Intervention de Bernard Bonne

Réunion du 3 avril 2018 à 14h30
Situation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes — Débat organisé à la demande du groupe les républicains et de la commission des affaires sociales

Photo de Bernard BonneBernard Bonne :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour évoquer un sujet auquel l’actualité, après une longue période de faible exposition, a rendu la lumière légitime qui lui revient. Je veux parler des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – les désormais fameux EHPAD – et, de façon plus large, de la prise en charge médicale et médico-sociale du grand âge.

Notre débat s’insère dans un mouvement général et sans précédent de mobilisation. Mobilisation des acteurs de terrain tout d’abord, qui se sont par deux fois réunis les 30 janvier et 15 mars derniers pour dénoncer leurs conditions de travail et l’incapacité dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui de correctement remplir leur mission auprès des publics dont ils assurent l’accompagnement. Mobilisation parlementaire ensuite, puisque le Sénat et l’Assemblée nationale, très rapidement sensibilisés au sujet, s’en sont simultanément emparés.

Deux rapports parlementaires ont été rendus, celui de la commission des affaires sociales du Sénat, le 7 mars dernier, puis celui de nos collègues députés Monique Iborra et Caroline Fait, le 14 mars dernier.

Si leurs préconisations diffèrent, parfois fortement, leurs diagnostics et leurs constats se rejoignent pour dénoncer les effets collatéraux insuffisamment anticipés de la réforme tarifaire et la réponse urgente qu’appelle le secteur de la prise en charge du grand âge, qui pâtit depuis trop d’années de ce qu’il nous faut maintenant nommer sans fard la difficulté, voire l’incapacité de nos pouvoirs publics, toutes tendances confondues, à définir une stratégie viable du financement de la dépendance.

Avant de vous livrer, madame la ministre, les quelques réponses que la commission des affaires sociales du Sénat entend donner à cet incontournable problème, permettez-moi de vous faire part du sentiment que m’inspire la mobilisation sans précédent et simultanée des deux chambres du Parlement sur le sujet. Elle est pour moi le symptôme tenace de l’écart dans lequel les représentants de la Nation, et à travers eux les usagers et les gestionnaires de ces établissements, sont maintenus dès que sont abordés des thèmes dont ils sont pourtant les observateurs et les acteurs privilégiés.

Nos deux rapports témoignent du désir que nous avons de vous offrir notre expérience et notre appui, car nous sommes convaincus qu’ils peuvent utilement se combiner à l’expertise – irremplaçable à n’en point douter – des administrations que vous dirigez.

La politique du grand âge ne peut désormais plus se penser en dehors de grands choix de société que nous avons trop longtemps reportés ; et l’importance de ce débat interdit que les parties intéressées en soient poliment, mais insidieusement, écartées. Aussi, je revendique, au nom de l’ensemble de mes collègues, le rôle et la place que le Sénat, qui a donné dans le passé la preuve de sa hauteur de vues concernant les enjeux liés au vieillissement, entend tenir dans les réflexions à venir.

J’en viens à présent aux rapports parlementaires qui vous ont été présentés. Comme je vous l’ai indiqué, nos collègues députés partagent avec nous un certain nombre de constats. Je ne mentionnerai que les plus saillants d’entre eux : la nécessité d’interrompre la réforme du forfait global à la dépendance telle qu’elle est actuellement pratiquée et l’urgence qu’il y a de diminuer le reste à charge des résidents à travers une redéfinition de l’aide sociale à l’hébergement.

Je regrette néanmoins que nos collègues députés n’aient pas davantage assorti la formulation de leurs reproches de propositions concrètes et réalistes. De toute évidence, l’examen minutieux des réalités de terrain auxquelles ils se sont prêtés durant les cinq mois qu’a duré leur mission les a menés à privilégier les injonctions dispendieuses et dirigistes, comme l’opposabilité d’un ratio encadrants-résidents ou l’imposition à tout établissement d’un niveau minimal d’habilitation à l’aide sociale. Il aurait été préférable de mettre en avant des préconisations moins emphatiques, mais directement opérationnelles.

Les propositions émises par le Sénat s’efforcent, pour leur part, de tenir compte du périmètre financier constant qu’impose le contexte contraint de nos finances publiques. Par ailleurs, il paraît inconcevable de mener de front la nécessaire réforme systémique que nous appelons de nos vœux et des propositions parallèles dont le coût important les disqualifierait d’emblée.

Ces propositions figurent toutes au rapport, dont vous avez pris connaissance, mais je souhaiterais tout de même vous rappeler celle qui, à mon sens, atténuerait les effets néfastes de la réforme tarifaire : le séquençage nécessaire des deux réformes de la contractualisation et de la tarification des établissements. Attendons le plein déploiement de la première, qui ouvrira aux établissements la possibilité d’user de nouveaux outils gestionnaires contenus dans le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, le CPOM, et qui leur permettra mécaniquement de mieux absorber les redéfinitions de dotations. Nous avons voulu responsabiliser financièrement des gestionnaires d’établissements, avant même qu’ils s’approprient les instruments accompagnant les nouvelles marges de manœuvre qui leur étaient offertes !

