Intervention de Sophie Joissains

Réunion du 5 avril 2018 à 15h00
Élection des conseillers métropolitains — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Sophie JoissainsSophie Joissains :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, avant tout, je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Mireille Jouve et du groupe du RDSE. Elle nous permet aujourd’hui d’avoir de nouveau un débat sur une question majeure pour l’organisation de notre maillage territorial, l’élection des conseillers métropolitains, qui soulève évidemment celle du lien particulier entre communes et métropoles.

Mireille Jouve, ancienne maire de Meyrargues, belle commune rurale du Pays d’Aix, connaît bien les problèmes de démocratie que peuvent rencontrer les communes au sein des assemblées métropolitaines. Meyrargues relève d’un territoire où la création de la métropole Aix-Marseille Provence a été imposée contre l’avis de 113 maires sur 118 et continue d’être rejetée avec force. Considérons la résistance du Pays d’Aix, mais aussi celle du Pays d’Arles, prêt à changer de département pour ne pas être intégré à la métropole…

Cette métropole est rejetée avec force tant elle est budgétairement mortifère : une dette de 2 milliards d’euros, une capacité d’investissement quasiment réduite de moitié en deux ans d’existence, une conception en dépit du bon sens sur un territoire comprenant six intercommunalités, le plus étendu de France.

Nous avons vécu de l’intérieur l’écrasement de la voix des communes et pu mesurer aussi combien il était dangereux de ne pas tenir compte de leur avis. Si on les avait écoutées, nous n’en serions pas là, avec 2 milliards d’euros de dette, des conventions de gestion pas toujours régulières, notamment sur la clôture des budgets annexes ou sur les exigences d’évaluation préalable, des conventions de gestion sur l’ensemble des compétences communales transférées à la métropole, laquelle, se trouvant dans l’incapacité de gérer ces compétences, a imposé aux communes de le faire pour son compte.

Si les communes avaient été entendues, la métropole aurait peut-être été une métropole de projets, et donc une intercommunalité viable, agréable même et prospère.

Paraphrasant Benoist Apparu, je dirai que les gouvernements qui se sont succédé ont cédé à la tentation du « grand » et, n’ayant pu supprimer les communes, ont tenté de les vider totalement de leur substance : voirie, parkings, politique de la ville, eau, assainissement, et j’en passe, jusqu’aux lieux de sépulture…

Il n’en reste pas moins que les communes sont les racines des métropoles. Si leurs exécutifs demeurent les mieux élus de France, c’est bien parce qu’elles sont seules à assurer un lien de proximité réel, un lien démocratique avec les citoyens.

Les intercommunalités ont été créées pour aborder à un niveau supracommunal les grands enjeux territoriaux, comme le développement économique, l’environnement, les transports. Aux intercommunalités, c’est-à-dire aux communes réunies, à l’émanation des communes plus exactement, un regard plus large, de long terme, des projets et des moyens supérieurs ; aux communes, la vie quotidienne, le contact et… la sanction démocratique directe.

Aujourd’hui, l’élargissement autoritaire des compétences intercommunales n’a plus rien à voir avec la logique de subsidiarité qui a présidé à la création des intercommunalités. Ces grands ensembles visent à prendre la place des communes. Mais, sans ancrage suffisant, cela ne fonctionne pas. Le citoyen ne s’y retrouve pas. Le Parlement a déjà voté huit révisions de la loi NOTRe. La semaine prochaine, pour tenir compte, encore une fois, des réalités de terrain, nous devrons revenir sur la compétence eau et assainissement.

Les maires et les élus municipaux exercent leurs mandats dans un esprit de proximité, de connaissance profonde des besoins de leurs concitoyens, et ils ont été élus précisément pour cela : pour être au contact, à proximité d’« engueulades », diraient certains. Ils sont d’ailleurs bien souvent désignés très au-delà du simple choix d’une étiquette politique, ce qui n’est le cas dans aucune autre collectivité. Une intercommunalité, après l’élection de son président, doit gérer son territoire, pour le bien commun, dans l’intérêt général, par-delà les paramètres politiques habituels, dans la prise en considération et l’acceptation d’une grande diversité.

L’élection au suffrage universel direct des conseillers métropolitains conduirait à un modèle extrêmement politisé, viderait les communes de leur substance et distendrait encore considérablement le lien entre le citoyen et la décision intéressant son quotidien.

Cette question de l’élection au suffrage universel remonte à la loi de réforme des collectivités de 2010. Les maires avaient riposté avec force : en conséquence, le Sénat avait changé de majorité pour la première fois dans l’histoire de la Ve République ; souvenons-nous-en.

