Intervention de Véronique Guillotin

Réunion du 3 avril 2018 à 15h00
Quelles perspectives pour les études de médecine — Débat organisé à la demande du groupe du rassemblement démocratique et social européen

Photo de Véronique GuillotinVéronique Guillotin :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai bien compris que le temps était contraint ; je m’efforcerai donc à la célérité, tout en essayant de bien me faire comprendre.

Les problématiques touchant à la médecine, à la répartition territoriale des praticiens et à l’avenir de notre système de santé prennent une place croissante dans nos travaux et dans la société. La santé est devenue l’une des toutes premières préoccupations des Français.

Le groupe du RDSE, toujours sensible aux questions de santé publique et de maillage territorial, a souhaité mettre à l’ordre du jour ce débat, qui nous permet de prendre une part active à la concertation sur la réforme des études médicales lancée en mars dernier par le Gouvernement.

La formation des médecins et les ressources humaines sont un pilier essentiel de la transformation de notre système de santé. Celle-ci intervient dans un contexte de grandes difficultés d’accès aux soins et d’une certaine désaffection des praticiens, associés à un profond malaise des étudiants.

Confrontés à un double carcan – le numerus clausus en fin de première année et les épreuves classantes nationales, ou ECN, en fin de deuxième cycle – les étudiants en santé sont soumis à des conditions de vie dégradées, comme l’a souligné dans son rapport le professeur Diot, président de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé.

Une vaste enquête sur la santé mentale des jeunes médecins, menée l’année dernière par l’Association nationale des étudiants en médecine de France, le confirme : plus des deux tiers des carabins présentent des symptômes anxieux, un tiers des symptômes dépressifs et un quart des idées suicidaires, avec des passages à l’acte malheureusement trop fréquents. La moitié des étudiants en médecine ont déjà songé à arrêter leur cursus. Ces résultats sont accablants !

Quelques pistes peuvent expliquer ce malaise : un cursus excessivement sélectif ; une charge de travail très lourde, avec une réglementation européenne sur les quarante-huit heures hebdomadaires et le repos de sécurité qui n’est, hélas, pas toujours respectée ; la confrontation à la maladie et à la mort ; une trop grande responsabilisation d’étudiants pas toujours bien préparés ; des conduites de management inappropriées, avec encore des situations de harcèlement, de pression, voire de sexisme.

Ce malaise doit être entendu. Si de telles conditions de vie et d’apprentissage pouvaient jusqu’ici être tolérées, aujourd’hui, la situation n’est plus acceptable. Nous saluons donc les engagements pris avant-hier par les ministres de la santé et de l’enseignement supérieur, en réponse au rapport sur la qualité de vie des étudiants en santé réalisé par le docteur Donata Marra.

Le débat sur la réforme des premier et deuxième cycles se concentre sur le numerus clausus, les ECN et les contenus pédagogiques.

Le numerus clausus, défini comme un outil de régulation, montreses limites et doit, à de nombreux titres, être repensé.

Il est d’abord inefficace en ce qui concerne la répartition des médecins sur les territoires. Ensuite, son inertie est grande. De plus, il est contourné par l’arrivée de médecins étrangers ou de médecins français ayant réalisé leurs études à l’étranger. Enfin, il entraîne un taux d’échec sans alternative qui n’est pas acceptable. Après deux tentatives, en effet, nombre d’étudiants se retrouvent sans rien. On ne peut se satisfaire d’un tel gâchis.

La nécessité de revoir en profondeur la première année commune des études de santé, la PACES, et le numerus clausus est reconnue par la plupart des acteurs, et nous souscrivons à ce point de vue. Toutefois, considérer que la suppression du numerus clausus résoudrait à elle seule les difficultés d’accès aux soins serait une erreur. En effet, le nombre de médecins n’a jamais été aussi élevé : ils sont aujourd’hui 215 000, soit 92 % de plus qu’en 1979.

Supprimer le redoublement en première année et favoriser les alternatives dans un parcours LMD apparaissent comme des solutions intéressantes pour diversifier les profils et éviter le gâchis de la PACES.

À la fin du deuxième cycle, l’orientation des futurs médecins est conditionnée par le classement aux ECN. Leur choix, parfois contraint par ce résultat, les engage dans l’exercice d’une spécialité tout au long de leur carrière, sans réelles possibilités de réorientation. La transformation des diplômes d’études spécialisées complémentaires, dits « DESC », en médecine gériatrique, phlébologie, allergologie ou médecine d’urgence en diplômes d’études spécialisées a renforcé cette rigidité.

Après le fiasco des ECN en 2017, le président de la Conférence des doyens de médecine a préconisé leur suppression sous leur forme actuelle, pour privilégier le contrôle continu avec une modulation régionale adaptée aux besoins des territoires et aux capacités de formation des universités.

En ce qui concerne le contenu pédagogique, une plus grande professionnalisation dès le deuxième cycle, une plus grande porosité entre les différentes spécialités et des passerelles au cours des études et de la carrière sont également à envisager.

