Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 11 avril 2018 à 9h30
Projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert des bénéfices — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

L'enjeu est simple : l'OCDE considère que les pratiques comme les transferts de bénéfice génèrent chaque année pour les États un manque à gagner de 100 milliards à 240 milliards d'euros, soit entre 4 % à 10 % des recettes de l'impôt sur les sociétés - selon des estimations prudentes, car par définition il est difficile d'évaluer les impôts non payés. Ce texte n'est qu'une étape, en effet, mais il constitue une réelle avancée. Je me rappelle qu'en 2008, on ne pouvait pas même rêver de la fin du secret fiscal en Suisse, par exemple ! La situation a beaucoup évolué, grâce notamment au Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca), et maintenant au projet BEPS.

S'il comporte des avancées, il suscite aussi des réserves. L'absence du numérique, d'abord. La semaine prochaine, nous débattrons de la proposition européenne de taxe à 3 % sur le chiffre d'affaires des grands groupes, voulue notamment par la France. Cette taxe, qui frapperait les groupes faisant plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires au niveau mondial, dont 50 millions d'euros en Europe, rapporterait environ 5 milliards d'euros par an. En vérité, la cohérence de nos débats est mise à mal par le télescopage des initiatives : le G20, l'OCDE, l'Union européenne donnent concurremment des impulsions, sans réelle coordination.

Pour obtenir la signature du plus grand nombre possible de pays, on a accepté beaucoup de souplesse, sous la forme d'options et de réserves. Les pays les plus réticents ont signé en ne prenant qu'un socle minimal, et en émettant des réserves pour le reste des dispositions... Et les États-Unis ne vont pas signer ce texte, car ils estiment que leur réseau conventionnel leur offre déjà les outils nécessaires à lutter contre les phénomènes d'évitement de l'impôt. La question des Américains accidentels n'a rien à voir avec ce débat.

Les Gafa vont s'efforcer de tirer tout le bénéfice de la réforme fiscale américaine. Plus la peine d'aller en Irlande ou aux Pays-Bas ! Ils vont fixer leur établissement stable aux États-Unis, où le taux de l'impôt sur les sociétés a été considérablement abaissé et où les dispositions nouvelles leur permettront de rapatrier des dizaines de milliards d'euros de liquidités. Ils pourront ainsi, de surcroît, offrir un visage plus présentable à l'opinion publique. Mais c'est vrai que l'absence des États-Unis est une vraie limite à ce texte.

Celui-ci ne changera pas la vie des entreprises, ni celle des particuliers : il ne concernera que quelques grands groupes opérant à l'échelle internationale. Encore ne signifie-t-il pas la fin des paradis fiscaux ! Je vous recommande de le ratifier, tout en étant conscients de ses limites. En effet, nous devons améliorer notre vigilance sur le suivi des conventions. Il ne suffit pas qu'elles soient signées ! À cet égard, le fait qu'un rapport ne nous soit plus remis depuis 2014 constitue une alerte.

Je ne pourrai pas déposer un amendement d'appel s'agissant de l'opposabilité de l'interprétation des dispositions des conventions fiscales telles que modifiées par l'instrument multilatéral car cela ne relève pas du domaine législatif. Mais nous interrogerons le Gouvernement. Il est étrange de consolider des conventions sans les rendre opposables. Il est vrai que les instructions fiscales qui en découleront le seront.

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