Chaque jour, nous inspirons et expirons 12 000 litres d'air. La qualité de l'air que nous respirons conditionne notre état de santé. La pollution de l'air est la principale cause environnementale de mortalité : chaque année, 48 000 personnes meurent prématurément en France du fait qu'elles respirent un air pollué. L'exposition aux polluants atmosphériques contribue au développement et à l'aggravation de maladies respiratoires, des maladies cardiovasculaires ou encore des cancers de l'appareil respiratoire. Le Centre international de recherche sur le cancer a d'ailleurs classé la pollution de l'air comme cancérogène certain pour l'homme en 2013. Il s'agit donc d'une urgence sanitaire, connue depuis longtemps.
À cet impact sanitaire s'ajoute un coût socio-économique important. Dans son rapport de juillet 2015, la commission d'enquête du Sénat sur le coût de la pollution de l'air - dont j'étais membre - a évalué à 3 milliards d'euros le coût annuel pour le système de santé associé à la prise en charge des maladies imputables à la pollution de l'air, et entre 70 et 100 milliards d'euros le coût socio-économique résultant des pathologies et des décès prématurés.
Les efforts conduits ces dernières années pour réduire la pollution de l'air, au moyen de la règlementation des émissions industrielles, l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments ou la modernisation du parc automobile, ont entraîné une baisse continue des émissions et des concentrations de polluants. Entre 2000 et 2016, les émissions de dioxyde de soufre ont ainsi baissé de 78 %, celles d'oxydes d'azote de 49 % et celles de particules fines PM10 et PM2,5 de, respectivement, 41 % et 48 %.
Malgré cette baisse, de nombreuses agglomérations affichent des dépassements récurrents des normes de qualité de l'air fixées par le droit européen et transposées en droit national. En 2016, seize agglomérations étaient exposées à des concentrations moyennes de dioxyde d'azote supérieures aux valeurs limites, et trois agglomérations étaient dans une situation similaire concernant les particules fines PM10. Ces agglomérations sont pour la plupart situées dans l'est et le sud de la France métropolitaine, en plus, naturellement, de la région Ile-de-France.
L'absence de dépassement des normes en vigueur ne signifie pas pour autant que les populations ne sont pas exposées à des polluants dangereux pour leur santé. Les normes de qualité de l'air fixées par l'Union européenne sont en effet supérieures aux valeurs que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime de nature à réduire fortement les risques sanitaires de la pollution de l'air. Si l'on tient compte des valeurs OMS, 92 % de la population française est exposée à des concentrations de particules fines PM2,5 excessives et représentant une menace pour leur santé.
Vous le voyez, il reste encore du chemin à parcourir pour réduire les effets néfastes de la pollution de l'air sur la santé.
La France fait l'objet de deux procédures précontentieuses lancées par la Commission européenne pour non-respect des valeurs limites relatives au dioxyde d'azote et aux PM10. Ce n'est pas le seul État membre de l'Union européenne dans ce cas, puisque huit autres sont en situation de précontentieux européen, et deux ont déjà été condamnés par la CJUE : la Bulgarie en avril 2017 et la Pologne en février dernier. L'hypothèse d'une condamnation de la France n'est donc pas exclue, la Commission européenne ayant indiqué qu'elle prendrait la décision de saisir ou non la Cour de justice d'ici la fin du mois d'avril.
Prenant acte de la persistance des dépassements et de l'insuffisance des mesures mises en oeuvre, le Conseil d'État a, dans une décision de juillet 2017, enjoint le Gouvernement à élaborer et transmettre à la Commission européenne d'ici le 31 mars 2018 des plans d'actions dans quatorze zones permettant de ramener les concentrations de polluants sous les valeurs limites. Le Gouvernement a donc annoncé l'élaboration, par les préfets des régions concernées, de feuilles de route devant prévoir des actions locales permettant de réduire à court terme la pollution de l'air. Le calendrier a été tenu puisque les feuilles de route ont été effectivement réalisées et présentées devant le Conseil national de l'air le 20 mars dernier.
