Intervention de Catherine Troendle

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 avril 2018 à 8h30
Projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017 étendant et adaptant à la polynésie française certaines dispositions du livre iv du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence — Procédure de législation en commission articles 47 ter à 47 quinquies du règlement - examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Catherine TroendleCatherine Troendle, rapporteur :

La ratification de cette ordonnance est obligatoire dans un délai de dix-huit mois suivant sa publication, sous peine de caducité, en application de l'article 74-1 de la Constitution. Le délai expire en août 2018.

En 2014, la Polynésie française a voulu se doter d'un droit de la concurrence moderne et cohérent, dans le cadre d'une économie insulaire dépendant d'un nombre limité d'acteurs économiques - le marché est très étroit et peu attractif, le territoire ne comptant que 280 000 habitants. Pour ce faire, la Polynésie française a élaboré un code de la concurrence, directement inspiré du livre IV du code de commerce national, lequel prévoit notamment la création d'une autorité polynésienne de la concurrence sur le modèle de l'Autorité de la concurrence nationale. Une résolution l'assemblée de la Polynésie française a demandé à l'État de prendre les dispositions complémentaires relevant de sa compétence, en matière d'organisation judiciaire, de droit pénal, de procédure pénale et de procédure administrative contentieuse. Et une loi du pays du 23 février 2015 a créé l'APC et édicté les dispositions de droit de la concurrence qui relèvent de la compétence de la Polynésie.

L'APC a trois missions : consultative - ses avis sont formulés en réponse à une demande ou de son initiative ; administrative, puisqu'elle examine les opérations de concentration économique, ses décisions pouvant faire l'objet de recours devant les juridictions administratives ; et contentieuse et quasi juridictionnelle, avec la sanction des pratiques anticoncurrentielles. Ce pouvoir de sanction porte en particulier sur les cartels et ententes, mais aussi sur d'autres pratiques interdites spécifiques à l'outre-mer. La saisine peut être assurée d'office par le rapporteur général de l'autorité. Elle peut aussi être le fait des pouvoirs publics locaux, des entreprises ou d'autres personnes habilitées. Là encore, un recours est prévu, devant les juridictions judiciaires.

Le 9 juillet 2015, le président de l'APC a été nommé pour six ans. Les quatre autres membres du collège de l'autorité l'ont été le 30 septembre 2015. Le 23 juillet 2015 a été signée une convention avec l'Autorité de la concurrence, pour la formation des membres et des agents de l'APC. Le 1er février 2016, les dispositions de la loi du pays sont entrées effectivement en vigueur, après notamment la désignation du rapporteur général, chargé du service d'instruction des affaires. Le 6 juillet 2016, l'APC a prononcé sa première décision, au sujet d'une opération de concentration dans le domaine de l'hôtellerie. La plupart des opérations de concentration concernent le tourisme et, plus particulièrement, l'hôtellerie.

Fin 2016, un projet d'ordonnance a été soumis à l'avis de l'assemblée de Polynésie française. Cet avis, favorable, a été rendu trop tardivement. La publication de l'ordonnance au Journal officiel a eu lieu en février 2017 sans attendre l'avis. Un décret d'application de l'ordonnance était attendu avant le 30 juin 2017, date ultime à laquelle l'ordonnance devait entrer en vigueur. À ce jour, le décret n'a toujours pas été pris en raison d'un désaccord persistant entre le ministère de l'outre-mer et le ministère de la justice concernant les voies de recours contre les décisions administratives de l'APC. Enfin, le choix semble avoir été fait très récemment : la compétence serait confiée à la cour administrative d'appel de Paris, plutôt qu'au tribunal administratif de Papeete, pour éviter l'addition des recours. Monsieur le secrétaire d'État, une telle carence est anormale de la part du Gouvernement !

L'ordonnance détermine les tribunaux compétents en Polynésie française pour connaître des litiges en matière de pratiques anticoncurrentielles. Elle fixe les règles de prescription de l'action publique. Elle attribue aux agents de l'APC des pouvoirs d'enquête spécifiques et contraignants : pouvoir de visite en tous lieux et saisie de tous documents, possibilité de demander communication de tous documents en possession d'une administration publique ou d'une juridiction. Enfin, elle fixe les voies de recours devant le juge judiciaire pour les décisions prises par l'APC en matière de pratiques anticoncurrentielles.

Il y a aussi ce que l'ordonnance ne prévoit pas : les pouvoirs d'enquête ordinaires des agents de l'APC, c'est-à-dire les pouvoirs non coercitifs. Leur détermination relève de la compétence de l'assemblée de la Polynésie française selon le Conseil d'État, car les libertés publiques ne sont pas en cause.

Or, il y a très peu de temps, le 14 mars 2018, l'assemblée de la Polynésie française a adopté une nouvelle loi du pays pour corriger certains aspects du code de la concurrence. Ce texte supprime certaines prérogatives de l'APC en matière de contrôle des pratiques anticoncurrentielles et autorise le président de la Polynésie française à évoquer une affaire de concentration économique en statuant lui-même à la place de l'APC. En revanche, curieusement, rien n'est prévu sur les pouvoirs d'enquête ordinaires des agents de l'APC.

La conjoncture locale est très différente de celle de 2014 et l'APC est aujourd'hui remise en cause, sur fond de scepticisme à l'égard de l'efficacité économique du droit de la concurrence, s'agissant d'une économie insulaire aussi petite. Car la baisse des prix tant attendue n'a pas eu lieu. En outre, les décisions de l'APC en matière d'autorisation des opérations de concentration économique font l'objet d'une contestation politique. Je songe en particulier à l'affaire de la desserte maritime inter-îles. Mais toutes ces questions relèvent de la seule compétence des autorités polynésiennes.

La loi du pays du 14 mars 2018 appelle peut-être une actualisation de l'ordonnance, notamment pour ce qui concerne les références au code de la concurrence de Polynésie française. Toutefois, elle n'a pas encore été promulguée, compte tenu des délais de recours encore ouverts pour la contester devant le Conseil d'État : en conséquence, il n'est pas possible aujourd'hui d'en tenir compte. Je le répète, ce texte a été adopté il y a quelques semaines et il sera peut-être soumis au contrôle du Conseil d'État.

Je vous proposerai deux amendements.

Le premier tend à préciser le régime des voies de recours contre les décisions de l'APC en matière de pratiques anticoncurrentielles, par analogie avec les règles relatives à l'Autorité de la concurrence nationale, pour ce qui concerne la fixation des délais de recours et la compétence de la cour d'appel de Paris. Cet amendement vise également à permettre la coopération entre l'APC, l'Autorité de la concurrence et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en matière d'enquêtes de concurrence sur leurs territoires respectifs.

Le second amendement a pour objet de rétablir l'obligation pour les membres des autorités administratives indépendantes créées par la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie d'adresser une déclaration de patrimoine et une déclaration d'intérêts à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Ces obligations étaient prévues dans la loi de 2013 sur la transparence de la vie publique. Lorsque celle-ci a été modifiée en 2016, l'ensemble des autorités tenues de déposer une déclaration ont été énumérées de manière précise, mais l'APC a été oubliée.

Enfin, je remercie les représentants de toutes les administrations et autorités que nous avons pu entendre en audition ou qui nous ont répondu par écrit, dans des délais très brefs. Mais je regrette vivement de n'avoir pas pu entendre la DGCCRF, largement concernée par ce sujet ! Malgré nos nombreuses relances, notre demande est demeurée sans réponse.

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