Intervention de François Grosdidier

Commission d'enquête état des forces de sécurité intérieure — Réunion du 21 mars 2018 à 14h15
Table ronde d'associations de l'« entente gendarmerie »

Photo de François GrosdidierFrançois Grosdidier, rapporteur :

Notre commission d'enquête a été constituée après l'expression d'un mouvement de colère dans la police, en dehors du champ syndical. Il ne semble pas y avoir eu de mouvement symétrique dans la gendarmerie. Il fait notamment suite à une série de suicide chez les policiers. La gendarmerie a également été touchée - dans une moindre mesure.

Les causes de ce malaise sont multifactorielles et certaines sont partagées par la police et la gendarmerie : la question du sens de leur action, l'insuffisance des moyens, la question d'une réponse pénale adaptée, les difficultés d'exercice des missions liées à des insuffisances budgétaires sur le long terme.

La gendarmerie possède des spécificités en raison de son appartenance au corps militaire. Peut-être est-ce la raison pour laquelle elle résiste mieux à l'adversité que les policiers dont beaucoup sont victimes de ce que l'on a appelé le syndrome de Magnanville.

En ce qui concerne les suicides, qu'a-t-il été fait pour la prévention des risques psycho-sociaux ? Comment peut-elle être améliorée ? Nous nous intéressons également aux conditions de travail et de vie, qu'il s'agisse de l'armement, de l'informatique, ou du logement des familles.

Comment expliquer qu'il n'y a pas eu d'expression de colère chez les gendarmes, même si par le passé les familles de gendarmes se sont exprimées ? En ce qui concerne les conditions sociales, où en est-on de l'application du protocole social dit « PPCR » signé le 11 avril 2016 ?

Pouvez-vous nous parler des lourdeurs de procédures qui mobilisent aujourd'hui l'essentiel du temps de nos forces de sécurité ? On dit ainsi que les deux tiers du temps sont désormais consacrés à la procédure, contre un tiers au terrain. La gendarmerie aurait fait des propositions dans le cadre de chantiers de la justice. Or seules un dixième d'entre elles auraient été prises en compte. Il faut trouver le moyen de faire revenir le gendarme sur le terrain, ce qui constitue son ADN. Mais, pour cela il est nécessaire de leur dégager du temps.

Y a-t-il par ailleurs une insuffisance de la réponse pénale ?

Enfin, on sait que 2 500 postes devraient être créés dans la gendarmerie. Toutefois, ils ne suffiront pas à faire face aux conséquences de l'application de la directive travail, qui devrait entraîner une diminution de 6 000 ETP.

Général Edmond Buchheit, président du Trèfle. - Le trèfle représente les officiers de gendarmerie. Toutefois, je parlerai ici au nom de mon expérience personnelle. Mais, si j'évoquerai le ressenti actuel, je ne peux pas mettre en face des réalités précises, n'étant plus en service.

En ce qui concerne les suicides, il est difficile de comparer la police nationale et la gendarmerie nationale. En effet, les effectifs et les chiffres sont très différents. En outre, ces derniers ne prennent pas en compte les tentatives de suicide. La gendarmerie nationale a fait un travail important à ce sujet. Des groupes de travail ont été mis en place, en s'inspirant d'initiatives locales, le commandement s'est mobilisé. Ces cellules jouent un rôle fondamental, mais que l'on ne peut traduire en chiffres. En outre, les raisons professionnelles sont rarement la cause principale de suicide, même si cela peut jouer. À mon avis, pour pouvoir évaluer le malaise, il faut s'intéresser aux arrêts maladie. Au constate en effet, dans la gendarmerie, quelques temps avant la survenance de crises, une augmentation des arrêts maladie. Concrètement, le chiffre est aux alentours de 3% et est resté stable, sauf à la veille de la crise de 1989. Cela a également été le cas par exemple en 1993.

L'état d'esprit reste bon dans la gendarmerie nationale, en comparaison de ce qu'il était à la veille de la crise de 2001 où on sentait que cela n'allait pas.

Toutefois, il y a un ressenti de non-compréhension et d'insatisfaction du personnel. Il y a en effet un décalage entre ce qui est demandé au gendarme et les moyens qu'on lui alloue. Beaucoup ont l'impression de faire un travail qui ne suffit pas. Le traitement des petites affaires est également source d'insatisfaction : il y a un manque d'effectifs et de moyens.