Notre groupe de travail visait à apprécier la manière dont les feuilles de route ont été élaborées, et si les mesures qu'elles prévoient sont à la hauteur des enjeux.
Un mot d'abord sur leurs conditions d'élaboration. Afin de respecter l'échéance du 31 mars 2018, le Gouvernement a décidé de ne pas procéder à une révision anticipée des plans de protection de l'atmosphère (PPA) couvrant les régions concernées par des dépassements, compte tenu de leur durée d'élaboration, souvent longue. Le choix de recourir à des feuilles de route a permis de réaliser un travail plus rapide, mais qui de ce fait présente plusieurs lacunes.
D'abord, ces feuilles de route n'ont pas à proprement parler d'existence juridique : elles s'apparentent à du droit souple, dont la portée normative n'est pas assurée. Ensuite, elles s'insèrent dans un paysage déjà dense et complexe de documents de planification relatifs à la qualité de l'air : le plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (Prepa) et les plans de protections de l'atmosphère (PPA) élaborés par l'État et ses services, d'une part ; les schémas régionaux climat-air-énergie (SRCAE) et les plans climat air-énergie territoriaux (PCAET) élaborés par les collectivités territoriales, d'autre part. Cela pose un problème de lisibilité de l'action publique. En outre, compte tenu des délais, les préfets n'ont pas pu réunir l'ensemble des acteurs traditionnellement impliqués lors de l'élaboration des PPA, comme les représentants du milieu économique, les associations environnementales ou les agriculteurs. Ceux-ci ont souvent été, au mieux, tenus informés des mesures pressenties pour figurer dans les feuilles de route. Enfin, l'impact des mesures prévues par les feuilles de route en termes de réduction de la pollution de l'air n'a pas pu être modélisé et quantifié, faute de temps. En l'absence d'évaluation, il est donc difficile de savoir si les feuilles de route permettront de faire baisser les concentrations de polluants de manière suffisante pour pouvoir respecter les normes européennes, et donc si elles convaincront la Commission européenne de ne pas engager de procédure contentieuse contre la France.
Ces documents ont cependant eu au moins le mérite de mobiliser les collectivités territoriales autour de l'enjeu de lutte contre la pollution de l'air. En effet, le choix a été fait de centrer les feuilles de route sur les actions mises en oeuvre par les collectivités territoriales en vue de réduire les émissions polluantes.
La quasi-totalité des agglomérations sont concernées par des dépassements des valeurs limites de dioxyde d'azote, qui sont principalement imputables au trafic routier. Compte tenu des compétences des collectivités en matière d'organisation des transports, le choix de mettre l'accent sur les actions locales de lutte contre la pollution de l'air paraît justifié.
Cet exercice a d'ailleurs mis en lumière les disparités importantes, selon les régions, de prises de conscience et d'actions pour réduire la pollution de l'air. Si certains territoires sont mobilisés depuis longtemps en raison d'une situation particulièrement critique, comme la vallée de l'Arve, ou du fait d'un tissu associatif actif, comme à Strasbourg, il s'agit pour d'autres d'un problème moins aigu et donc moins bien appréhendé. Tel est le cas par exemple de l'agglomération de Valence, qui n'est pas couverte par un plan de protection de l'atmosphère, et pour laquelle l'élaboration de la feuille de route a donc été l'occasion de dresser un premier inventaire des leviers d'actions pouvant être actionnés.
J'en viens au contenu des feuilles de route. Quatorze zones sont concernées, réparties dans six régions : Auvergne-Rhône Alpes, Grand Est, Ile-de-France, Martinique, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d'Azur. Les mesures que contiennent ces feuilles sont très hétérogènes, en termes d'objet, de calendrier de mise en oeuvre et de portée. Lors de mes auditions, je me suis particulièrement intéressée à quatre régions.
