Je vais m'efforcer de répondre dans l'ordre des questions. J'ai été directeur des Nations unies. On a toujours utilisé le terme de « maintien de la paix », alors qu'il n'y avait souvent aucune paix à maintenir. C'est pourquoi on aboutit parfois à des échecs. Les OMP sont cependant des configurations multiples.
Le ministre des affaires étrangères était à Moscou il y a quelques jours et a évoqué avec son homologue notre intérêt pour une opération de maintien de la paix dans le Donbass.
Il est vrai que, jusqu'à présent, tout cela n'a pas été très suivi. L'absence sur la scène internationale de l'Allemagne, co-garant du processus de Minsk, n'y a pas aidé.
Les Ukrainiens et les Russes ne veulent pas la même chose. Vladimir Poutine s'est prononcé pour la seule protection des observateurs. Les Ukrainiens désirent voir le maintien s'exercer jusqu'à la frontière. Je pense un compromis possible. . Ceci nous permettrait de sortir de l'impasse.
En ce qui concerne le boycott des élections, Alexeï Navalny considère que les candidats d'opposition ont peu de chance d'obtenir beaucoup de voix. Il espère donc qu'on comptabilisera au nombre de ses soutiens à la fois le nombre d'abstentions et les voix de ceux qui ont boycotté les élections à sa demande. C'est sa stratégie. Vladimir Poutine, quant à lui, espère 70 % de participation et à peu près 70 % de résultats en sa faveur.
En ce qui concerne la question libyenne et le fait que le général Haftar ait été reçu sur le porte-avions russe, les Russes désirent parler à tout le monde. Ils avaient apprécié le fait que le Président de la République contribue à un accord, mais la Libye n'est pas un sujet qu'ils évoquent souvent, sauf pour critiquer l'intervention franco-britannique de 2011.
Si l'intervention en Ukraine a mené à une impasse, l'intervention en Syrie, même si nous la critiquons pour des raisons humanitaires, est en fait un succès pour la Russie, qui est de retour dans cette zone. Ils reçoivent tous les opposants, même syriens.
De manière générale - et cela recoupe les questions sur l'Iran et la Turquie - la Russie veut être un allié fidèle. Selon elle, les Américains ont trahi tous leurs amis, à commencer par Hosni Moubarak, en soutenant les révolutions.
Les Russes par ailleurs critiques vis-à-vis de Bachar al-Assad. Ils affirment souvent que ce n'est pas leur ami et qu'ils ne tiennent pas nécessairement au fait qu'il reste au pouvoir, mais ils ne veulent pas le trahir.
Pour l'Iran, c'est la même chose. Ils sont très ennuyés. Ils sont parfois gênés par l'intervention de l'Iran en Syrie, n'ont pas les moyens de le contrer.
Il en va de même à propos de la Turquie, qui ne leur a pas facilité les choses avant la réunion de Sotchi, les Turcs ayant commencé à intervenir à Afrin. En outre, un avion est reparti avec des opposants soutenus par les Turcs. Ils ont donc des raisons d'en vouloir à ce pays. On se souvient aussi de l'avion russe abattu par les Turcs, même s'ils se sont ensuite réconciliés. Certes, la Turquie constitue la principale armée de l'OTAN, mais les Russes devraient fournir à terme des systèmes antiaériens avancés aux Turcs.
On peut considérer qu'il y a ici des contradictions, mais je pense que ce qui anime la Russie, c'est la volonté d'être un véritable acteur au Proche-Orient. La Russie, la Turquie et l'Iran sont les garants du processus de « deconfliction » lancé à Astana.
Il y a trois ans, la Russie n'était pas un acteur au Moyen-Orient. Elle l'est aujourd'hui et, ce faisant, est devenue acteur de la scène internationale, très active au Conseil de sécurité.
Pourquoi un tel revirement s'agissant de la résolution concernant la Syrie ? J'ai tendance à penser que l'action du Président de la République et d'Angela Merkel y est pour beaucoup. Ils ont appelé Vladimir Poutine, depuis Bruxelles. Cela n'a pas été facile. La réponse avait été tout d'abord négative. Le Président de la République a été très insistant, et, je crois, a convaincu Vladimir Poutine de voter la résolution.
