Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du 5 avril 2018 à 15h00
Quelles perspectives pour les études de médecine — Débat organisé à la demande du groupe du rassemblement démocratique et social européen

Agnès Buzyn :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les évolutions à apporter aux études de santé, particulièrement aujourd’hui aux études de médecine, ont été au cœur des échanges et préoccupations de Frédérique Vidal et moi-même dès notre arrivée aux responsabilités, l’été dernier.

Elles devront prendre en compte les enjeux d’orientation et de réussite des étudiants, de qualité de la formation, de prospective des métiers de demain et de régulation démographique des professions de santé, dans la perspective de répondre aux besoins de la population.

Nous avons souhaité, dès le début du quinquennat, revoir l’approche de l’accès aux soins sur le territoire, en agissant dès la formation des futurs professionnels de santé. C’est pourquoi le Premier ministre et moi-même avons présenté, dès le mois d’octobre dernier, un vaste plan d’action pour l’accès territorial aux soins, qui constitue l’un des axes de la stratégie nationale de santé.

Ce plan vise à permettre à chaque citoyen d’avoir accès à une médecine de qualité, quel que soit l’endroit où il vit. Il comporte un panel de solutions adaptables à chaque contexte local, car la réponse aux difficultés démographiques n’est pas unique. Il est aussi porteur d’un changement de paradigme, car l’installation de professionnels de santé ne constitue pas la seule action à envisager : tous les leviers de nature à projeter du temps médical dans les territoires et les zones en tension sont à mobiliser.

Certaines mesures du plan – vous les avez évoquées, madame Guillotin – visent spécifiquement la formation des futurs médecins, particulièrement le déploiement des stages en ville.

La découverte de la médecine en cabinet, en maison ou en centre de santé au cours du cursus est en effet un élément essentiel à la préparation du projet professionnel de nos futurs médecins. Or, comme vous l’avez fait observer et comme chacun en fait le constat, leur formation est encore marquée par un très fort « hospitalo-centrisme ».

Il convient donc d’augmenter le nombre de maîtres de stage et d’améliorer l’organisation des stages. C’est pourquoi nous avons proposé que la rémunération des maîtres de stage soit bonifiée pour les médecins installés en zone sous-dense : 300 euros supplémentaires par mois, en plus des honoraires de base de 600 euros. Des réflexions sont également en cours afin de faciliter les procédures d’agrément des maîtres de stage.

Par ailleurs, il est essentiel que les étudiants puissent être formés dans des lieux d’exercice plus proches de leur exercice futur. Pour permettre ce déploiement des étudiants dans les territoires, une prime à destination des internes qui choisissent d’effectuer un stage ambulatoire en zone sous-dense va être créée : d’un montant de 200 euros par mois, elle sera destinée aux internes qui ne se verront pas proposer par une collectivité territoriale une solution d’hébergement ou une aide à l’hébergement de proximité.

Je souhaite que puisse être étendue aux zones sous-denses la possibilité de donner le statut de médecin adjoint aux étudiants en médecine remplissant les conditions pour obtenir une licence de remplacement.

Cette possibilité, que vous avez mentionnée, madame Guillotin, était jusqu’à présent limitée aux cas d’afflux exceptionnels de population. Elle permettra de renforcer le temps médical disponible dans des zones identifiées comme prioritaires, en même temps qu’elle permettra à de futurs médecins de s’aguerrir à un certain type d’exercices et, pour certains, de poser les bases de leur projet professionnel.

Reste que la répartition des professionnels sur le territoire, si elle est un enjeu essentiel, ne doit pas être le seul objectif d’une réforme des formations de santé. La réflexion sur les études de médecine doit porter dans le même temps sur le numerus clausus, la première année commune, la PACES, et les épreuves classantes nationales. C’est un changement de vision qui doit être opéré.

La réflexion sur le numerus clausus doit être approfondie. Même s’il a été doublé en quinze ans – nous formons aujourd’hui 8 000 médecins, contre 3 500 dans les années 1990 –, celui-ci présente aujourd’hui des limites, que nous reconnaissons.

Je pense en particulier au contournement européen, avec la reconnaissance automatique des diplômes des médecins formés au sein de l’Union européenne. Je pense aussi au gâchis humain suscité par le concours de la première année, ainsi qu’à la hiérarchisation et la stigmatisation des professionnels de santé aux dépens du développement d’un esprit de coopération et de collaboration.

Une réflexion a été lancée dans le cadre de la transformation du système de santé ; elle sera sans tabou. De premières propositions nous seront remises, à Frédérique Vidal et à moi-même, à la fin du mois de mai prochain.

La première année commune des études de santé doit aussi être réformée, en lien avec les expérimentations d’alternatives lancées par la loi de juillet 2013.

La mise en place de la PACES, en 2009, répondait à la volonté de faire face aux conséquences des échecs des candidats. Aujourd’hui, le constat est fait que la PACES n’atteint pas cet objectif et qu’il est nécessaire de la faire évoluer.

