Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à notre examen cet après-midi vise à proroger jusqu’au 15 avril 2021 l’expérimentation de la tarification sociale prévue par la loi Brottes au bénéfice des collectivités territoriales et groupements déjà concernés.
Je tiens à saluer l’initiative du groupe socialiste et républicain qui nous permet, à travers ce texte, de soutenir la démarche novatrice et solidaire engagée par nos élus locaux et d’évoquer ainsi un sujet éminemment important.
L’objectif de cette expérimentation est d’identifier des solutions pour assurer à chacun l’accès à l’eau potable pour ses besoins essentiels, dans des conditions économiquement acceptables pour tous.
Il faut le dire, car c’est une réalité : il existe une cruelle contradiction entre le statut naturel et universel de l’eau et son statut économique et social. Ainsi Danielle Mitterrand a-t-elle longtemps dénoncé la logique économique ayant fait de l’eau un produit de consommation comme un autre. Comme vient de le rappeler notre collègue Kerrouche, elle disait : « L’eau n’est pas une marchandise, c’est le bien commun de l’humanité et du vivant. »
C’est au nom de ce principe que le droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement a été inscrit dans le code de l’environnement, en 2006. C’est au nom du même principe que l’expérimentation d’une tarification sociale de l’eau a été autorisée par la loi Brottes.
Mais, nous le savons, une loi, c’est aussi beaucoup de patience, a fortiori lorsqu’il s’agit de relever un défi aussi immense que celui de l’accès à l’eau potable.
Notre rapporteur a rappelé les travaux du Conseil général de l’environnement et du développement durable évaluant à deux millions le nombre de Français qui auraient une facture d’eau et d’assainissement supérieure au seuil d’acceptabilité, estimé à 3 % du revenu.
J’insisterai encore davantage sur la gravité de la situation en rappelant que la distribution d’eau potable n’est quantitativement plus – ou pas encore – assurée dans plusieurs territoires ultramarins – je regarde notre collègue de Saint-Martin, qui a vécu de très grosses difficultés voilà encore quelques mois.
En Guyane et à Mayotte, d’abord, 15 % à 20 % des habitants n’auraient pas accès à l’eau potable. Véritable paradoxe ! La couverture par le service est en effet insuffisante, sous le double effet d’un retard d’équipement et d’une démographie galopante qui, d’une part, densifie les écarts et les zones périurbaines et, d’autre part, fait naître de l’habitat informel.
À cela s’ajoute en Guyane un véritable fléau : la contamination des eaux par le mercure résultant d’activités d’orpaillage illégal. Elle pose dans des sites isolés un problème majeur de santé publique : ainsi, dans les villages amérindiens Wayanas du Haut-Maroni, plus de 90 % des enfants présentent des taux de mercure supérieurs aux seuils définis par l’Organisation mondiale de la santé !
En Guadeloupe, ensuite, la vétusté du réseau occasionnerait plus de 50 % de pertes d’eau avant même son arrivée au robinet… Résultat : près de 9 % de la population, soit environ 35 000 personnes, sont soumis à des « tours d’eau », c’est-à-dire à des coupures hebdomadaires.
Enfin, le prix de l’eau et de l’assainissement atteint 5, 30 euros par mètre cube dans certaines collectivités ultramarines, alors que la moyenne est de 3, 85 euros par mètre cube en France hexagonale.
C’est pour répondre à ces situations qu’un plan d’action pour l’eau a été lancé lors de la conférence environnementale de 2013. L’un des objectifs est justement de développer la tarification sociale, dont il nous est proposé cet après-midi de proroger l’expérimentation.
Comme cela a été souligné, la mise en œuvre du dispositif a été progressive : à la date de la publication du rapport intermédiaire du Comité national de l’eau, soit un an avant le terme de l’expérimentation, la moitié des projets étaient mis en place.
En Guyane, seule la communauté d’agglomération du Centre Littoral, soit six communes, dotée d’un service d’eau mieux structuré, a pu opérer une refonte de sa tarification par l’instauration d’une progressivité et d’un « chèque eau ».
Les trois autres communes engagées, Grand-Santi, Maripasoula et Saint-Georges-de-l’Oyapock, des communes du fleuve, ont pris du retard en raison d’importants besoins d’investissements. Quand on sait que la Guyane est le troisième territoire au monde pour la quantité d’eau…
Permettez-moi néanmoins de saluer leur engagement, car de leur expérience naîtront nécessairement des enseignements pour les autres collectivités ultramarines. Celle-ci permettra de poursuivre le questionnement sur l’équilibre économique des services d’eau potable et d’assainissement des communes, en prenant en compte les réalités de celles-ci.
Si ce retard s’explique par différentes raisons, il révèle avant tout le temps et l’ingénierie nécessaires aux collectivités territoriales pour organiser leurs services, définir les solutions les mieux adaptées et déployer effectivement des dispositifs de tarification ou d’aide.
De plus, comme le recensement intermédiaire opéré par le Comité national de l’eau le montre bien, chaque territoire a ses caractéristiques propres. Aussi, du versement d’aides à la modulation tarifaire en passant par l’utilisation accrue du Fonds de solidarité pour le logement, le recours aux différentes dérogations varie d’une collectivité à une autre, démontrant la nécessité de pouvoir adapter la loi au contact du terrain.
Par ailleurs, il faudra aussi porter une attention particulière à l’évolution de la consommation d’eau et à toutes les initiatives engagées pour favoriser une consommation responsable.
Mes chers collègues, cette expérimentation mérite d’être prolongée, si nous souhaitons disposer d’un recul suffisant pour évaluer les dispositifs et envisager, le cas échéant, la généralisation de certains outils. Notre groupe votera donc la proposition de loi, afin d’encourager les efforts importants déployés localement par les collectivités territoriales et groupements engagés. Enfin, je forme le vœu que notre assemblée ait très prochainement l’occasion de débattre plus largement de l’accès à l’eau potable et du droit inaliénable qu’il constitue !