C'est un honneur de venir parler devant vous d'un sujet qui est d'abord de santé publique : à Paris, on recense 2 500 décès par an liés à la pollution de l'air, et sur la métropole du Grand Paris, c'est-à-dire la zone dense qui englobe 7 millions d'habitants, 6 000 morts par an sont liés à cette pollution. Sans compter toutes les maladies qui lui sont imputables. Lors d'un colloque, organisé la semaine dernière à l'Hôtel de Ville, des médecins ont démontré le lien entre la pollution de l'air et les maladies cardio-vasculaires, sur la base de plusieurs études épidémiologiques. Aux États-Unis, des publications scientifiques ont établi un lien entre les particules fines et l'augmentation des cas d'Alzheimer, mais aussi avec le développement de l'autisme.
Ce sujet majeur n'a rien de nouveau à Paris, puisque dès 2001, l'équipe de Bertrand Delanoë avait pris le sujet à bras le corps, même si nous ne disposions pas à cette époque de tous les éléments scientifiques dont nous avons connaissance aujourd'hui. Nous avons engagé une politique visant à réduire la place de la voiture polluante à Paris et à offrir des alternatives de transport, à travers le développement des bus en site propre, la construction du tramway sur le boulevard des maréchaux, ou encore la mise en place de nouveaux services comme Vélib' en 2007, et Autolib' un peu plus tard.
Nous travaillons aussi sur d'autres sources de pollution, liées par exemple à la construction de bâtiments. Cependant, dans une ville comme Paris, la pollution vient essentiellement du trafic automobile. D'ailleurs, depuis 2001, ce trafic a diminué de 30 % à Paris, et le niveau de pollution a également diminué de 30 %. Ces chiffres doivent être nuancés par le fait qu'avant 2013, on ne prenait pas en compte la pollution particulaire, et donc les effets de la très forte diésélisation du parc automobile parisien sur la pollution aux particules fines.
Cette politique de long terme a produit ses effets, mais elle a été génératrice de polémiques. En 2014, lorsque je suis devenu maire, j'ai annoncé assez vite la sortie du diesel et un plan de mobilité qui ne s'appuyait plus sur le véhicule individuel polluant. Les Parisiens sont de moins en moins propriétaires d'un véhicule, puisque 37 % en possèdent un en 2018 contre plus de 60 % en 2001.
À partir de 2014, nous avons mis en place comme dans toutes les communes de France un plan pour accélérer le pincement des entrées de véhicules dans les centres villes, afin de faciliter une circulation apaisée et une baisse de la pollution. Ce plan prévoyait notamment de piétonniser les 3,3 kilomètres d'autoroute urbaine des voies sur berge, empruntée par 40 000 automobilistes, ce qui est dérisoire en comparaison des 10 millions de personnes qui empruntent les transports en commun tous les jours en Ile-de-France. Neuf Parisiens sur dix n'utilisent pas la voiture pour aller travailler, et seulement deux Franciliens sur dix prennent leur voiture pour venir travailler à Paris. Même s'ils n'étaient empruntés que par une minorité, les 3,3 kilomètres de voirie parisienne fermés à la circulation se sont retrouvés au coeur de l'actualité, dans un univers où l'hystérisation du débat politique est devenue la règle, de sorte qu'on ne parle plus que de polémique comme si la capacité des politiques à poser des arguments et à arbitrer en connaissance de cause était tombée aux oubliettes.
Nous faisons à Paris ce que font toutes les grandes villes du monde. J'ai l'honneur de présider le C40, un réseau qui réunit 92 des plus grandes métropoles mondiales, qui représentent 650 millions d'habitants et 25 % du PIB de la planète. Ce réseau a pour but d'accompagner toutes les mesures liées au changement climatique et à la question de la pollution. Toutes les grandes villes qui en sont membres sont en train de mettre en oeuvre la stratégie Deadline 2020, qui a été voté au sein du C40, et qui vise à réduire la part de la voiture polluante dans les centres villes, à ouvrir vers d'autres types de mobilité dont les mobilités douces, et à développer les infrastructures lourdes de surface, comme le tramway.
Nous sommes engagés dans cette politique très concrète depuis 2014, avec des résultats intéressants. Entre 2016 et 2017, le trafic automobile dans la capitale a baissé d'environ 4 %, et cette baisse se poursuit en 2018 : - 4,8 % pour le mois de janvier, - 11 % en février et - 8 % en mars par rapport à l'année dernière. Il a donc fallu six mois d'ajustements et d'adaptations pour que les usagers de véhicules automobiles passent à d'autres formes de transport. Ce phénomène que l'on nomme scientifiquement « l'évaporation du trafic » correspond aux résultats que l'on pouvait attendre.
