Intervention de Nathalie Loiseau

Commission des affaires européennes — Réunion du 29 mars 2018 à 9h00
Institutions européennes — Audition de Mme Nathalie Loiseau ministre auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargée des affaires européennes sur les conclusions du conseil européen des 22 et 23 mars 2018

Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

J'ai présenté la semaine dernière ce que nous attendions de ce Conseil européen, je me réjouis de revenir devant vous pour évoquer les grands sujets d'actualité qui ont été traités.

Ce Conseil s'est déroulé alors que l'Union européenne était mise au défi par les États-Unis, au travers de mesures commerciales, par l'attaque de Salisbury et par le comportement de la Turquie en mer Égée envers deux États membres.

Le Conseil européen au sens propre s'est tenu jeudi après-midi. Il a envoyé un signal politique sur l'importance du marché intérieur, principal levier de l'Union pour orienter les règles du jeu mondial. Pour les colégislateurs, c'est la dernière année de travail effectif, il leur faut aboutir sur les législations relatives au numérique, aux données, à l'énergie ou aux marchés des capitaux.

Le Conseil européen a soutenu notre approche d'une Europe qui protège. Nous avions mis en avant trois priorités : la politique industrielle, le social et le commerce. Sur ce dernier point, nous avons obtenu des avancées importantes : les conclusions demandent à la Commission de réfléchir à la mise en oeuvre des engagements pris par les États tiers et appellent les colégislateurs à mieux contrôler les investissements et à trouver un équilibre dans l'ouverture des marchés publics. Le Président de la République a également rappelé qu'il n'était pas souhaitable de passer des accords commerciaux avec des pays qui n'étaient pas signataires de l'accord de Paris.

La discussion entre les chefs d'État et de gouvernement s'est concentrée sur la décision des États-Unis d'augmenter les droits sur l'aluminium et l'acier, que le Conseil a regrettée. L'exemption temporaire accordée à l'Union européenne a été notée, mais il serait normal que nous bénéficiions d'une exemption permanente. Les raisons de sécurité nationale invoquée par les États-Unis ne sauraient en effet concerner des alliés. Les Américains nous semblent apporter une mauvaise réponse à une vraie question, relative à la surproduction mondiale et aux aides d'État, dont l'Union européenne n'est pas à l'origine.

Nous sommes restés unis pour refuser toute spirale de guerre commerciale, tout en affirmant que l'Union européenne ne sera pas la variable d'ajustement du commerce international et réagira si nécessaire. Nous soutenons la volonté de la Commission européenne de dialoguer selon les normes de l'OMC, tout en rappelant qu'il ne s'agit pas d'une négociation commerciale.

S'agissant de la refondation de l'Europe, les échanges ont porté sur la fiscalité du numérique et sur la proposition de la Commission européenne de taxer les GAFA à hauteur de 3 % des revenus générés par leurs activités numériques en Europe. Malgré les réticences de certains États membres, notamment les Pays-Bas et le Luxembourg, les choses avancent, car chacun reconnaît que la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Beaucoup de participants ont plaidé avec la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne en faveur d'une action rapide, avant une solution plus ambitieuse, mais difficile à atteindre. Le Conseil de ministres évoquera cette question en avril, puis le Conseil européen y reviendra en juin.

Vendredi matin, les vingt-sept chefs d'État et de gouvernement se sont réunis en format « article 50 » sur la question de l'accord de retrait. Le texte obtenu est équilibré et reflète les progrès obtenus sur le règlement financier, sur les droits des citoyens ou sur la période de transition, qui s'étendra du 30 mars 2019 au 31 décembre 2020, dans les conditions que nous souhaitions : respect de l'acquis - c'est essentiel en matière de pêche, par exemple - et du principe selon lequel le Royaume-Uni ne participe plus au processus de décision.

Comme nous le souhaitons, le Conseil européen a rappelé fermement que rien n'est agréé tant que tout n'est pas agréé.

