Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la société française vieillit.
La France compte déjà davantage de personnes de plus de soixante ans que de personnes de moins de vingt ans. Cette tendance va s’accélérer du fait de l’augmentation de l’espérance de vie : le nombre des plus de quatre-vingt-cinq ans va quasiment quadrupler d’ici à 2050.
Heureusement, la grande majorité de la population vieillit et vieillira dans de bonnes conditions. Mais ce ne sera pas le cas de tous.
Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, publiée en 2016, après soixante-quinze ans, une personne sur douze vit en institution. L’entrée dans un établissement pour personnes âgées est souvent liée à des problèmes médicaux, en particulier à ceux qui entraînent une perte d’autonomie.
En institution, 86 % des personnes âgées de soixante-quinze ans ou plus sont dépendantes, contre 13 % des personnes du même âge vivant à domicile. Ces personnes déclarent plus souvent des limitations fonctionnelles : 45 % développent une limitation sensorielle, même après correction, 68 % des limitations cognitives et 91 % des limitations physiques.
Les enjeux financiers et organisationnels pour notre société face au vieillissement de la population sont donc extrêmement importants et ont été identifiés comme tels depuis de nombreuses années.
Par ailleurs, nous ne pouvons que constater l’inquiétude croissante chez nos compatriotes, qui comprennent de moins en moins bien notre modèle. Mais, paradoxalement, ils ont tendance à le rejeter pour eux-mêmes tout en l’utilisant pour faire face à la dépendance de leurs proches.
Plus généralement, nous voyons bien que le système est à bout de souffle : la solidarité publique est à son maximum ; les difficultés des départements ne leur permettent pas d’aller encore plus loin dans la prise en charge ; la solidarité familiale a, semble-t-il, atteint ses limites.
Alors que la population vieillit, que l’espérance de vie augmente, en particulier grâce aux progrès de la médecine, le statu quo est devenu intenable. Il ne s’agit plus de débloquer quelques dizaines de millions d’euros au coup par coup, mais c’est bien notre modèle de protection sociale qui doit être repensé pour l’adapter à notre société.
Or, depuis plusieurs années, par touches successives, le pacte fondateur de 1945, créateur de la solidarité nationale au sein de la protection sociale, a été détricoté.
En annonçant une énième baisse des tarifs hospitaliers en 2018, les établissements de santé publics et privés sont asphyxiés un peu plus, sans que des réformes structurelles se mettent concrètement en place.
Le Gouvernement rend la tarification à l’activité, la fameuse T2A, responsable de tous les maux hospitaliers alors qu’il s’agit du dévoiement d’un outil médico-économique pertinent en un outil inadapté de régulation de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, qui déconnecte les tarifs et les coûts.
Après avoir minimisé le malaise des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, cette baisse tarifaire va aggraver celui des hôpitaux et des cliniques sans aucune perspective d’avenir, en reportant la responsabilité des arbitrages politiques sur les acteurs régionaux. Avec cette nouvelle baisse des tarifs hospitaliers en 2018, le tissu sanitaire sur le territoire national est un peu plus fragilisé, particulièrement dans les zones périphériques et rurales.
Cette lente agonie de notre système d’hospitalisation ne résout pas pour autant les problèmes systémiques de notre protection sociale qui perdurent.
Ces mesures technocratiques, à la marge, ne résolvent en rien les difficultés que nous constatons et que nous partageons.
Il nous faut, avec les Français, nous interroger collectivement sur le modèle de protection sociale que nous souhaitons et sur les moyens financiers que nous sommes capables d’y consacrer, puis faire des choix.
Notre système de santé se dégrade, l’investissement des équipements médicaux et immobiliers se réduit, le parc hospitalier se paupérise et nous ne pouvons nous y résoudre.
Il est temps d’ouvrir un débat national sur le mode de gouvernance, sur le périmètre de notre système de protection sociale et, surtout, sur son financement.
J’en reviens plus particulièrement au sujet dont nous débattons aujourd’hui.