Nous avons intégré la réforme du stationnement dans cette politique de mobilité. Une fois octroyées les facilités de stationnement aux professionnels et aux résidents, nous avons fait en sorte que l'utilisation de l'espace public soit facturée et payée. Cette politique de paiement du stationnement rotatif a eu des conséquences très intéressantes, puisque 25 % des embouteillages parisiens étaient liés à la recherche de places de stationnement. À partir du moment où le stationnement est devenu payant, beaucoup de gens ont décidé d'utiliser un autre moyen de transport, ce qui a contribué à libérer des places et à réduire les embouteillages.
La politique que nous menons n'a pas vocation à se limiter à Paris stricto sensu. Nous avons travaillé en concertation avec les communes riveraines, car en cas de pic de pollution sur la métropole, les mesures de restriction de circulation concernent 22 communes autour de Paris. Nous travaillons aussi à l'échelle métropolitaine avec les 131 communes concernées, et nous oeuvrons en bonne intelligence avec la métropole du Grand Paris sur des propositions de zones de circulation restreinte pour répondre aux demandes de la Commission européenne sur le respect des normes en matière de qualité de l'air.
La région Ile-de-France comprend 12 millions d'habitants et la zone dense 7 millions. Le nuage de pollution couvre cette zone. Comme maire de Paris, je suis responsable de ce territoire et je ne peux pas attendre que tout le monde soit d'accord pour régler ce problème de santé publique. D'autant qu'il risque d'avoir des conséquences pénales, car un certain nombre d'associations commencent à attaquer les pouvoirs publics pour non-respect des règles en matière de qualité de l'air et mise en danger de la vie d'autrui. Il est hors de question pour moi de ne pas agir, alors qu'il s'agit de protéger ma ville, ainsi que la zone de 7 millions d'habitants.
Pour accélérer le pas en matière de lutte contre la pollution, notamment des particules fines, il faut pouvoir s'appuyer sur des données précises, d'où le recours à Airparif qui nous prévient lorsque le seuil de pollution nécessite de déclencher une alerte. Nous avons décidé d'aller plus loin en tissant un partenariat avec Enedis, dont les 300 véhicules électriques qui circulent dans Paris sont équipés d'un capteur des niveaux de pollution. Ces capteurs alimentent une cartographie des niveaux de pollution en temps réel, grâce à laquelle nous pouvons identifier les noeuds de pollution : nous avons ainsi pu constater que l'évacuation des bouches de métro produisait des niveaux de pollution extrêmement importants.
À l'international, nous avons mis en place le Global Urban Air Pollution Observatory (Guapo) qui recense les niveaux de pollution et de particules fines des villes du monde entier.
Enfin, nous travaillons en étroite collaboration avec le secteur automobile. Jean Todt, président de la Fédération internationale automobile est très engagé dans le développement des mobilités électriques. Je signale d'ailleurs que le Grand Prix de Formule électrique aura lieu à Paris à la fin du mois. La Fédération internationale a compris qu'il fallait sortir de la motorisation diesel, et la grande majorité des constructeurs vivent l'engagement des villes à sortir du diesel comme une opportunité d'accélération de la mutation du parc automobile. À Paris, nous avons fixé un cap, avec l'interdiction des véhicules diesel à partir de 2024 et l'interdiction des véhicules thermiques à partir de 2030. L'industrie automobile a intégré ce signal et nous l'y aidons grâce à des mesures fiscales destinées à accélérer le passage aux nouvelles énergies. Nous prévoyons aussi d'équiper rapidement la ville en bornes électriques ou à hydrogène : Tokyo qui a fait le choix de l'hydrogène est sorti du diesel depuis vingt ans. Il faut une politique globale alliant la fiscalité et les mesures d'aide à la reprise des véhicules ou au passage à d'autres formes de motorisation. L'industrie est prête.
Le modèle parisien, constitué d'une grande métropole et d'une zone dense n'est pas transposable aux territoires ruraux. À Paris, il y a une station de métro à moins de 10 minutes à pied du logement de chaque habitant. Ce n'est pas le cas ailleurs. En revanche, je ne peux pas attendre que le reste de la France bouge pour faire évoluer la situation à Paris, la ville qui a accueilli l'accord de Paris sur le climat. Nous sommes dépositaires de la COP 21. Si nous n'agissons pas, qui le fera ?
Le débat public s'enlise du fait du jeu des lobbies et de l'hystérisation des propos, de sorte qu'il est difficile de poser un diagnostic et de trouver des solutions adaptées aux différents territoires. Cependant, nous sommes des élus responsables, conscients du risque de santé publique qu'induit la pollution. Nous ne pouvons pas rester sans agir. En donnant le signal de la sortie du diesel, j'ai favorisé une prise de conscience et les constructeurs y voient désormais une opportunité. Il reste à aménager une transition en termes d'emplois et de mobilité en apportant les bonnes réponses plutôt que d'être dans une résistance qui n'a vraiment plus lieu d'être.