Intervention de Adeline Hazan

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 11 avril 2018 à 9h05
Audition de Mme Adeline Hazan contrôleure générale des lieux de privation de liberté

Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Je vous remercie. Vous recevrez chacun prochainement notre rapport d'activité pour l'année 2017, qui traite, plus encore que les précédents, de thèmes dont le Parlement aura à débattre dans les prochains mois. Ma présentation synthétique abordera les problématiques relatives à la prison, à l'asile et à l'immigration. Ce dixième rapport annuel retrace la visite, en 2017, de 150 établissements : prisons, hôpitaux psychiatriques concernés par l'hospitalisation d'office, centres de rétention administrative, centres éducatifs fermés et, depuis la loi du 26 mai 2014 qui a élargi nos compétences, procédures de reconduite à la frontière. Il conclut à un recul des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, notamment dans les prisons.

Nous avons visité 21 établissements pénitentiaires, tous pour la deuxième ou la troisième fois, et, sans exception, nous y avons constaté une inquiétante surpopulation carcérale.

Nous avons publié, en février 2018, un rapport relatif à l'impact de ce phénomène sur les droits fondamentaux des prisonniers. Entre 2016 et 2017, la densité carcérale est passée de 114 % à 117 %, proportions qui s'établissent respectivement à 136 % et 141 % dans les maisons d'arrêt. En Ile-de-France, ainsi que dans certains établissements du Sud de la France et de grandes agglomérations, le taux d'occupation peut atteindre 200 %. La France compte, au 1er mars 2018, 69 879 détenus, dont plus de 20 000 en détention provisoire, dont certains campent sur l'un des 1 640 matelas au sol installés dans nos prisons. Cette situation empêche la prison de mener convenablement sa mission essentielle de réinsertion des détenus et ne lui permet pas d'assurer le respect de leurs droits fondamentaux en matière d'hygiène, de dignité, de santé et de maintien des liens familiaux. C'est dire combien la France a besoin d'une politique publique de réduction de la population carcérale ! Le Président de la République l'a évoquée lors de son discours prononcé à Agen le 6 mars dernier à l'école nationale d'administration pénitentiaire (ENAP).

La situation est également préoccupante pour les détenus mineurs, au nombre, sans précédent, de 842 au 1er mars 2018. La surpopulation carcérale guette également ces établissements, qui, par ailleurs, accueillent près de 50 % de mineurs étrangers isolés emprisonnés pour des délits souvent mineurs. L'incarcération représente, pour certains magistrats, la solution à l'accueil défectueux des mineurs non accompagnés : votre commission pourrait utilement s'intéresser à cette dérive.

La psychiatrie, dont aucun projet de loi n'envisage à ma connaissance de se saisir prochainement, constitue, à mon initiative, une priorité de mon mandat : la privation de liberté est, dans les établissements qui en relèvent, tout aussi attentatoire aux droits fondamentaux, bien que peu connue du grand public et rarement débattue au Parlement. Nous nous sommes rendus, en 2017, dans 30 hôpitaux psychiatriques, dans lesquels nous avons observé un respect très insuffisant des droits fondamentaux des malades. Les hospitalisations sans consentement ont doublé depuis dix ans. Elles peuvent entraîner, à l'égard des personnes concernées, des mesures particulièrement attentatoires aux libertés, à l'instar de l'isolement et de la contention. Nous avons d'ailleurs été amenés, en 2016 pour un établissement situé à Bourg-en-Bresse et en 2018 pour l'hôpital de Saint-Etienne, à émettre des recommandations en urgence au ministre de tutelle. Des malades, pourtant hospitalisés librement, étaient attachés sur un brancard pendant huit jours au service des urgences, faute de place en psychiatrie ! La loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 a pourtant encadré ces interventions, mais elle semble encore loin d'être appliquée dans tous les établissements. Il est urgent que le corps médical s'y attèle !

S'agissant des migrants, je vous ai adressé un courrier voici quelques jours vous alertant sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif, qui prévoit notamment de porter à 90 jours, voire à 135 jours dans certaines situations, le temps de rétention autorisé, établi actuellement à 45 jours. Le nombre de placements en rétention ne cesse de croître et le traitement des enfants en ces lieux nous inquiète tout particulièrement ; il mériterait d'être inclus dans ce texte. De 41 en 2013, leur nombre dépasse désormais 300, dont des nourrissons et de très jeunes enfants ! Lors de notre visite du centre du Mesnil-Amelot, il y a quelques jours, nous avons constaté qu'un bébé prématuré vivait depuis dix jours dans un lieu où la température de dépassait pas dix degrés !

Nous nous sommes rendus, en 2017, dans quatre services de police aux frontières, quatre zones d'attente et six centres de rétention administrative. Ces derniers, à une exception près, ne présentaient nullement les garanties d'accueil suffisantes en matière d'hygiène, d'accès à l'air libre, de surface disponible, de prise en charge médicale et psychiatrique et d'activités proposées. Par ailleurs, la notification des droits, en raison notamment de la barrière de la langue, apparaît inadaptée et trop formelle. Pire, nous avons constaté, en visitant les locaux de la police aux frontières de Menton en septembre dernier, l'apparition d'une nouvelle forme de privation de liberté à l'encontre des migrants, qui s'organise hors de tout cadre légal. Certes, la frontière franco-italienne subit une pression migratoire inhabituelle - 20 000 personnes l'ont franchie au cours des huit premiers mois de l'année 2017 -, mais ce phénomène ne justifie nullement que les personnes interpellées après 19 heures se trouvent dans l'obligation de passer la nuit dans un local de police sale et mal équipé, alors qu'aucune réglementation ne prévoit une telle procédure. Les personnes interpellées en journée sont invitées à se présenter aux autorités italiennes ou reconduites à la gare pour un retour immédiat ! En outre, les mineurs ne font l'objet d'aucune protection spécifique. Il doit être mis fin à cette zone de non droit ! Dans ce contexte, les évolutions annoncées du droit des étrangers me semblent inquiétantes au regard du respect des droits fondamentaux, notamment l'augmentation de 16 à 24 heures de la durée de retenue autorisée pour vérifier la légalité du séjour, soit, symboliquement, celle d'une garde à vue alors que le séjour illégal n'est plus un délit depuis 2012. Nous sommes favorables, s'agissant de la durée de séjour en centre de rétention, à un maintien de la limite à 45 jours, voire à sa réduction à 32 jours, comme autrefois. En effet, nous constatons que, si les services n'ont pas, dans un délai de dix à douze jours, renvoyé un individu dans son pays d'origine en raison du refus de ce dernier de le reconnaître comme un ressortissant, ils n'atteindront jamais cet objectif. J'ai cru néanmoins comprendre que le Gouvernement espérait, avec la fixation du temps maximal de rétention à 90 jours et la nomination d'un ambassadeur ad hoc, faire pression sur les pays concernés.

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