Je pense qu'il était pour sa part prêt à la mettre en oeuvre. C'est ce qui explique cette trêve partielle décidée par la Russie. Je crois que les Russes ne contrôlent plus Bachar al-Assad. La Russie l'a sauvé et lui a permis de conserver le pouvoir, mais cela ne veut pas dire que les Russes peuvent à présent le contrôler. L'idée de Bachar al-Assad, c'est de reprendre la « Syrie utile » et La Ghouta.
Les Syriens font valoir que des missiles sont tirés contre Damas à partir de la Ghouta, même si ceux-ci sont moins meurtriers que ceux tirés en sens inverse. Le désaccord porte sur le fait qu'il s'agit de groupes terroristes. On compte quatre groupes dans la Ghouta, trois groupes salafistes et l'un appartenant à al-Nosra, plutôt minoritaire.
Je pense que les Russes sont plutôt ennuyés par le fait que Bachar al-Assad ne respecte pas la résolution, mais ils ne sont pas en mesure de la lui imposer.
En ce qui concerne la question de l'adhésion de la Géorgie et de l'Ukraine dans l'OTAN, la Russie y est hostile car c'est perçu comme une menace.
Quant au Haut-Karabagh, la négociation dure depuis 25 ans, avec des coprésidents, dont un français. Le dossier n'évolue guère. Moscou entretient par ailleurs d'excellentes relations avec l'Arménie.
Les faiblesses économiques font l'objet de demandes de réformes très fortes des libéraux. Vous avez évoqué l'opinion publique et la télévision : cette dernière est totalement acquise à Vladimir Poutine. Les oligarques ont racheté les chaînes de télévision. C'est une télévision largement de propagande. Il reste quelques journaux écrits libéraux, comme Novaïa Gazeta, ou la chaîne Dodj, qui n'est désormais accessible que sur internet, ou la radio l'Écho de Moscou.
Les Russes croient volontiers ce que dit la télévision. On en a une bonne illustration avec les chauffeurs de taxis à Moscou.
Le problème de la Russie est également démographique. Le pays perd sa population. C'est extrêmement grave. C'est un pays où il y a douze millions de femmes de plus que d'hommes. La proportion est plus forte qu'ailleurs, les hommes mourant assez jeunes, souvent d'alcoolisme.
Je n'ai pas évoqué le sujet du dernier mandat et la question de savoir ce qu'il en sera après. C'est difficile à dire. Beaucoup estiment que Vladimir Poutine est une « boîte noire », et qu'il décidera un peu au dernier moment.
Certaines hypothèses évoquent une transition à la Deng Xiaoping : il garderait le pouvoir sans les fonctions qu'il a aujourd'hui, tout en cherchant à exercer le contrôle.
On a évoqué le renouvellement des élites et les jeunes. Certains pensent qu'il est préférable de désigner comme successeur des jeunes (« les petits-fils plutôt que les fils »), moins pressés d'obtenir le pouvoir que leurs aînés.
J'ai demandé à des chercheurs russes quelle serait la conséquence pour Vladimir Poutine de la décision du parti communiste chinois de maintenir Xi Jinping au pouvoir. La réponse a été que Vladimir Poutine était un juriste, et voudrait respecter les lois. C'est pourquoi il était devenu Premier ministre en laissant la place à Dmitri Medvedev en 2008.
On peut également penser que Vladimir Poutine est également intéressé par son rôle historique, par son héritage. C'est un élément qui entrera probablement en ligne de compte dans ses choix.
Enfin, pour répondre à la question sur l'impact des sanctions sur notre commerce bilatéral, la chute du rouble et la perte du pouvoir d'achat des Russes ont été plus sensibles pour la France que les sanctions. On a toutefois enregistré, dans les derniers mois, 65 % d'augmentation de demandes de visas, alors que les Russes ne venaient plus en France faute de moyens.