Le problème se pose différemment avec les femmes excisées en Afrique et qui vivent en France. Celles qui ont des références africaines fortes refusent plus fréquemment le suivi psychologique, alors que les femmes excisées en France sont plus volontiers en demande de chirurgie réparatrice.
Notre souci est d'avoir égard à l'éthique, de respecter l'autonomie de ces femmes, leur demande de liberté, de ne pas nuire à leur volonté d'être enfin libres, de vivre leur intégrité, de respecter leurs droits fondamentaux, bafoués lorsqu'elles étaient enfant. Une femme nous a dit un jour que plus que son excision, c'est son mariage forcé qui l'a traumatisée. Bien des femmes ne se souviennent plus de leur excision, mais leur mariage forcé est en revanche très présent. À une gynécologue qui essayait d'évoquer avec elle son adolescence, l'une de ces femmes a aussitôt répondu qu'elle n'avait eu ni enfance ni adolescence, ayant été mariée et mère très jeune. Quand ces femmes ont été excisées, leur sexualité a été arrêtée, et elles ne parviennent pas à avoir un regard sur leur corps et leur évolution en tant que femmes. Nous nous efforçons de les amener à faire peu à peu un retour en arrière.
Ces femmes veulent parler et pérenniser la parole. Même si elles ne veulent pas entrer dans une prise en charge psychologique, elles ont besoin de parler, et tant mieux. L'Institut est le lieu où elles libèrent pour la première fois la parole sur leur sexualité. Dans les groupes de parole mixte que nous organisons, avec des femmes victimes de toutes formes de violences et des femmes qui ne sont pas excisées, celles qui le sont parlent énormément de leur sexualité. Leur volonté est de se mettre à distance de l'origine rituelle et de leur propre souffrance, de surmonter leur perte d'estime de soi, de mieux connaître la sexualité. Les consultations gynécologiques permettent de débloquer certaines situations de refus ou d'appréhension du premier rapport sexuel après une chirurgie. Même si ces femmes ont parfois déjà des enfants, elles ne sont pas pour autant libérées dans leurs relations sexuelles, qui restent très subies. Elles cherchent à connaître un plaisir qu'elles n'ont jamais eu et nous demandent ce qu'est un orgasme.
L'éducation thérapeutique que nous mettons en oeuvre vient s'inscrire dans une approche singulière et collective, incluant l'entourage et le conjoint, que nous faisons entrer dans un dialogue sur la sexualité du couple dès lors que la femme a choisi d'être réparée d'une mutilation. Car certains hommes acceptent la réparation, mais n'en savent pas le pourquoi et ne se rendent pas compte que la sexualité est douloureuse pour leur femme. Nous les amenons à réfléchir à une sexualité plus harmonieuse.
Notre indicateur de réussite est dans le processus de réparation et le retour à la parole publique, sans tabou sur leur mutilation.
Comment lutter contre l'excision ? nous demande-t-on souvent. Je crois que 100 % des femmes qui ont vécu un avant et un après de la réparation sont en capacité de protéger, bec et ongles, leurs petites filles et de convaincre leur conjoint.
Nous protégeons beaucoup d'enfants en danger potentiel en cas de retour au pays ; nous faisons énormément de certificats médicaux.
Beaucoup de femmes, récemment entrées sur le territoire français après avoir fui des violences au pays, se retrouvent très rapidement enceintes, et nous arrivent. C'est que ces femmes ne peuvent s'imaginer sans un homme, sans des enfants. Elles ne prennent pas de recul dans cette relation et s'imposent des rapports et des grossesses malgré toutes les violences qu'elles ont subies.