conséquences psychologiques que vous pouvez imaginer.
Les complications immédiates des mutilations sont très nombreuses : infections gynécologiques, problèmes urinaires parfois gravissimes, blessures, saignements, transmission du HIV, problèmes psychologiques.
Dans certaines excisions, très graves, les tissus superficiels ne sont pourtant pas touchés. Les prétendus experts considèrent dans ce cas que la vulve est normale. La femme ayant subi ce type de mutilation aura le plus grand mal à la faire reconnaître. Pour juger, établir un certificat, il faut vraiment s'y connaître. Il est donc nécessaire de former les gens sur ces mutilations.