La Cour a été saisie par la commission des finances en application de l'article 58, alinéa 2, de la loi organique relative aux lois de finances. Nous avons effectué notre enquête auprès des services de l'ANAH et des collectivités territoriales délégataires. Nous avons étudié un peu plus d'un millier de dossiers complets de directions départementales des territoires. Enfin, une contradiction détaillée a été engagée avec l'ANAH d'une part, la DHUP d'autre part.
Comparativement à d'autres instruments - les dépenses fiscales -, le bilan du programme « Habiter mieux » est encourageant. Je souligne qu'une telle appréciation n'est pas très fréquente de la part de la Cour, surtout dans le domaine de la politique du logement ! Cela étant dit, ce programme présente aussi un certain nombre d'imprécisions, de défauts et de faiblesses, qui paraissent toutefois pouvoir être corrigés.
Le programme « Habiter mieux », lancé en 2010, visait trois objectifs non hiérarchisés : l'accompagnement social des plus défavorisés, la rénovation du parc privé de logements et la tenue des engagements pris par la France en matière de baisse de consommation d'énergie.
Ce programme est aujourd'hui en train d'évoluer. Au cours de la période 2010-2017, l'objectif était la rénovation de 300 000 logements pour un gain énergétique escompté de 30 % en moyenne. L'objectif, annoncé à la fin novembre 2017, est désormais de parvenir à la rénovation de 75 000 logements par année. Cet aspect n'a pas été étudié par la Cour, qui a effectué des contrôles a posteriori.
Les résultats de ce programme ont été évalués sur la base de trois critères : la cible sociale des bénéficiaires, le nombre de logements rénovés et les gains énergétiques obtenus.
Je rappelle que ce programme intervient de façon complémentaire et minoritaire par rapport aux dispositifs habituels de l'ANAH. À titre d'exemple, l'agence évoque sur son site internet le cas d'un propriétaire très modeste devant procéder à de lourds travaux de rénovation pour un montant de 40 000 euros. Ce propriétaire percevra 20 000 euros d'aides directes et 2 000 euros de primes au titre du programme « Habiter mieux », soit un reste à charge de 45 %. La prime ne représente dans cet exemple que 5 % du financement. Il faut se souvenir que les ménages concernés ont des ressources extrêmement faibles. Ainsi, pour un ménage très modeste de quatre personnes, le plafond de ressources est de 29 300 euros. La prime « Habiter mieux » peut représenter de l'ordre d'un mois de revenus. Ce programme a donc bien une dimension sociale forte.
Reste la question du montant du reste à charge, qui peut représenter, pour les ménages les plus modestes, un an, voire un an et demi de revenus, alors même que ces populations ont une capacité d'épargne extrêmement faible. Se pose donc la question des autres aides complémentaires que ces ménages peuvent recevoir, qu'il s'agisse de celles des collectivités locales, des crédits d'impôt comme le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) ou de la TVA à 5,5 %.
Le programme « Habiter mieux » repose sur une convention de 2010 et ses nombreux avenants, et sur le Fonds national d'aide à la rénovation thermique (FART) des logements privés du programme d'investissements d'avenir.
Cette enveloppe a connu dix révisions : elle est d'abord passée de 500 millions d'euros à 365 millions d'euros, puis a atteint 695 millions d'euros à la fin 2016. Compte tenu de cette instabilité, il a été difficile d'asseoir un régime d'aides pérennes et stables. Les bénéficiaires ont ainsi connu cinq modifications de règlement en sept ans. Le plafonnement est passé de 1 600 euros à 3 500 euros, avant d'être abaissé à 2 000 euros. Ces variations ont bien sûr eu une incidence sur la sélection des publics prioritaires.
Les propriétaires occupants représentent 88 % des dossiers. Au sein de cette catégorie, les propriétaires très modestes correspondent à 83 %. La cible sociale du programme a donc bien été atteinte.
En revanche, les résultats sont en demi-teinte en ce qui concerne le nombre de logements rénovés. L'objectif était la rénovation de 300 000 logements entre 2010 et 2017, mais seules 240 000 opérations ont été réalisées. En 2017, 52 000 logements ont été rénovés, alors que l'objectif est d'atteindre 75 000 logements par an.