À cette époque, l’État évoquait l’ambition de rivaliser avec de grandes villes européennes. Dans les faits, après le vote de la loi de 2010, une seule métropole verra effectivement le jour, à la fin de 2011 : celle de Nice.

Les choses ont bien changé depuis… À la suite de la mise en œuvre des dispositions de la loi MAPTAM et de la loi NOTRe, vingt-deux métropoles ont été créées, regroupant 28 % de la population française.

Au départ, afin d’être mieux identifiées, quelques communautés urbaines se sont constituées en métropole. Aujourd’hui, avec la fusion des régions et malgré de multiples craintes concernant le régime juridique, les capitales de département, de région ou d’ancienne région y viennent de peur de perdre toute visibilité. L’ambition initiale d’identifier quelques métropoles à dimension européenne, voire mondiale, est bien loin. Reste que 72 % de la population vit en dehors des métropoles ; pour une grande part, ces Français sont ceux que l’on appelle les oubliés du monde rural. Les inégalités se sont dangereusement creusées.

Nombre d’ambiguïtés demeurent sur le concept de métropole, qui, dans l’imaginaire collectif, renvoie à d’immenses entités, comme Shanghai ou Mexico : super ville-centre, entité nouvelle, voire non encore bien identifiée ? Il est indispensable de clarifier le débat.

Qui, demain, sera élu au conseil métropolitain ? Les membres d’une liste portant une étiquette politique peu représentative des nuances et particularités locales ? Les membres d’une liste qui seront uniquement responsables devant leur président et son cabinet ? Ou bien des élus proches des habitants et risquant une double sanction électorale ?

Les métropoles ne sont pas des collectivités territoriales ; elles ne sont pas indépendantes, elles dépendent d’autres collectivités, les communes, tant d’ailleurs par leur périmètre que par leurs compétences. Mme la ministre l’a rappelé, aucune collectivité ne doit dépendre d’une autre ; du moins est-ce le sens de l’article 72 de la Constitution.

Élire demain les conseillers métropolitains sans fléchage serait de facto changer la nature de la métropole, mais aussi celle de toutes les communes. Cette proposition de loi est indispensable pour lever l’ambiguïté de l’article 54 de la loi MAPTAM, si bien détaillée par notre rapporteur Agnès Canayer, que je remercie de son travail.

Plus de quatre ans après la promulgation de la loi MAPTAM, nous ne pouvons demeurer dans l’incertitude sur l’élection des conseillers métropolitains. Une clarification est indispensable, et la présente proposition de loi la permet.

Le Sénat a toujours été opposé à ce que les conseillers métropolitains soient élus selon un mode de suffrage universel direct qui ne reposerait plus sur un ancrage communal. En adoptant cette proposition de loi mercredi dernier, la commission des lois de la Haute Assemblée s’est inscrite dans la parfaite continuité de la position qu’elle avait défendue lors des deux lectures du projet de loi MAPTAM. Le présent texte a donc deux mérites : réaffirmer la position nette du Sénat ; supprimer l’article 54 de la loi MAPTAM, scorie législative dont les conséquences n’ont en fait jamais été véritablement mesurées.

Le système actuel du fléchage est le meilleur trouvé à ce jour, le seul respectant tant les citoyens dans leur rôle d’habitants des communes que les principes fondateurs de l’intercommunalité.

La métropole lyonnaise est souvent présentée comme le modèle à suivre ; ma collègue Michèle Vullien en parlerait sûrement beaucoup mieux que moi. Son cas est très spécifique et ne peut être comparé à d’autres. Ne nous y trompons pas. La COURLY avait commencé d’exister dans d’excellentes conditions économiques voilà plus de quarante ans. Depuis 2015, le Grand Lyon, du fait du temps écoulé, d’une ville-centre unique et d’un périmètre relativement resserré –533, 68 kilomètres carrés –, a pu s’organiser de manière intelligente. Sa superficie est presque trois fois moindre que celle du Pays d’Aix, qui est de 1 333, 34 kilomètres carrés, et six fois moindre que celle de la métropole Aix-Marseille Provence, qui s’étend sur 3 173 kilomètres carrés et compte six bassins de vie et six villes-centres.

Le modèle lyonnais n’est décidément pas comparable aux autres. Le temps pris pour sa construction a été essentiel et lui a permis d’atteindre une certaine sagesse en termes de cohabitation, au sein d’un pôle métropolitain plus vaste, avec une autre ville-centre plus petite, Saint-Étienne. Son périmètre est viable et ses ressources solides.

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