Comme j’avais eu l’occasion de le dire à cette tribune lors de l’examen de la dernière loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, qui n’avait d’ailleurs pas suscité de vives controverses, toutes les mesures mises bout à bout ne pouvaient pas à elles seules constituer la réponse aux besoins actuels, et encore moins à ceux qui s’annonçaient, ne serait-ce que dans les dix prochaines années.
Trois ans à peine se sont écoulés depuis la promulgation de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement et nous voilà amenés à débattre de nouveau de la prise en charge des personnes âgées dépendantes.
L’importante mobilisation des personnels des EHPAD a convaincu la commission des affaires sociales de se pencher sur la situation au sein de ces établissements pour formuler dans un temps restreint des propositions.
Nous avons mis en place une « mission courte » afin de procéder à un état des lieux de la question, et de formuler des propositions immédiates et les plus opérationnelles possible pour répondre aux difficultés que rencontrent les EHPAD.
Je tiens à remercier le président Bruno Retailleau de s’être associé à l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de notre assemblée.
Je tiens à rendre hommage à notre rapporteur Bernard Bonne qui, avec son expérience concrète d’élu départemental, propose d’apporter des réponses pragmatiques aux différentes questions soulevées.
La mobilisation des personnels et directeurs d’EHPAD a d’autant plus marqué les esprits qu’elle a été accompagnée de reportages témoignant de la réalité au sein des EHPAD, et notamment des conditions de travail difficiles des personnels accompagnants. Je tiens, à cet instant, à saluer le dévouement des médecins, infirmiers et aides-soignants, ainsi que du personnel technique.
La réforme de la tarification des établissements, sur laquelle la commission des affaires sociales avait déjà alerté, a été pointée du doigt, mais elle n’est pas seule en cause, loin de là. Le diagnostic est connu : les personnes accueillies dans ces établissements sont globalement plus âgées qu’avant et leur autonomie plus limitée, tandis que les moyens consacrés à l’autonomie ont certes progressé, mais sans que cela se traduise toujours de façon concrète en effectifs sur le terrain.
Notre collègue Bernard Bonne présentera dans quelques instants ses propositions, mais je souhaite insister sur deux d’entre elles qui me semblent importantes.
D’une part, il s’agit de repenser la mission du médecin coordonnateur en lui permettant de prescrire. En effet, malgré une présence rendue obligatoire par les textes, le médecin coordonnateur de l’EHPAD est encore maintenu dans une incapacité prescriptrice à l’égard des résidents qui se justifie difficilement.
Sans remettre en cause le lien qui peut exister entre le résident de l’EHPAD et le médecin traitant, force est aujourd’hui de constater que le refus de substituer un unique médecin d’établissement à une multitude de médecins extérieurs présente un inconvénient organisationnel, qui saute aux yeux, et un inconvénient financier. Ces ceux inconvénients sont majeurs. Le recours au médecin extérieur, étranger à la stratégie de coordination sanitaire de l’établissement, fait courir le risque de doublons de dépenses de soins assurées, d’un côté, par le forfait global de soins de l’établissement et, de l’autre, par l’enveloppe de soins de ville.
D’autre part, il me semble non seulement pertinent, mais également urgent de mettre fin aux cloisonnements artificiels qui continuent de séparer le sanitaire du médico-social. Je ne prétends pas que les deux secteurs d’intervention puissent être indifféremment pris l’un pour l’autre, bien au contraire. Je dénonce néanmoins l’habillage médico-social d’une grande part des prises en charge en EHPAD, qui relèvent à mon sens, et comme le pense également M. le rapporteur, d’une mission strictement sanitaire et qui, sous prétexte qu’elles s’intégreraient aux politiques du grand âge, sont partiellement reléguées aux conseils départementaux dont ce n’est nullement la tâche. Ce n’est en effet pas parce qu’il est âgé, ou très âgé, qu’un résident d’EHPAD cesse d’être un patient.
Si nous ne pouvons que nous résigner, madame la ministre, à cette terrible mais véridique pensée d’Orson Welles, pour qui la vieillesse est la seule maladie dont on ne peut espérer guérir, nous avons le devoir de nous battre pour que la vieillesse, comme tous les âges de la vie, soit la plus douce et la plus humaine possible à ceux qui l’embrassent.