Les expérimentations lancées visent à répondre à deux objectifs prioritaires : diversifier les profils des étudiants accédant à ces filières ; permettre aux étudiants non admis dans ces filières de poursuivre leurs études en capitalisant sur leur année ou leurs deux années de PACES, sans avoir nécessairement à se réinscrire en première année dans un autre cursus.

Les expérimentations de ce type ont besoin de temps pour que l’on puisse en mesurer pleinement les effets et les évaluer de façon complète, avant de décider ou non leur généralisation. C’est pourquoi la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants prévoit la prolongation de l’expérimentation jusqu’à la fin de l’année universitaire 2021-2022.

Toutes ces expérimentations feront l’objet d’une évaluation que le Gouvernement présentera au Parlement, et nous en tirerons les conséquences qui s’imposent.

Le modèle de réforme du deuxième cycle des études de santé doit être repensé, pour permettre de sortir des écueils créés par les épreuves classantes nationales. Ces épreuves de fin de sixième année ont en effet montré leurs limites, et il nous faut repenser le second cycle des études de médecine dans son ensemble.

Nous avons confié au professeur Jean-Luc Dubois Randé et au docteur Quentin Hennion-Imbault une mission pour analyser les options possibles. Ils ont remis leurs propositions à fin du mois de décembre dernier. Elles nécessitent un approfondissement, tant certaines sont restructurantes.

La proposition la plus marquante est la fin des ECN, qui sont insuffisamment discriminantes, favorisent l’apprentissage théorique et, surtout, ne permettent pas l’appariement entre la compétence et la spécialité.

J’ai demandé que ces propositions, qui s’inscrivent dans la continuité de la réforme du troisième cycle des études de médecine, fassent l’objet d’une grande concertation, lancée en mars dernier et qui doit se conclure à l’automne. Ces travaux devront permettre aux formations de donner les clefs nécessaires aux professionnels pour s’adapter aux enjeux du système de santé de demain.

La réforme du troisième cycle des études médicales, soit l’internat, avait été rendue nécessaire par l’évolution de la médecine, l’émergence de nouveaux savoirs et pratiques et l’évolution des spécialités. Cette réforme, réalisée en 2016, est porteuse d’avancées pédagogiques concernant l’évolution des pratiques médicales et des outils pédagogiques mobilisables. Elle est toujours en phase de déploiement et fait l’objet d’un suivi approfondi des services du ministère.

Enfin, j’en viens à la question préoccupante du bien-être des étudiants en santé, une question que vous avez également soulevée, madame Guillotin.

En 2016, le Conseil national de l’ordre des médecins a publié une enquête réalisée auprès des étudiants et jeunes médecins : elle faisait apparaître que 14 % d’entre eux avaient déjà nourri des idées suicidaires. En 2017, les études menées par les syndicats et les fédérations d’étudiants en médecine et en soins infirmiers ont mis l’accent sur des situations de maltraitance. Aujourd’hui, il apparaît que, en moyenne, deux tiers des étudiants souffrent d’anxiété ; vous avez donné le chiffre, madame la sénatrice, et je n’y reviens pas.

Frédérique Vidal et moi-même avons donc confié, en juillet dernier, une mission au docteur Donata Marra sur la qualité de vie au travail des étudiants en santé, dans un contexte où les enquêtes et témoignages se multipliaient. Ce rapport met en avant le caractère multifactoriel et complexe de ce mal-être, qui tient aux évolutions de la société – changements culturels, place du numérique, réseaux sociaux, entre autres – et à celles de l’exercice professionnel, ainsi qu’aux tensions, à la pression et au temps de travail.

Pour améliorer la situation, il faudra agir collectivement sur quinze leviers identifiés, auxquels correspondent les quinze engagements que nous avons pris.

Tout d’abord, nous prendrons des mesures immédiates de soutien et d’intervention, en réaffirmant le refus des pratiques inacceptables et en saisissant au besoin les instances disciplinaires. Nous créerons aussi dans toutes les facultés une structure d’accompagnement et nous améliorerons les conditions de travail dans le cadre des stages, par la généralisation des conventions d’accueil des étudiants dans les établissements de santé.

Nous poursuivrons également la transformation globale des études de santé, en particulier en repensant les cursus pour les centrer sur les compétences à acquérir et sortir d’une logique de compétition.

Enfin, nous assurerons des passerelles de sortie avec validation des acquis pour tous les étudiants en santé.

Ces chantiers, déjà engagés, doivent maintenant s’articuler les uns avec les autres pour former une évolution cohérente de la formation des médecins de demain, dans une logique plus vaste et de plus longue haleine : celle de la transformation du système de santé. Alors que ce système est en pleine mutation, nous devons nous emparer de ces enjeux et penser les métiers de demain. Frédérique Vidal et moi-même piloterons conjointement cette transformation.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les futurs professionnels de santé sont une richesse pour notre pays. Nous devons leur offrir les conditions d’étude qu’ils méritent. Ensemble, nous pouvons agir afin d’adapter les formations et d’anticiper les besoins de demain !

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