Il reste des points à trancher en ce qui concerne la gouvernance de l'accord, en particulier quant au rôle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), ainsi que la question irlandaise. Sur ce dernier point, un accord a été trouvé entre les négociateurs, qui a été repris par Mme May, sur l'idée, a minima, d'un rapprochement réglementaire entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande.

Mme May a ainsi admis que cette option ne pouvait être écartée, même si elle n'a pas la préférence du gouvernement britannique. Celui-ci n'a d'ailleurs pas avancé d'autre proposition sur la frontière irlandaise. Cet accord est un pas vers une réunification de l'Irlande, c'est incontestable, mais ceux qui s'en émeuvent au sein du DUP savent bien que le fonctionnement quotidien de l'Irlande du Nord est déjà très particulier.

Michel Barnier devra utiliser la volonté des Britanniques de conclure définitivement sur la période de transition pour clarifier ce qui reste à finaliser sur le retrait, en particulier sur l'Irlande.

Les vingt-sept ont également adopté les lignes directrices pour négocier le cadre général des relations futures. Nous aurions préféré le maintien de la Grande-Bretagne dans le marché unique ou dans l'union douanière, mais, compte tenu du refus par les Britanniques des quatre libertés et de leur volonté de passer leurs propres accords commerciaux, le seul modèle envisageable est un accord de libre-échange, avec un équilibre entre droits et obligations. Certains domaines, notamment les services financiers, devront faire l'objet de mesures autonomes de l'Union.

S'agissant de la coopération policière et judiciaire ou de la politique étrangère et de sécurité commune, nous devrons sans doute passer des accords spécifiques, en veillant à protéger l'autonomie de décision de l'Union européenne.

Les chefs d'État et de gouvernement ont pu se réunir à 19 en format « Sommet zone euro » vendredi matin. C'est en soi un signe positif.

La France défend une approche ambitieuse, visant à avancer à court terme sur l'union des marchés de capitaux et sur l'union bancaire, notamment en mettant en place le filet de sécurité commun. Nous voulons, à plus long terme, une zone euro plus responsable et plus solidaire, disposant d'une capacité budgétaire propre pour maintenir les investissements en cas de crise.

Le Conseil européen s'étant tenu quelques jours après la confirmation du gouvernement allemand, on ne pouvait donc attendre de progrès dans notre feuille de route partagée. La conférence de presse commune entre Mme Merkel et M. Macron a marqué la volonté du couple franco-allemand d'avancer, malgré les difficultés, sur des sujets sensibles. C'était essentiel après les critiques du Premier ministre néerlandais.

Les questions internationales ont été abordées au dîner. Les échanges ont surtout porté sur les suites à donner à l'attaque de Salisbury. Les chefs d'État et de gouvernement ont fait part de leur solidarité avec le Royaume-Uni, ont rappelé qu'il n'existait pas d'alternative plausible à la responsabilité de la Russie et ont décidé de se coordonner. Outre le rappel du chef de la délégation de l'Union européenne ainsi que de l'ambassadeur de la présidence bulgare à Moscou, des mesures d'une ampleur inédite ont été annoncées : dix-neuf États membres ont ainsi expulsé un total de cinquante-huit personnels russes. C'est la première fois que les États membres agissent ainsi en réponse à des incidents qui ne se sont pas produits sur leur propre sol. Il était essentiel de montrer notre capacité à réagir à ce qui est la première attaque chimique contre un pays allié depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

S'agissant des Balkans occidentaux, l'important était de distinguer le processus d'élargissement, qui est très exigeant et sur lequel nous sommes très fermes, et l'appui à ces pays, qui sera discuté à Sofia le 17 mai prochain.

Enfin, le Conseil européen a adressé un message clair et ferme à la Turquie, à la veille du sommet de Varna, au sujet de ses agissements en mer Égée et des ressortissants européens détenus en Turquie, parmi lesquels deux soldats grecs.

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