Intervention de Nicolas Hulot

Réunion du 4 avril 2018 à 14h30
Expérimentation de la tarification sociale de l'eau — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Nicolas Hulot :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les philosophes de l’Antiquité, quand ils disaient que l’eau est le principe de tout, ne se trompaient pas !

Pour ma part, je suis convaincu que l’eau est aussi le déterminant de tout, et si nous sommes capables, comme vous le proposez, d’additionner nos intelligences et nos volontés pour préserver cette ressource et mieux la partager, la paix est envisageable au XXIe siècle. À l’inverse, elle ne l’est pas si nous gâchons ce bien vital.

Vous l’avez rappelé, l’eau est le substrat de la vie et un patrimoine commun de la Nation. La France peut être fière de porter ce concept universel, alors que le Forum mondial de l’eau s’est tenu au Brésil il y a quelques semaines.

Au XXIe siècle, l’eau que l’on considère dans notre pays comme un bien commun acquis, fera l’objet de nombreux défis – regardons la réalité en face, non pas pour nous effrayer, mais pour nous responsabiliser –, à commencer par le défi démographique, qui, en se combinant au défi climatique, provoquera des tensions sur une ressource essentielle pour nos concitoyens dans leur quotidien, mais également pour notre environnement, pour notre agriculture et pour notre industrie.

Comme les intervenants qui m’ont précédé l’ont évoqué, cette situation peut ajouter l’injustice à l’injustice, et la précarité hydrique à la précarité.

Déjà, dans les premières années du XXIe siècle, les signes précurseurs de ces tensions sont devenus palpables. On a connu au cours de l’été 2017 une sécheresse assez inédite et, dans certaines zones urbaines d’Europe, en raison notamment de la faiblesse de l’entretien des réseaux, des pénuries et des coupures ont fait leur retour.

Nous n’en sommes pas là, grâce notamment à la robustesse du modèle français de l’eau. À quelques semaines de l’ouverture des assises de l’eau, que je piloterai avec Sébastien Lecornu et qui auront pour objectif de moderniser notre gestion de l’eau, pour que chaque Français continue d’avoir un accès à l’eau de qualité et à un prix raisonnable, le présent débat a pour objet de renforcer ce modèle.

La proposition de loi dont nous discutons vise ainsi à prolonger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau prévue à l’article 28 de la loi du 15 avril 2013, dite loi Brottes.

Je l’affirme avec un immense plaisir et sans ambiguïté : je partage le souci des auteurs de cette proposition de loi de réconcilier universalité de la ressource et solidarité du service de l’eau. Mon ministère n’est pas celui de la transition écologique et solidaire pour rien !

Cette expérimentation vise à favoriser l’accès à l’eau, objectif qui nous rassemble, je le crois, au-delà des frontières habituelles dans un spectre très large, qui est pleinement intégré dans nos politiques publiques.

L’article 1er de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques affirme par exemple que « l’usage de l’eau appartient à tous et [que] chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous. » Il est parfois bon de rappeler ces droits fondamentaux.

De même, parmi les objectifs de développement durable adoptés par les Nations unies en 2015, l’objectif n° 6 vise à « garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau ».

Comme je l’ai dit, le Président de la République a annoncé à la fin de l’année 2017 l’organisation d’assises de l’eau en 2018. Ces assises, pilotées par mon ministère, seront l’occasion de débattre de notre politique de l’eau et des questions relatives à l’accès à l’eau.

La présente proposition de loi, qui a pour objet de proroger l’expérimentation de tarification sociale de l’eau, s’intègre pleinement dans le principe d’accès à l’eau consacré par nos politiques publiques. Elle arrive exactement au bon moment.

Grâce à la loi Brottes du 15 avril 2013, quelque cinquante collectivités de France métropolitaine, mais également d’outre-mer, se sont portées volontaires et ont mis en place, simultanément, de nouvelles tarifications de l’eau et de l’assainissement et des systèmes d’aide au paiement de la facture d’eau, afin de garantir un meilleur accès à ces services pour les plus démunis.

Les dispositifs qui ont été mis en place sont variés : ils ont été établis en fonction du contexte local, des populations ciblées ou du budget disponible. Cela montre que l’expérimentation, dans ce domaine comme dans d’autres, avait tout son sens, et l’inventivité des collectivités a permis des résultats très riches.

Pour citer quelques exemples concrets, certaines collectivités expérimentent la gratuité des premiers mètres cubes d’eau, d’autres la mise en place de tarifs réduits ou d’une tarification progressive, des abattements sur la facture d’eau, la distribution d’un chèque eau, proche du chèque énergie que j’ai distribué il y a quelques jours, ou encore des aides au règlement des impayés.

En complément, nombre de collectivités territoriales ont également mis en place une démarche de sensibilisation aux économies d’eau, afin d’accompagner la réduction de la dépense des ménages.

Dans ce foisonnement d’initiatives, on observe que certaines collectivités territoriales mettaient en place des outils permis par la loi dès avant l’expérimentation : elles avaient recours, par exemple, au Fonds de solidarité pour le logement en cas d’impayés ou aux étalements de créances. La plupart ont souhaité aller plus loin grâce à l’expérimentation, en mettant en place des dispositifs plus lisibles et une offre positive à l’égard des populations les plus fragiles, sans attendre que les difficultés de la vie ne conduisent ces populations à ne plus payer leurs factures.

Les premiers résultats obtenus sont intéressants. Pour ma part, parmi les retours d’expérience, j’ai été très sensible au témoignage de plusieurs collectivités territoriales, qui m’ont expliqué que l’expérimentation avait d’abord été une expérience humaine : elle a conduit les équipes administratives et les élus à s’interroger sur des habitants en grande difficulté, qui tentent par tous les moyens de régler leurs factures, mais se débattent aussi au cœur des précarités multiples que j’ai précédemment évoquées – difficultés de transport, difficultés d’accès à une alimentation saine et, j’y reviens, précarité énergétique.

Certaines collectivités territoriales ont témoigné de l’intérêt de l’expérimentation pour faire tomber les préjugés et réfléchir à une approche globale des foyers provisoirement et parfois, malheureusement, durablement éloignés du confort digne d’un pays comme la France.

Toutefois, compte tenu du délai nécessaire à la mise en place de l’expérimentation, les dispositifs mis en œuvre sont trop récents pour permettre de déterminer au niveau national s’il est intéressant ou non de généraliser certaines solutions ou d’adapter notre législation en conséquence.

Dans ce contexte, le Gouvernement soutient pleinement la prorogation de quelques années de l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau et porte donc un regard favorable sur cette proposition de loi !

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