Intervention de François Grosdidier

Commission d'enquête état des forces de sécurité intérieure — Réunion du 3 avril 2018 à 17h30
Audition de M. Bernard Cazeneuve ancien premier ministre

Photo de François GrosdidierFrançois Grosdidier, rapporteur :

Notre commission d'enquête a été instituée après l'expression, hors du champ syndical, de la colère des policiers, et après une série de suicides parmi les forces de police et de gendarmerie. Ce n'était pas la première vague, vous en avez connues en tant que ministre. Nous avons souhaité réaliser un état des lieux pour aboutir à des préconisations. Les causes sont multifactorielles, certaines très anciennes, et dépassent les clivages droite-gauche : les retards accumulés ou le malaise se sont creusés sur des durées plus longues que les alternances politiques.

Policiers et gendarmes exercent des missions toujours plus exigeantes dans un contexte de risque accru, avec des moyens souvent insuffisants : parc immobilier vétuste, véhicules à bout de souffle, équipements progressivement complétés, mais qui ne sont pas au niveau... Policiers et gendarmes sont en quête de reconnaissance et de sens par les politiques, l'opinion et les magistrats... Ils ont parfois l'impression de prendre des risques accrus pour un résultat vain.

Nous devons mieux connaître la politique de ces deux maisons sur la prévention des risques psychosociaux. Vous avez mis en place des mesures de prévention et d'action comme ministre de l'intérieur, à la suite de commandes passées auprès des directeurs généraux de la police nationale (DGPN), de la gendarmerie nationale (DGGN) et de la sécurité intérieure (DGSI). Nous avons pu les analyser avec le Service de soutien psychologique opérationnel (SSPO).

Le management diffère beaucoup entre la police nationale et la gendarmerie, ce qui crée une ambiance très différente en leur sein. La gendarmerie résiste mieux au blues et à la déprime, peut-être en raison de l'esprit de corps des militaires, alors que l'on a ressenti un esprit de caste dans la police nationale, une moindre solidarité entre l'agent de terrain et le sommet de la hiérarchie. L'esprit militaire prépare peut-être davantage à l'adversité. Or nos forces de l'ordre sont confrontées aux actes terroristes et à des violences urbaines de plus en plus fortes, qui se concrétisent parfois par des guets-apens. Les agents de la police nationale sont parfois frappés par un véritable syndrome de Magnanville, un sentiment d'insécurité pour eux-mêmes et leur famille.

Comment avez-vous ressenti et estimé les choses à l'époque, pour aboutir au premier plan de prévention des risques psychosociaux en 2015 ? En 2016, vous avez mis en place des protocoles dont on nous dit qu'ils n'ont été que très partiellement mis en oeuvre. Quel bilan dressez-vous à ce jour ? Quelles préconisations faites-vous, comme homme libre que vous êtes devenu aujourd'hui ?

Sur le management et l'état d'esprit négatif, on nous a rapporté la pression de la politique du chiffre - certains nous disent qu'elle n'a jamais existé et a été dénoncée à tort, tandis que d'autres affirment qu'elle existe toujours. La base prétend que la hiérarchie intermédiaire serait payée selon le nombre de bâtons, et qu'elle leur demande des résultats qui confinent à l'absurde. Tandis que la hiérarchie affirme que cette politique n'a jamais existé. Qu'en est-il ? Quels critères plus qualitatifs pourraient être définis pour promouvoir le personnel ? S'il s'agit d'un problème de communication interne à la police nationale, comment dialoguer avec la base pour en finir avec l'idée d'une politique purement quantitative ne servant à rien et ne garantissant pas la sécurité des citoyens ?

Nous avons constaté la grande misère du parc immobilier de la police nationale et de la gendarmerie - pour le domaine de l'État - qui s'est accumulée durant de très nombreuses années où l'investissement immobilier était la première variable d'ajustement du budget. Il reste un parc immobilier très usé. À combien estimeriez-vous l'effort budgétaire nécessaire de la Nation pour rénover le parc immobilier et les équipements, et sur combien d'années ?

La forte réduction des effectifs, avant votre prise de fonctions, participe également du malaise des policiers. Ils ont ensuite augmenté, mais alors que les forces de l'ordre étaient largement sollicitées par la vague terroriste et par des opérations de maintien de l'ordre - ces dernières avaient été les premières réduites par la réforme générale des politiques publiques (RGPP). L'annonce de la création de 10 000 postes supplémentaires sur la durée du quinquennat, en même temps que la mise en oeuvre de la directive européenne sur le temps de repos permet-elle de retrouver des effectifs suffisants pour mettre en place une police de sécurité du quotidien qui nécessiterait plus de contact, sans gagner du temps sur les tâches administratives et les procédures ? Nous confirmez-vous que les policiers ou les gendarmes accordent deux tiers de leur temps aux tâches procédurales, et un tiers à l'opérationnel ? Lorsque vous étiez ministre, avez-vous déjà réfléchi à cette question avec la Chancellerie pour alléger ces tâches par plus de dématérialisation ?

Certaines tâches indues devraient relever de l'administration pénitentiaire ou des polices municipales, comme une procédure de contravention avec amende forfaitaire qui nécessite encore une audition par la police nationale avant transmission au ministère public. Y a-t-il des marges de progression ? Les avez-vous toutes explorées ; y en a-t-il d'autres ? Vous êtes-vous heurté à des inerties ? La dernière fois que je vous ai vu à la Commission consultative des polices municipales en 2016, vous affirmiez, en toute bonne foi, que les décrets autorisant l'accès des policiers municipaux aux fichiers de plaques minéralogiques et de permis de conduire devraient être publiés avant fin 2016 ; nous les attendons toujours...

Ces problèmes sont récurrents, souvent anciens, pour lesquels les pouvoirs politiques ont identifié des solutions, mais celles-ci sont longues à mettre en oeuvre.

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