Je concentrerai mon propos de praticien sur la loi Fauchon.
Je suis assez surpris du décalage entre la satisfaction généralement exprimée au sujet de la loi Fauchon et la réalité des jugements, au moins en première instance, rendus contre des élus. Ce bilan n'est pas complètement satisfaisant et il faut remettre ce texte sur le métier, même si son accouchement a été difficile.
Selon moi, la magistrature a en partie édulcoré sa portée et s'est un peu éloignée de la volonté du législateur. L'idée, c'est de restreindre les cas dans lesquels la responsabilité pénale des élus pourra être recherchée tout en augmentant les cas dans lesquels les personnes morales des collectivités locales pourront être poursuivies. Il faut prendre en compte à la fois la demande des élus que soient à l'avenir évités les cas les plus choquants de condamnation de leurs pairs et la demande sociale de pénal, pour ne pas dire la soif, parfois un peu injustifiée, de nos concitoyens.
Comment pourrait-on procéder pour parvenir à un tel équilibre ? D'abord, sur le fondement de l'article 121-3 du code pénal, à quelles conditions un maire peut-il être condamné pénalement lorsqu'il est l'auteur indirect d'un délit non intentionnel, par exemple d'une blessure ou d'un homicide involontaire, que personne n'a évidemment souhaité ? La loi Fauchon a introduit deux cas alternatifs, deux branches, et les cas de condamnations choquants sont tous fondés sur la seconde branche.
Première branche : le maire est condamné lorsqu'il a violé de façon manifestement délibérée une règle particulière de prudence et de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Quand un élu en conscience, souvent en raison d'arbitrages économiques, viole la norme et qu'un accident surgit, la condamnation du maire n'est pas contestable. Exemple : en cas d'accident, la condamnation du maire qui a maintenu ouvert à la baignade un lac naturel parce qu'il savait que toute l'activité économique de son village en dépendait, au mépris de la sécurité des baigneurs, n'est pas contestable.
Seconde branche : le maire peut aussi être condamné lorsqu'il commet une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer. Sur cette branche ont poussé des condamnations qui choquent les élus, à juste titre.
On a bien entendu la DACG : la faute caractérisée devait en principe exiger une faute répétée, d'une particulière gravité. Mais ce n'est pas ainsi que la jurisprudence a fini par traiter cette faute. Dès 2002, un rapport public de la Cour de cassation indique : cette mention d'une faute caractérisée « peut apparaître superfétatoire, car on ne voit pas a priori comment retenir une faute qui ne le serait pas. » Autrement dit, le terme « caractérisée » a été vidé de sa substance en théorie et en pratique.
Il suffit qu'un risque d'une particulière gravité survienne pour que les magistrats le reprochent. En témoigne un arrêt de la cour d'appel de Rouen en 2003. Dans un petit village de l'Oise, alors que l'adjoint au maire marchait devant les majorettes qui défilaient pour les protéger, un chauffard a manqué un virage et percuté deux fillettes, alors blessées. Le maire a été condamné à une amende de 1 500 euros. C'est non pas l'amende qui pose problème, mais le caractère infamant de cette décision. Le maire a démissionné. Je voudrais que l'on m'explique quelle était en l'espèce la faute caractérisée. De n'avoir pas mis un gyrophare devant le défilé !
Le troisième élément prétendument protecteur de la loi Fauchon est la particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer. Mais on frôle là la pensée magique : plus que l'omniscience, on fait appel à l' « omniprescience » de l'élu. Non seulement ce dernier est censé tout savoir, mais il doit tout anticiper. À cet égard, je citerai l' « arrêt de la soirée mousse » : un maire de 800 habitants a été condamné pour ne pas s'être suffisamment intéressé aux conditions dans lesquelles le disc-jockey qui organisait la soirée avait relié son matériel à la terre. Selon l'attendu de la Cour d'appel de Montpellier, qui n'est pas contesté par la Cour de cassation, un maire se doit d'être d'autant plus présent que sa commune est plus petite. N'est-ce pas là une provocation à l'encontre de la volonté du législateur dans le cadre de la loi de 1996 sur les diligences normales ?