En ce sens, la réforme des études de santé offre une belle occasion de former les étudiants aux nouvelles pratiques et répondre aux enjeux de la médecine d’aujourd’hui.

Cela suppose de mettre l’accent, le plus tôt possible, sur le travail en équipe. À cet égard, l’une des premières solutions est l’« universitarisation » des formations de santé : ensemble, sur les bancs de l’université, les étudiants pourront apprendre à coopérer, notamment dans le cadre de temps de formation communs.

Un autre souhait des professionnels de santé est d’inciter les étudiants à effectuer plus de stages d’externat, dès le deuxième cycle, en dehors des CHU, dans les hôpitaux périphériques, en maison et pôle de santé, dans le privé comme dans le public et pour toutes les spécialités.

De fait, la formation encore trop « hospitalo-centrée » et « CHU-centrée » biaise les orientations professionnelles des jeunes médecins. Ces stages leur permettront de mieux appréhender la pratique de la médecine ambulatoire et de mieux connaître les professionnels de santé qui interagissent autour du patient. À n’en pas douter, ils favoriseront les installations futures sur les territoires.

Nous saluons les mesures prises en ce sens dans la réforme du troisième cycle, mais un effort considérable reste à faire sur nos territoires en tension en direction des maîtres de stage universitaires, sans quoi les bonnes intentions ne pourront pas se concrétiser.

Le médecin de demain, c’est aussi celui qui sait tirer profit des avancées technologiques. Les formations doivent intégrer de nouveaux outils tels que l’« e-santé » et les apports de l’intelligence artificielle. Il est indispensable que la France, qui se veut à la pointe dans ce domaine, laisse toute sa place à l’innovation, que celle-ci soit technologique ou organisationnelle, dès les études médicales.

Par ailleurs, il paraît indispensable de mieux former les jeunes à la gestion administrative de leur futur travail, car leur impréparation peut être un frein à l’installation.

Pour finir, j’aborderai la question des origines sociales et territoriales des étudiants en médecine. D’après une étude, quatre étudiants sur dix de la PACES 2013-2014 venaient de milieux favorisés, ce qui place les études de santé parmi les formations les plus clivées socialement. La même étude a montré qu’un enfant de cadre avait 2, 5 fois plus de chances qu’un enfant d’ouvrier d’intégrer une deuxième année.

Ce manque de diversité, difficilement acceptable pour les élus de la République, a, de plus, des conséquences majeures sur l’installation des jeunes praticiens une fois leur diplôme obtenu.

Dans ce domaine, des expérimentations intéressantes se déroulent sur notre territoire. Ainsi, dans le Centre-Val de Loire, le parcours « Ambition PACES » vise à susciter des vocations chez des élèves de quatorze lycées ruraux : professeurs et étudiants en médecine proposent un « tutorat santé », en faisant le pari qu’une partie de ces futurs médecins s’installeront sur leur territoire d’origine. Le bénéfice est double, puisque ce dispositif renforce l’égalité des chances.

L’inégalité d’accès aux soins nous interpelle tous, et la réforme des études médicales doit répondre à cet enjeu. Devant l’urgence de la situation, certains pensent que la coercition pourrait être une solution. À titre personnel, je ne partage pas cet avis.

Des erreurs d’aménagement du territoire ont été commises : trente années d’un numerus clausus mal régulé et, surtout, un manque d’anticipation de la transformation de notre société ont abouti à la situation que nous connaissons. Les incitations financières, nous l’avons vu, ont également leurs limites.

Les nouvelles générations de médecins cherchent avant tout un projet pluriprofessionnel, compatible avec un projet familial, sur un territoire où ils se sentent bien. Les collectivités territoriales ont à cet égard tout leur rôle à jouer dans l’accompagnement de cette réforme, par exemple par le soutien aux maisons de santé pluriprofessionnelles ou aux maisons des internes, projets expérimentaux engagés sur mon territoire.

Je conclurai en mettant en débat trois propositions qui ont émergé au cours de nos auditions.

Tout d’abord, il conviendrait de créer un service civil permettant à des étudiants en fin de cursus, sur la base du volontariat, de renforcer la présence médicale dans les territoires sous-dotés. Neuf organisations de médecins, d’internes et d’étudiants vont dans ce sens, en invoquant la solidarité intergénérationnelle.

Ensuite, des médecins assistants territoriaux pourraient être créés, à l’image de ce qui se fait déjà à l’hôpital.

Enfin, il faudrait généraliser, sur les territoires en difficulté, les postes de médecins adjoints, occupés par des étudiants en cours de troisième cycle.

Madame la ministre, mes chers collègues, le sujet est vaste, mais les ressources ne manquent pas. Pour améliorer la prise en charge de nos concitoyens, la qualité de vie de nos praticiens et le système de santé publique dans sa globalité, une refonte des formations en santé, avec une attention particulière portée aux étudiants, nous paraît inévitable.

Des expérimentations locales existent, qui sont source d’espoir. Nous attendons notamment de la grande concertation qui débute qu’elle en fasse le recensement exhaustif et l’évaluation, afin d’aboutir à une refonte des études médicales adaptée aux grands enjeux de notre système de santé !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion