Intervention de Françoise Cartron

Réunion du 4 avril 2018 à 14h30
Expérimentation de la tarification sociale de l'eau — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Françoise CartronFrançoise Cartron :

Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, en 2006, le législateur a inscrit dans le code de l’environnement le principe d’un droit à l’eau potable, afin de permettre à l’ensemble de la population d’accéder à l’eau pour ses besoins essentiels dans des conditions économiquement acceptables pour tous.

En effet, l’accès à l’eau constitue toujours un sujet essentiel dans notre société. Selon un rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable de 2011, la facture d’eau et d’assainissement dépasserait le seuil d’acceptabilité, fixé à 3 % du revenu, pour près de deux millions de Français.

Face à une telle situation, de nombreux élus locaux, toutes sensibilités politiques confondues, ont engagé depuis plusieurs années des actions en faveur d’une véritable politique sociale de l’eau.

Afin d’encourager et de sécuriser ces initiatives, la loi du 15 avril 2013, également appelée « loi Brottes », permet aux collectivités territoriales qui le souhaitent de s’engager dans une expérimentation en application de l’article 72 de la Constitution, les autorisant à déroger à titre expérimental et pour un objet et une durée limitée aux dispositions qui régissent l’exercice de leurs compétences.

L’expérimentation, créée en 2013, donne ainsi la possibilité aux collectivités et à leurs groupements de tester différents dispositifs sociaux, afin de faciliter l’accès à l’eau des ménages les plus modestes. Concrètement, elle permet aux collectivités de mettre en œuvre une tarification sociale de l’eau, de verser des aides aux usagers ou encore d’accroître leur contribution au Fonds de solidarité pour le logement, le FSL, afin de résorber les impayés.

Les collectivités volontaires pour participer à l’expérimentation devaient transmettre une demande au préfet de leur département avant le 31 décembre 2014. Au total, cinquante collectivités et groupements ont été retenus.

Ces participants présentent des profils très variés en termes de statut, d’importance démographique ou de caractéristiques locales. L’expérimentation fédère ainsi des communes, des EPCI à fiscalité propre, des syndicats mixtes, ces collectivités étant issues de territoires aussi bien urbains que ruraux, dont certains se caractérisent par une part importante de logements locatifs, tandis que d’autres accueillent un nombre élevé de résidences secondaires. La diversité de cet échantillon fait précisément la richesse de l’expérimentation.

La loi de 2013 fixait la durée de l’expérimentation à cinq ans, soit une application jusqu’au 15 avril 2018. Toutefois, comme le rappelle un rapport d’étape du Comité national de l’eau publié en 2017, l’expérimentation a fait l’objet d’une mise en œuvre très progressive.

Ainsi, en avril 2017, soit un an avant l’échéance fixée par la loi Brottes, seulement la moitié des projets étaient mis en œuvre. Ce décalage s’explique par le temps nécessaire à la fois pour que l’État puisse mettre en place le cadre général de l’expérimentation et pour que chaque collectivité puisse définir et déployer les solutions les plus adaptées au contexte local.

Sans prorogation, les collectivités ne disposeront au mieux que de trois années de recul, et pour la plupart d’entre elles de seulement un à deux ans de mise en œuvre effective. L’ensemble des parties prenantes considère que cette durée est trop brève pour évaluer pleinement les effets de l’expérimentation. Les premiers résultats sont toutefois prometteurs et riches d’enseignements. En effet, les collectivités participantes ont conçu des solutions innovantes et diversifiées en tenant compte des spécificités locales.

La modulation tarifaire a été retenue lorsque les abonnés individuels représentaient une part significative des usagers. Certains territoires ont ainsi choisi de mettre en place une tarification à la fois environnementale et sociale, conjuguant une approche solidaire et pédagogique quant à la préservation de la ressource.

Pour l’habitat collectif, dont les usagers ne sont pas abonnés directement au service d’eau potable, les collectivités privilégient des aides préventives, afin de permettre aux foyers modestes de régler tout ou partie de leurs dépenses liées à l’eau, ou un financement accru au FSL et aux centres communaux d’action sociale pour résoudre les situations d’impayés.

Sur plusieurs points, les données et les retours d’expérience doivent être encore consolidés. Il s’agit notamment du coût de gestion des différents dispositifs, de l’évolution du nombre d’impayés et de l’évaluation de l’effet de ces aides sur la consommation d’eau. Cette expérimentation très intéressante mérite donc d’être prolongée, afin d’en tirer des enseignements suffisamment fiables et exhaustifs pour l’avenir de la politique de l’eau.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi, déposée le 7 février 2018 par nos collègues Monique Lubin, Éric Kerrouche, Patrick Kanner, ainsi que par des membres du groupe socialiste et républicain, qui vise à proroger l’expérimentation jusqu’au 15 avril 2021, soit un délai supplémentaire de trois ans, au bénéfice des collectivités et groupements déjà engagés dans ce processus.

Lors de l’examen du texte, notre commission a largement confirmé l’intérêt de cette prorogation. Les collectivités qui sont engagées dans l’expérimentation y sont très favorables. Cette prorogation est également indispensable pour le législateur, auquel elle permettra de disposer d’un recul suffisant avant d’envisager la généralisation de certains dispositifs.

Notre commission n’a donc apporté que des ajustements au texte initial. Nous avons notamment privilégié une prorogation de droit de l’expérimentation, en supprimant l’obligation pour les collectivités territoriales d’effectuer une nouvelle demande auprès du préfet du département, notre objectif étant de simplifier la poursuite de l’expérimentation pour les élus locaux.

Notre commission a également apporté certaines précisions à la loi du 15 avril 2013, notamment sur la transmission des données à caractère social nécessaires à l’identification de la population bénéficiaire des dispositifs proposés. Au regard des premiers retours d’expérience, il semble en effet utile d’harmoniser les relations entre les collectivités et les organismes de sécurité sociale, pour faciliter la poursuite de l’expérimentation.

Je précise que, en application de la législation organique, le dépôt de cette proposition de loi a pour effet de prolonger la durée de l’expérimentation jusqu’à son adoption définitive, pour un délai maximum d’un an. Si le présent texte n’entrait pas en vigueur avant le 15 avril prochain, l’expérimentation ne serait donc pas interrompue immédiatement. Nous formons toutefois le vœu que ce texte puisse être rapidement inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, pour être définitivement adopté dans les meilleurs délais.

Permettez-moi de saluer l’engagement des élus locaux, animés d’une volonté politique forte, volonté nécessaire pour la réussite d’une telle démarche expérimentale. Il serait regrettable que l’expérimentation s’interrompe brutalement, sans que tous ces efforts aient pu porter leurs fruits.

Le nombre des citoyennes et de citoyens qui sont entrés dans ce dispositif – 1, 2 million –, me semble particulièrement éloquent.

Par ailleurs, la diversité des solutions retenues montre combien il est utile de mettre à la disposition des collectivités une gamme d’instruments suffisamment étendue qui réponde au mieux aux besoins de la population en tenant compte du contexte local. La solution optimale pour une grande agglomération ne sera pas forcément la plus pertinente pour un territoire rural. Le législateur devra donc tenir compte de cette diversité avant de généraliser certains dispositifs à l’issue de l’expérimentation.

Pour conclure, à l’heure où une révision constitutionnelle visant notamment à développer les facultés d’expérimentation est à l’étude, cette expérience témoigne une fois encore des formidables capacités d’innovation qui existent dans nos territoires et qui méritent amplement d’être soutenues.

Sachons faire confiance aux intelligences locales, afin de mettre en œuvre des réponses adaptées aux grands défis qui nous sont posés, tel l’accès à l’eau pour tous, qui nous mobilise aujourd’hui.

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