Intervention de Didier Rebut

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 5 avril 2018 : 1ère réunion
Table ronde « responsabilité pénale des élus et déontologie »

Didier Rebut, professeur des universités à Paris II Panthéon-Assas :

Des magistrats leur ont répondu qu'ils devront s'habituer. Toutefois, ces derniers continuent de penser qu'ils sont confrontés à une responsabilité pénale qu'ils ne maîtrisent pas. N'arrivent-ils pas à s'habituer à cette nouvelle situation ou la responsabilité pénale pose-t-elle des problèmes ?

La réponse est double : les maires ne s'habituent pas à certaines responsabilités pénales, peut-être pour certaines raisons et du fait que certains points peuvent poser problème.

Concernant la prise illégale d'intérêts, la jurisprudence est connue. Il n'empêche que les maires ne s'y habituent pas, car cette responsabilité pénale présente un caractère incompréhensible ou inacceptable : un délit classé dans les manquements au devoir de probité, c'est-à-dire la malhonnêteté, frappe des élus pour des actes qui n'ont rien de malhonnête. Il revient au juge pénal de se prononcer sur l'illégalité : d'ailleurs, on se demande ce que fait cette notion dans l'appellation du délit. Ce délit ne sanctionne pas la violation d'une réglementation en tant que telle.

Des délits, comme celui de favoritisme, sont devenus extrêmement objectifs, que l'on peut même qualifier de « formels ». La mise en oeuvre du délit de favoritisme par la Cour de cassation et les juges du fond est la plus formelle et la plus mécanique qui soit. M. le rapporteur a soulevé cette jurisprudence, lorsque l'on reproche l'intérêt du territoire, on est au bout d'une certaine logique, c'est une abstraction du droit pénal. Je pèse mes mots, le droit pénal a perdu de vue la réalité.

Par ailleurs, subsiste un véritable élément d'incertitude pour ce qui concerne certaines infractions. En matière de favoritisme notamment, on voit le foisonnement de la réglementation. Le délit sanctionne la violation de la réglementation en tant que telle. La jurisprudence a fait en sorte que le délit pénal soit en lui-même caractérisé. Là encore, le texte a été dénaturé : les positions sur l'avantage injustifié, l'élément intentionnel, ont été totalement balayées par la jurisprudence. L'élu a donc l'impression d'être dans une nasse : une infraction dont il ne maîtrise pas la mise en oeuvre lui tombe dessus.

Une représentante de la DACG nous a parlé de risque pénal. Mais j'apprends à mes étudiants que le droit pénal doit être non pas un risque, mais une certitude. Parler de risque pénal est une dénaturation. Les élus ont l'impression d'être en présence d'un risque, un aléa, au sens du droit des assurances, contre lequel il n'existe pas d'assurance. On entend ce discours sur les délits non intentionnels, la prise illégale d'intérêts, le favoritisme. Aucun élu ne parle de risque pénal en matière de corruption ou de trafic d'influence.

Selon moi, le favoritisme n'a d'intentionnel que le nom. Un arrêt de 2014 de la chambre criminelle de la Cour de cassation sur le caractère intentionnel du favoritisme est absolument extraordinaire ! Évidemment, certaines prises illégales d'intérêts sont incontestables sur le plan de l'ensemble des éléments constitutifs. Mais la situation témoigne d'une certaine anormalité de la mise en oeuvre de tout un champ, et je comprends qu'il soit particulièrement mal ressenti.

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