Nos désaccords avec l’Assemblée nationale sont toutefois plus profonds lorsque l’on touche à la médicalisation des EHPAD. Nous semblons partager le même souhait d’établissements moins imprégnés du paradigme hospitalier et plus ouverts sur la cité, où les personnes en perte d’autonomie ne seraient pas automatiquement absorbées par un univers sanitaire qui ne leur est adapté qu’en apparence. Pourtant, le rapport de nos collègues députés préconise une extension de l’option tarifaire globale aux soins, qui permet aux EHPAD de financer, via leur dotation globale, davantage de prestations médicales et paramédicales, et donc de les pousser vers plus de médicalisation !

Si le paradoxe, ainsi formulé, est inquiétant, je crois que la confusion s’explique par l’insuffisante précision que nous apportons à la définition du « soin » que requiert le grand âge. Il est impératif que nous distinguions dorénavant le soin strictement médical, qui doit entourer la prise en charge de patients – et non de résidents – lourdement dépendants ou atteints de pathologies, du soin d’accompagnement que nécessitent des personnes âgées en perte d’autonomie, mais qui ne relève pas pour autant du besoin clinique.

C’est à l’amalgame de ces deux types d’intervention, du curatif et du préventif, que l’on doit la prépondérance actuelle d’EHPAD surmédicalisés qui, pour reprendre l’heureuse formule de nos collègues députés, ont laissé le lieu de soins prendre indûment le pas sur le lieu de vie. En plein accord avec le président Alain Milon, qui s’est précédemment exprimé, je préconise donc que le soin médical reste assuré par la sphère strictement sanitaire, et qu’il soit remédié au glissement abusif – dont les conséquences financières et humaines sont importantes – d’unités de soins de longue durée – USLD – en EHPAD, au seul motif que l’âge de ces publics les fait relever de la prise en charge de la dépendance.

Il doit être mis fin à la dangereuse vue de l’esprit selon laquelle passé un certain âge le soin requis par le patient doit changer de nature et de praticien. Cet avertissement participe d’ailleurs d’une dénonciation plus large, dont je me fais l’écho en tant que rapporteur de la commission des affaires sociales pour le secteur médico-social, d’une prise en charge médicale et médico-sociale qui, indifférente à la linéarité du parcours de la personne, l’expose à des ruptures brutales que le seul écoulement du temps peine à justifier.

C’est au bénéfice de cette linéarité que j’inscris la mesure précédemment évoquée par le président Milon d’attribuer au médecin coordonnateur un pouvoir prescripteur. C’est une mesure dont je me fais également le très grand défenseur.

J’exprimerai un dernier regret. Le rapport de nos collègues députés rejoint le nôtre dans la dénonciation d’un modèle de financement qui, en raison de sa dualité entre acteur national et acteurs départementaux, engendre des complexités obérant sa pérennité. Mais il s’en tient à de timides remontrances et se refuse à poser les jalons d’une réforme ambitieuse du financement de la dépendance.

C’est un pas que nous avons osé franchir et je profiterai de cette tribune pour rappeler les grandes lignes de nos préconisations en la matière.

Il faut un tarificateur unique. Toute réflexion qui contournerait cet impératif simple ne ferait que reproduire les échecs actuels. Quel tarificateur ? La garantie d’une homogénéité de la couverture financière de la perte d’autonomie sur le territoire national semble imposer naturellement la réponse : c’est à l’État, et à lui seul, que devrait revenir le financement de la dépendance. Il est en effet grand temps de mettre un terme aux compromis institutionnels qui, sous le couvert du respect de la libre administration des collectivités territoriales, ont chargé les départements d’une mission devant normalement relever de la solidarité nationale. La réouverture du débat sur le fameux « cinquième risque », madame la ministre, doit ainsi se faire sur des bases parfaitement univoques : nous ne saurions nous montrer favorables à ce que suppose cette dénomination trompeuse, à savoir l’alourdissement du coût du travail et la création d’une cinquième cotisation sociale.

Il faut désormais agir afin que les établissements s’adaptent aux personnes accueillies et non plus l’inverse : l’idée, très technocratique, d’un financement par forfait, initialement voulue pour faciliter le pilotage budgétaire des structures, ne semble pas rejoindre l’intérêt personnel de la personne prise en charge. Pour que la personne résidente ait véritablement le choix de sa prise en charge et, surtout, pour que l’offre existante puisse opérer sa mue vers les fameuses « plateformes de services » que nous appelons tous de nos vœux, je préconise que le financement de la dépendance repose sur la solvabilisation du résident.

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