En 1996, le législateur a voulu obliger les magistrats à prendre en compte les conditions concrètes dans lesquelles les fonctions des maires s'exercent. Ce n'est pas extra legem, c'est contra legem.
Dans ces conditions, il faut couper cette branche ! Loin d'être radical ou révolutionnaire, on en reviendrait simplement à la rédaction originelle de la proposition de loi du sénateur Fauchon : l'auteur indirect pour délit non intentionnel ne pouvait être condamné que s'il violait de manière manifestement délibérée une règle particulière de prudence ou de gravité prévue par la loi ou le règlement.
Je le sais bien, il est extrêmement difficile d'assumer une réforme qui pourrait être accueillie par l'opinion publique comme tendant unilatéralement à protéger les élus. Aussi, cette mesure doit s'accompagner d'une ouverture concomitante des conditions d'engagement de la responsabilité pénale des collectivités locales. Tout le monde y gagnerait :
- les maires : l'accident, l'homicide est bien souvent le fruit d'un dysfonctionnement de la structure. Il ne serait donc pas choquant de condamner la personne morale.
- les victimes : le secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (FENVAC) déclarait ici lors d'un colloque qu'il était favorable à l'extension des conditions d'engagement de la responsabilité pénale des communes : « Faire peser sur les épaules d'un seul homme une catastrophe qui entraîne des effets de grande ampleur ne répond pas en effet à la nécessité d'une réponse pénale. Nous souhaitons voir la responsabilité des collectivités locales élargie, élargissement qui réduirait le nombre des poursuites à l'encontre des fonctionnaires. » Mais nous pensons aussi aux élus.
- les praticiens du droit : en l'état actuel, à quelles conditions peut-on orienter les poursuites vers la personne morale plutôt que la personne physique ? Seulement lorsque l'infraction a été commise dans l'exercice d'activités susceptibles de délégation de service public. Sans revenir sur la genèse de cette formule, celle-ci est mal commode. Les parquetiers sont obligés de se pencher sur la jurisprudence du Conseil d'État pour savoir si l'activité visée est susceptible de délégation de service public ou pas.
Pour prendre l'exemple des cantines scolaires, la fourniture des repas peut faire l'objet d'une délégation, mais pas la surveillance des enfants. Si le dommage provient de la qualité des aliments, la commune pourra être poursuivie ; si un enfant est tombé d'une chaise, seul le maire pourra être poursuivi. Cette disposition ajoute une subtilité qui n'est pas nécessaire. Supprimez cette condition ! Prévoyons que, comme toutes les autres personnes morales, hormis l'État, les communes puissent être poursuivies pénalement pour les infractions commises par leurs organes ou leurs représentants. Une réponse pénale pourra ainsi être apportée aux victimes. Qui plus est, la commune est un débiteur solvable.
Enfin, je formulerai une dernière proposition de réforme concernant la composition pénale.
La semaine dernière, dans un tribunal de grande instance de la région Bourgogne-Franche-Comté, j'ai assisté un maire convoqué à une composition pénale devant le délégué du procureur. L'association de pêche et les sapeurs-pompiers avaient demandé que l'on cure les mares de la commune. L'opération a eu lieu en février, période de reproduction des batraciens. Toutes les précautions ont été prises : les poissons et les amphibiens ont été mis dans d'autres mares. Une association de protection de l'environnement a pris une photographie d'un crapaud bufo retrouvé mort dans les détritus au bord de la mare, un crapaud commun que l'on trouve du Portugal en Sibérie, mais qui figure sur l'arrêté ministériel des espèces protégées. Le parquet a décidé une composition pénale pour destruction d'espèces protégées.
Modifions l'article 41-2 du code de procédure pénale pour ouvrir la composition pénale aux personnes morales !