L'Ile de France est la principale région concernée en nombre d'habitants, puisque 1,6 million de franciliens sont exposés à des concentrations en oxydes d'azote supérieures aux valeurs limites, et 300 000 sont dans ce cas s'agissant des particules fines. Dans cette région, l'élaboration de la feuille de route a coïncidé avec la finalisation d'un nouveau plan de protection de l'atmosphère pour la période 2017-2020, dont l'élaboration a été engagée en 2016 et qui a été adopté le 31 janvier dernier. Compte tenu de ce calendrier, il a été décidé de centrer la feuille de route sur les actions mises en oeuvre par les collectivités territoriales franciliennes, notamment dans le domaine des transports et dans le secteur résidentiel et tertiaire.
La feuille de route n'a donc pas constitué un exercice de définition de nouvelles mesures, mais a agrégé un certain nombre d'actions déjà engagées par les collectivités et retracées dans leurs propres documents stratégiques, comme le plan régional pour la qualité de l'air 2016-2021 de la région Ile-de-France, ou le plan climat air énergie de la métropole du Grand Paris. La plupart de ces mesures concernent le secteur des transports et visent, entre autres, à développer les transports en commun propres, à verdir les flottes des administrations et des entreprises, à développer le covoiturage et l'usage de mobilités douces, ou encore à soutenir l'acquisition de véhicules propres.
Parmi ces différentes mesures, une semble devoir retenir l'attention en raison de son caractère structurant et de son impact important sur la pollution de l'air : le renforcement de la zone à circulation restreinte (ZCR) à Paris et son extension à d'autres communes limitrophes. La ville de Paris a mis en place, le 1er juillet 2016, une ZCR afin de restreindre la circulation des voitures les plus polluantes. Concernant au départ les véhicules immatriculés avant 1997, cette restriction a été étendu, le 1er juillet 2017, aux véhicules classés « Crit'Air 5 », c'est-à-dire aux véhicules diesel immatriculés avant 2001. L'objectif est d'étendre progressivement les restrictions de circulation aux Crit'Air 4 en 2019, aux Crit'Air 3 en 2022 et aux Crit'Air 2 en 2024, ce qui correspondrait en pratique à une interdiction des véhicules diesel à cette date.
La métropole du Grand Paris étudie actuellement la possibilité de mettre en place, au 1er janvier 2019, une telle ZCR sur l'ensemble du périmètre délimité par l'autoroute A 86, soit sur un ensemble de 80 communes. Des études préparatoires ont été lancées en ce sens et un comité de pilotage mis en place. Une telle extension pose la question de l'harmonisation avec les restrictions prévues par la ZCR parisienne, qui doit donc être durcie en 2019. Il paraît nécessaire que la mairie de Paris et les autres communes concernées travaillent de concert pour prévoir une adéquation entre leurs ZCR respectives. J'interrogerai Mme Hidalgo sur ce point cet après-midi.
Dans la région Auvergne-Rhône Alpes, les dépassements concernent cinq territoires : Lyon, Grenoble, Saint-Etienne, Valence et la vallée de l'Arve. Près de la moitié de la pollution aux particules fines provient du secteur résidentiel, en raison du chauffage au bois. Quant au dioxyde d'azote, qui provient majoritairement du trafic routier, l'exposition à ce polluant se concentre logiquement dans les zones les plus urbanisées.
Les feuilles de route de cette région prévoient donc plusieurs mesures visant à accélérer le renouvellement des appareils au bois peu performants, notamment par un élargissement des financements du fonds « air-bois » porté par l'Ademe, au profit d'autres sources d'énergie comme le solaire ou le biogaz. En matière de transport, les feuilles de route visent à accompagner les projets des agglomérations lauréates de l'appel à projets « villes respirables à 5 ans » pour mettre en place des ZCR. Des réflexions sont en cours pour permettre un contrôle automatisé des véhicules dans ces zones, par un système de lecture optique des plaques d'immatriculation. Les feuilles de route comprennent également des mesures pour développer le covoiturage, notamment dans l'agglomération lyonnaise, par la création de voies réservées aux transports en commun et au covoiturage.
