Intervention de Frédérique Martz

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 22 mars 2018 : 1ère réunion
Audition des co-fondateurs de women safe — Institut en santé génésique le docteur pierre foldès urologue et frédérique martz directrice générale sur les mutilations sexuelles féminines et le fonctionnement de l'institut

Frédérique Martz :

Vous aurez compris que notre travail, à l'Institut, est facilité par le fait que nous sommes sûrs de cette technique chirurgicale, inventée par un chirurgien.

Que veulent les femmes qui arrivent à l'Institut ? Elles veulent libérer la parole, savoir, comprendre et partager. Qui nous les adresse ? La Cimade, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), l'Aide sociale à l'enfance (ASE), les services d'urgence, les forces de police, le GAMS, le comité de lutte contre l'esclavage moderne... : autant dire des structures très diverses. Elles peuvent aussi être orientées par le Docteur Foldès lui-même, après qu'il a reçu ces femmes. Nous avons accueilli, depuis l'ouverture de l'Institut, 685 femmes excisées et 42 enfants accompagnants. Trois filles mineures nous ont été adressées par l'ASE. Beaucoup de ces femmes connaissent la mutilation dont elles sont victimes et la chirurgie réparatrice, dont le Docteur Foldès les a informées.

Nous sont également adressées des femmes pour des situations de violences conjugales ou des violences subies lors de leur parcours migratoire : elles représentent 60 % des femmes excisées directement reçues par l'Institut.

L'orientation peut également être le fait d'un travailleur social, d'une sage-femme du Centre de Planification ou de la PMI par exemple, qui détectent des problèmes de santé globaux, comme des maladies infectieuses, susceptibles d'être liées à la mutilation sexuelle.

Des femmes nous sont aussi adressées à la suite d'une détection de problèmes d'insertion sociale, qu'ils soient administratifs ou d'hébergement - 65 % des femmes arrivent en cours de régularisation et sont hébergées au 115 ; 15 % vivent déjà sur le territoire depuis deux ans en moyenne, mais ne sont pas déclarées auprès des services sociaux. Elles sont souvent hébergées de manière très précaire et nous arrivent dans l'urgence, parce que leur hébergeur veut qu'elles partent ou qu'elles se prostituent. Certaines femmes cumulent plusieurs de ces difficultés - problèmes d'hébergement, violences, maladie.

Ces femmes sont demandeuses de soins, elles veulent protéger leurs enfants et ceux à venir. Nous avons reçu, à ce jour, 21 filles mineures en risque d'excision, accompagnées de leurs parents, voire orientées par la PMI, et 10 enfants co-victimes, témoins de violences conjugales et potentiellement en risque d'excision. De nombreuses femmes excisées nous arrivent d'Italie, au terme d'un parcours migratoire qui les amène en France principalement parce que la langue française leur est plus proche que l'italien.

Nous les prenons en charge à trois niveaux. Le premier est sanitaire, pour le dépistage de traumatismes et sévices subis dans le parcours migratoire, mais aussi de pathologies générales ; pour la prise en charge de syndromes post-opératoires et plus généralement traumatique, somatique, gynécologique. Parmi ces femmes, 49 % n'étaient couvertes que par l'aide médicale d'État (AME), ce qui n'est pas sans poser de difficultés. La chirurgie réparatrice n'est pas forcément leur demande, puisqu'elles peuvent nous arriver sans être au courant qu'elles sont excisées. Nous les amenons à réfléchir sur les violences qu'elles subissent et, si leur pays d'origine peut laisser soupçonner une excision, nous les orientons vers le Docteur Foldès, pour vérification.

Le deuxième niveau de prise en charge est juridique. Vous savez que c'est la Justice, en France, qui a amorcé ce combat et criminalisé la pratique. Cependant, moins de 2 % de ces femmes souhaitent déposer une plainte. Les filles ne veulent pas déposer plainte contre leurs parents, et il est rare qu'en cas de violences subies durant le parcours migratoire, souvent des viols, ces femmes souhaitent judiciariser leur situation.

Elles ne sont pas non plus en demande, bien souvent, d'écoute psychologique, ce qui peut paraître surprenant. Elles ont d'autres références. « Je ne suis pas folle », disent-elles, et elles ont raison de le dire, mais nous n'en prenons pas moins en charge le post-trauma quand elles recourent à une intervention chirurgicale de réparation.

Le troisième niveau de prise en charge est social, même si ce n'est pas notre mission de départ. Nous nous soucions de l'hébergement, de la prise en charge des enfants, en les orientant vers les PMI, l'aide sociale, vestimentaire, alimentaire.

Lorsque ces femmes prennent conscience qu'elles sont excisées et qu'il existe des solutions, ce qui peut demander du temps (entre six mois et un an), trois femmes sur cinq demandent à bénéficier d'une chirurgie réparatrice. Même si ces femmes ne sont pas en demande, tant il est vrai que les impacts psychiques de l'excision sont difficiles à maîtriser, nous contrôlons l'aspect médical de leur situation - fuites urinaires, règles douloureuses et autres symptômes qui les mettent en difficulté sociale sans qu'elles les lient nécessairement à l'excision - afin de vérifier le bien-fondé d'une chirurgie réparatrice.

Dans l'expression de leur ressenti, on retrouve l'idée d'une insensibilité, d'un plaisir sexuel dont elles ne savent pas ce qu'il est, et la manifestation d'un désir d'être « entières », car comme dans toute amputation, le membre fantôme se manifeste très fortement.

La chirurgie réparatrice est une réponse possible. Longtemps, elle a été remise en question, au motif que la possibilité de réparer ferait perdurer la tradition ! La technique chirurgicale a trouvé sa voie par une expertise pointue, qui seule permet d'engager la pratique, car un échec se traduit par une double peine pour la femme - le Docteur Foldès, qui a été amené à opérer pour des réparations mal faites, peut en témoigner.

Nous militons pour une prise en charge globale, car ces femmes souffrent de douleurs psychologiques et physiques. Aucune chirurgie ne peut être entreprise sans un engagement de la femme, qui doit clairement avoir conscience qu'il s'agit d'un parcours, avec son trauma post-opératoire, et qu'elle ne sortira pas immédiatement du bloc comme une femme neuve. D'autant qu'il faut aussi tenir compte des grossesses et des accouchements qui ont pu provoquer des problèmes physiologiques, des déchirures, etc.

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