Intervention de Thierry Damerval

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 11 avril 2018 à 10h05
Audition de M. Thierry daMerval président-directeur général de l'agence nationale de la recherche

Thierry Damerval, président-directeur général de l'Agence nationale de la recherche :

L'ANR met en oeuvre la programmation arrêtée par son ministère de tutelle, le ministère de la recherche. Dans le décret revu en 2014, il est bien écrit « arrêtée », et non plus « définie ». Ce changement n'est pas seulement sémantique : il signifie que la programmation doit être élaborée dans une large concertation.

Ensuite, l'agence procède à l'évaluation et à la sélection des projets. En la matière, on attend d'elle le « zéro défaut ». Nous pourrons revenir sur le cas récent que vous avez évoqué, madame la présidente, pour en tirer des enseignements plus larges.

Nous assurons également le suivi administratif et scientifique des projets, dans une logique de service aux bénéficiaires.

Enfin, nous évaluons les projets ex post - c'est une dimension un peu nouvelle de notre action. Les 17 000 projets financés par l'ANR depuis sa création représentent une somme d'informations considérable. Cette évaluation porte sur les publications scientifiques - l'output, comme disent les Anglo-saxons - mais aussi, de façon plus complète, sur l'impact des projets.

S'agissant de la programmation, on a pu reprocher à l'ANR de ne pas suffisamment interagir avec les opérateurs. Pour être moi-même chercheur, j'ai vécu l'époque où elle avait tendance à définir des axes de recherche avec le ministère sans qu'ils soient toujours compris.

Par ailleurs, à partir de 2015, la stratégie nationale de recherche a conduit à organiser l'appel à projets génériques, auquel l'agence consacre environ 80 % de son budget, selon des défis sociétaux, ce qui n'était pas bien compris par les communautés scientifiques, d'autant que l'adéquation à ces défis constituait un des critères d'évaluation. Autant il peut être légitime, dans l'évaluation ex post, d'examiner en quoi les projets financés contribuent à répondre à ce type de défis, autant il est peu légitime de demander aux laboratoires de justifier leurs projets en fonction de défis sociétaux.

Le ministère et le conseil d'administration de l'agence ont donc décidé que l'appel à projets serait désormais organisé par axes scientifiques et que les laboratoires n'auraient plus à expliquer en quoi leurs recherches répondent à tel ou tel défi sociétal. Cela se traduit en pratique par une évolution de la comitologie : la programmation est discutée dans le cadre non plus de comités de pilotage scientifique des défis, mais de comités de pilotage organisés selon les grands axes de la science - sciences de la vie, numérique, énergie et matériaux, sciences humaines et sociales, environnement. Deux comités spécifiques ont été constitués pour la physique fondamentale et les mathématiques.

La programmation ne consiste pas à définir des appels à projets très ciblés, mais à identifier les domaines scientifiques - il y en a une quarantaine - autour desquels s'organisera le plan d'action. Un laboratoire qui dépose un projet dans un domaine sera évalué par le comité correspondant. Ce système est plus clair pour les déposants.

En ce qui concerne l'évaluation, on a dit, au sujet du chercheur de Poitiers, que les bureaucrates parisiens de l'ANR méconnaissaient la science... Je tiens à préciser que l'ANR n'intervient pas dans l'évaluation, non plus que le ministère. Si la programmation revêt une dimension institutionnelle, la sélection des projets repose sur les comités d'évaluation scientifique.

Mme la présidente a rappelé que le taux de sélection approchait les 10 % en 2014-2015, avec un budget tombé à 500 millions d'euros. Aujourd'hui, notre budget est d'un peu plus de 700 millions d'euros et le taux de sélection est de l'ordre de 14 %. C'est un progrès, mais cela ne suffit pas. En effet, un peu plus de 20 % des projets sont classés A+ ou A par les comités d'évaluation, et l'expérience montre que, là où le taux est inférieur à 20 % - ce qui est le cas à la Commission européenne et au Conseil européen de la recherche -, il est extrêmement difficile d'opérer des choix entre les très bons projets. La Fondation allemande pour la recherche présente un taux de succès de 30 %. Au Royaume-Uni, ce taux est de 25 %.

Un autre problème tient au conformisme dont les commissions tendent à faire preuve. Ce phénomène, naturel et que l'on constate partout, entraîne une moindre prise de risque.

Les Britanniques ont décidé qu'un projet non retenu une année ne pourrait pas être redéposé l'année suivante ; ce n'est pas forcément la meilleure approche, mais elle permet de répondre en partie à la problématique du taux de sélection. En Allemagne, la fondation pour la recherche dispose d'un budget de 3 milliards d'euros... Certes, ses missions ne recouvrent pas exactement les nôtres, mais il y a évidemment un sujet budgétaire, comme l'a souligné dans son rapport sur l'ANR votre ancien collègue Michel Berson.

Pour ce qui est du service aux utilisateurs dans la réalisation des projets, des évolutions récentes sont intervenues. Par exemple, le conseil d'administration de l'ANR vient de décider que le préciput de 11 % destiné à favoriser l'acquisition ou la maintenance d'équipements ou à optimiser les fonctions support ne serait plus versé sur justificatifs, ce qui dispensera les établissements du travail de justification et l'agence de celui de vérification, qui conduisait rarement, pour ne pas dire jamais, à supprimer des versements. Nous essayons également de simplifier les démarches en matière de conventionnement.

Si l'appel à projets génériques représente 80 % de nos moyens, nous menons aussi d'autres actions, en particulier dans la recherche partenariale : les chaires industrielles, les laboratoires communs, les instituts Carnot.

Nous oeuvrons également aux niveaux européen et international, pour favoriser la participation des équipes françaises aux projets de recherche menés à ces échelles.

Enfin, depuis 2010, l'ANR opère pour le compte de l'État la mise en oeuvre des investissements d'avenir. En la matière, les modifications intervenues avec le Grand plan d'investissement et la transformation du Commissariat général aux investissements en Secrétariat général pour l'investissement ne changent rien à nos responsabilités.

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