Dans la région Grand Est, il existe une disparité importante entre les deux territoires concernés : si l'Eurométropole de Strasbourg est très mobilisée depuis de nombreuses années sur la question de la lutte contre la pollution de l'air, il s'agit pour Reims et son agglomération d'un problème plus récent et par conséquent moins bien appréhendé par les élus et les citoyens. À Reims, les principales mesures recensées par la feuille de route portent sur l'engagement d'une réflexion sur l'interdiction de la traversée urbaine de Reims pour les poids lourd, le développement de « zones 30 » dans l'hyper centre ou encore le lancement d'une étude prospective relative à la création d'une zone à circulation restreinte applicables aux véhicules de transport de marchandises. La métropole de Strasbourg envisage également de mettre en place une ZCR pour le transport de marchandises, et compte poursuivre le développement d'un « réseau express à vélo » sur plus de 130 kilomètres ou encore procéder à l'électrification de la flotte de bateaux gérée par la filiale du Port Autonome de Strasbourg « Batorama ».
Dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur enfin, Nice, Marseille-Aix et Toulon sont concernées par des dépassements pour le dioxyde d'azote, le niveau de particules fines ne dépassant plus les valeurs limites, tout en restant supérieur aux recommandations de l'OMS. Les mesures se concentrent donc sur le secteur des transports, pour désengorger les zones denses, notamment par des parkings relais et des réductions de vitesse, et pour encourager les alternatives à la voiture individuelle, par des abonnements multimodaux aux transports collectifs. Les feuilles de route prévoient également de réduire les émissions des activités maritimes et portuaires, par l'électrification des navires à quai et la mise en place d'épurateurs mobiles de fumées. Concernant le secteur résidentiel, plusieurs mesures visent à améliorer la gestion des déchets verts, en limitant les dérogations à l'interdiction de brûlage - une pratique plus répandue que dans d'autres territoires - et en développant leur méthanisation.
Ces feuilles de route ont moins été l'occasion de définir de nouvelles mesures que de recenser celles déjà mises en place ou envisagées par les collectivités. Toutes ces mesures n'apparaissent pas comme des mesures de court terme - comme l'extension de lignes de transport en commun ou le déploiement de réseaux de bornes de recharge.
L'élaboration de ces feuilles de route ne doit pas être conçue comme la conclusion d'une procédure contentieuse mais comme une étape pour améliorer durablement la qualité de l'air. Le risque serait d'en faire un exercice ponctuel et formel, en réaction à un risque contentieux et dépourvu de suites concrètes. Il est donc indispensable de mettre en place un suivi rigoureux et régulier de la mise en oeuvre de ces mesures, aussi bien au niveau local qu'au plan national.
Il serait intéressant que ce suivi s'appuie sur une gouvernance élargie, permettant à toutes les parties prenantes de participer à la mise en oeuvre et à l'évaluation des mesures, à l'instar de l'instance de concertation mise en place dans la région Ile-de-France pour élaborer la feuille de route, co-pilotée par le préfet et par la présidente de la région. La concrétisation de ces feuilles de route doit permettre le développement de véritables projets de territoire pour la qualité de l'air. Le suivi des feuilles de route devra également déterminer rapidement le coût et les modes de financement des différentes mesures, car plusieurs d'entre elles nécessitent des ressources importantes, en particulier lorsqu'elles relèvent du secteur des transports. Faute de précision, ces mesures resteront lettres mortes. Il faudra enfin combler le manque d'évaluation préalable des feuilles de route, pour mesurer dans le temps l'impact des mesures prises, et les réorienter si elles s'avèrent inefficaces. Cela me semble également indispensable pour justifier ces décisions auprès de la population.
Vous l'aurez compris, il reste beaucoup à faire pour mettre en action les mesures listées dans ces plans, et plus généralement pour réduire la pollution atmosphérique à laquelle trop de nos concitoyens sont encore exposés, ce dont ils ne semblent d'ailleurs pas toujours conscients. Telle est avant tout notre responsabilité, en tant qu'élus nationaux et locaux. Car si lutter contre la pollution de l'air est aujourd'hui une responsabilité morale, il s'agira peut-être demain, en cas de carence prolongée, d'une responsabilité pénale - nous en avons déjà un exemple dans la vallée de l'Arve.