Enfin, l'appréciation est très positive s'agissant des performances énergétiques. Les gains énergétiques ont atteint 43 % en 2016, alors que l'objectif moyen était de 30 %. Ce résultat doit toutefois être nuancé, car les travaux ne permettent pas systématiquement une amélioration très importante de l'étiquette énergétique des logements. En dépit de travaux importants, il arrive en effet qu'elle reste au niveau G. Une question se pose donc : faut-il moduler le taux de subvention en prenant en compte la performance énergétique, comme en Allemagne ? Cette technique favorise les ménages qui disposent de moyens plus élevés leur permettant de faire des travaux de rénovation plus importants.
Le programme « Habiter mieux » a été mis en oeuvre dans 184 territoires de gestion, par 75 délégations déconcentrées de l'ANAH et 109 collectivités locales délégataires. Il s'agit donc d'une gestion de proximité, qui a facilité le respect des objectifs du programme et a permis la mobilisation des acteurs, pour sensibiliser et accompagner les bénéficiaires de subventions.
Les résultats sont très différents selon les territoires, mais ce sont bien les ménages les plus modestes qui ont le mieux mobilisé les acteurs de terrain, la question fondamentale étant celle du financement du reste à charge.
La Cour a bien évidemment analysé les contrôles et les évaluations. De ce point de vue, la procédure est apparue bien contrôlée et bien évaluée. Il s'agit là encore d'une appréciation rare ! À titre de comparaison, la Cour observe très souvent l'octroi d'aides sans contrôle a priori et a posteriori. Des diagnostics techniques préliminaires sont effectués afin de bien cibler les besoins. Des visites de contrôle permettent de vérifier si les objectifs ont été atteints. En outre, l'ANAH a procédé à diverses évaluations globales sur l'efficacité de ce programme et sur la façon dont il était reçu par les bénéficiaires. Il faut donc souligner la qualité de gestion de ce programme.
Des problèmes restent toutefois à résoudre. Tout d'abord, le nombre de dossiers va passer de 50 000 à 75 000, soit une augmentation de 50 %. Cette hausse requiert la dématérialisation et une simplification des procédures afin augmenter la productivité. L'Agence a un certain nombre de projets en cours.
En 2018, l'ANAH va élargir son offre et proposer aux propriétaires occupants aux revenus modestes une aide dont le montant pourrait être compris entre 7 000 et 10 000 euros. Il s'agit de financer les travaux les plus efficaces en matière de rénovation : le mode de chauffage, l'isolation de combles ou des murs. Il serait toutefois dommage que cette aide plus légère et cette simplification entraînent une baisse de la qualité actuelle du contrôle de l'efficacité.
En conclusion, la Cour estime que ce programme a été géré de manière efficace, en dépit du caractère extrêmement ambitieux des objectifs et des incertitudes sur le mode de financement.
Des améliorations sont possibles dans quatre domaines : le conseil et l'accompagnement des ménages, le renforcement du lien entre le niveau des plafonds d'aide et la situation de précarité énergétique des ménages, la mise en oeuvre d'une programmation pluriannuelle et la stabilité de la réglementation sur une période suffisamment longue pour que les ménages puissent anticiper les travaux. Il faut donc améliorer la prévisibilité et la stabilité de ce régime, ainsi que l'information des ménages, et développer le partenariat noué avec les collectivités territoriales.
Nous pensons également que, au-delà de l'immédiate relance du programme, il sera sans doute nécessaire d'engager une réflexion globale sur l'articulation entre le niveau des aides - si le CITE est transformé à terme en subvention -, le type de travaux et les gains énergétiques.
Enfin, compte tenu de la multiplicité des aides, une réflexion nous paraît devoir être engagée afin d'offrir une information moins dispersée au public. Ce programme devrait mieux s'appuyer sur des partenariats entre les services de l'État, l'ANAH et les collectivités territoriales délégataires. Ces conditions - dématérialisation, simplification et information des bénéficiaires - nous paraissent être des impératifs pour la réussite des programmes au cours des années à venir.