Vous avez évoqué le protocole social. Certains personnels ont l'impression d'être moins bien traités que la police nationale. Je donnerai juste un exemple. La clé de répartition des 10 000 effectifs supplémentaires entre 2 500 postes pour la gendarmerie, et 7 500 pour la police n'est pas comprise. Certes il faut augmenter les moyens du renseignement. Mais la gendarmerie fait aussi du renseignement. En outre, on m'a dit qu'il y avait des différences d'exécution du protocole social entre la gendarmerie nationale et la police.

Troisièmement, le personnel est rattrapé par la baisse des effectifs de la RGPP de 2007. Les annonces récentes qui ont été faites ne permettront pas de revenir aux effectifs antérieurs à la RGPP. On a en effet imposé une diminution de 6 200 effectifs à la police et à la gendarmerie nationale, alors que les effectifs totaux de chacun sont très différents.

Quatrièmement, la réserve dispose de moins de moyens qu'auparavant. Cela ne se voit pas au premier abord, mais cela entraîne également un ressenti négatif.

En ce qui concerne la police judiciaire, l'impression d'absence de réponse pénale joue, tout comme la lourdeur des procédures.

Il est important de bien écouter la base, notamment pour des modifications pratiques de la politique pénale. Sinon, le projet de loi risque, en voulant simplifier les procédures, de les complexifier au contraire.

En conclusion, je dirai que l'on sent une tension. Je ne sais pas très bien à quel degré elle se situe, mais je recommande au commandement de bien écouter.

Général Jean Collin, Président des amis de la gendarmerie. - Avant tout, je souhaite indiquer que je n'ai pas la prétention de représenter le commandement. Les amis de la gendarmerie regroupent d'anciens gendarmes, mais aussi des parlementaires, des ouvriers et des ingénieurs.

Pour comprendre la réaction de la gendarmerie nationale, il faut avoir à l'esprit que le gendarme est loyal, en ce sens qu'il va travailler avec le budget donné et exécuter au mieux les missions qui lui sont confiées. Un militaire fait passer la mission avant tout, même si le budget et les effectifs alloués ne sont pas au rendez-vous. Toutefois, il est très attentif à deux choses. La première est la justice : les sacrifices qu'il consent sont-ils justes ? La deuxième est l'équité, par rapport aux autres militaires, mais aussi avec nos collègues de la police nationale.

C'est une remise en cause de ces deux points qui ont conduit aux tensions. Ainsi, en 2001, l'élément déclencheur a été l'équité.

En ce qui concerne le logement et l'immobilier de la gendarmerie, on nous a parlé d'un plan d'urgence immobilier : 100 millions d'euros par an pendant la durée du quinquennat. En entendant cela, j'hésite entre trois rédactions : le rire, les pleurs ou la colère. Afin d'apprécier les besoins, je recommande de discuter avec des bailleurs sociaux ou des sociétés d'immobilier et de leur poser trois questions. Il faut tout d'abord les interroger sur leurs besoins pour l'entretien courant des logements. Il faut compter 10 euros par mètre carré, qu'il faut multiplier par les 12 millions de mètre carré de logements de gendarmerie loués. À cela s'ajoute la maintenance que doit assurer tout propriétaire en prenant en compte la vétusté de notre parc. Ces sociétés estimeraient le coût à 15 à 20 euros le mètre carré, à multiplier par les 6,5 millions de mètres carré de nos casernes. Enfin, il y a la capacité de construction, restructuration ou modélisation de logement. À ces trois points s'ajoute la question de savoir si la gendarmerie à des besoins spécifiques, par exemple des centres opérationnels ou la construction d'une nouvelle école à Dijon. Au final, pour avoir sur la durée un parc satisfaisant, il faut compter un investissement de 250 à 300 millions d'euros par an pendant la durée du mandat - une estimation à mettre en regard des 100 millions d'euros annoncés.

En ce qui concerne l'équité, on m'a dit que le budget de la gendarmerie augmenterait de 101 millions d'euros en 2018, contre 195 millions d'euros pour la police nationale, alors même que cette dernière n'a pas de parc immobilier comparable à entretenir. En effet, seul un quart des policiers sont logés.

Le véhicule est la variable d'ajustement la plus facile. On ne peut pas jouer sur le carburant, car cela remettrait en cause les missions confiées. Dans la construction budgétaire, on n'a pas pris en compte l'augmentation du coût du carburant et notamment du diesel. Cela entraîne un surcoût de 3 millions d'euros. Les unités auront le carburant pour effectuer leur mission, mais du coup le service national gérant les moyens va répercuter cette hausse des coûts sur les équipements, dont les véhicules. Or, les équipements de la gendarmerie souffrent déjà des insuffisances budgétaires précédentes.

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