Intervention de Alain Quinet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 11 avril 2018 à 10h30
Impacts de la montée en charge de la contribution climat énergie « taxe carbone » — Audition conjointe de M. Alain Quinet inspecteur général des finances et président de la commission sur la valeur tutélaire du carbone M. Benjamin delOzier sous-directeur des politiques sectorielles à la direction générale du trésor et M. Kurt Van dender chef du service de la fiscalité environnementale à l'organisation de coopération et de développement économiques ocde

Alain Quinet, inspecteur général des finances et président de la commission sur la valeur tutélaire du carbone :

Je me concentrerai prioritairement sur la démarche de construction de la valeur carbone, qui sert de référence aux politiques publiques et je dirai ensuite quelques mots sur les usages de cette valeur. Afin de bien comprendre la démarche de construction d'une valeur tutélaire du carbone, j'évoquerai à la fois les travaux conduits il y a une dizaine d'années et les travaux de mise à jour qui nous ont été demandés par le Premier ministre, et qui ont débuté au début de l'année.

Quel est le prix du carbone permettant d'atteindre les objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, notamment de dioxyde de carbone (CO2) que se sont fixés l'Europe et la France ? La démarche relève d'une logique économique « coût-efficacité » assez différente de la logique « coût bénéfice » sous-jacente au rapport Stern, qui tente, lui, de répondre à la question : quel est le coût pour l'humanité de l'émission d'une tonne de CO2 ?

Il y a une dizaine d'années, nous sommes partis des travaux déjà disponibles - études du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), études économiques - et des équipes de modélisation ont déterminé un prix du carbone permettant d'atteindre l'objectif de diviser par 4 le niveau des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050 (facteur 4). Les modèles ont tous donné des résultats différents, comme le rapport s'en fait l'écho.

La commission, qui comprenait des experts, mais aussi des industriels, des partenaires sociaux, des représentants des ONG, a choisi une trajectoire consensuelle, adoptée à l'unanimité des membres de la commission, fixant aux politiques publiques une valeur carbone permettant d'atteindre l'objectif de « facteur 4 » à l'horizon de 2050. Le chiffre avait l'avantage d'être rond : 100 euros la tonne de CO2 à l'horizon de 2030.

La trajectoire de cette valeur de la tonne de carbone croît dans le temps, ce qui a donné lieu à de nombreux débats. Les résultats des modèles nous auraient conduits sans doute, si on les avait pris au pied de la lettre, à une valeur carbone plus haute. Nous avons finalement opté, après délibération collective, et au nom de la gestion de la transition économique et sociale, pour un montant de 32 euros alors que les modèles donnaient plutôt une valeur autour de 40 euros.

L'impératif d'une trajectoire croissante du prix de la tonne de carbone découle de deux éléments : premièrement, le niveau de prix initial était particulièrement bas ; deuxièmement, la courbe de prix ne saurait être plate et doit être actualisée afin d'infléchir les stratégies de long terme, notamment en matière d'investissement.

Au début de l'année, le Premier ministre m'a mandaté, avec l'appui de France Stratégie, afin de mettre à jour la trajectoire de cette valeur carbone, les paramètres ayant changé depuis dix ans. Les travaux de la commission sont en cours, je ne peux donc vous communiquer aucune nouvelle estimation. Je puis uniquement vous donner mon sentiment personnel sur les changements survenus ces dix dernières années qui impliquent de revoir à la hausse la valeur carbone de 2008.

Premièrement, les objectifs officiels sont plus ambitieux aujourd'hui. Dans le cadre des accords de Paris, à l'horizon de 2050, nous sommes passés d'une logique de type « facteur 4 » - soit une réduction de 75 % des émissions de gaz à effet de serre - à une logique de neutralité carbone - soit une réduction de 100 % des émissions de gaz à effet de serre.

Deuxièmement, les instruments, au niveau mondial comme aux niveaux européen et français, n'ont pas permis d'atteindre les objectifs fixés : l'effort à consentir pour atteindre les nouveaux objectifs est aussi plus élevé.

Troisièmement, il y a dix ans, le potentiel technologique était relativement limité, le véhicule électrique représentant la principale innovation. Aujourd'hui, le potentiel d'innovation embrasse le stockage de l'électricité, entouré d'incertitudes.

Globalement, depuis dix ans, le recours aux signaux de prix dans les politiques publiques est allé croissant. À l'époque, les pays scandinaves représentaient une forme d'exception, avec un prix de la tonne de carbone relativement élevé. Aujourd'hui, une quarantaine de pays ont mis en place des signaux de prix sous forme de tarification. Certaines régions et certaines villes ont fait de même.

Par ailleurs, il y a dix ans, dans la foulée du rapport de la commission, les débats se sont concentrés sur l'incidence de la fiscalité du carbone sur les niveaux de revenus et sur le pouvoir d'achat des ménages, avec des effets redistributifs d'une grande complexité. A contrario, ils ne mettaient pas suffisamment l'accent sur l'offre. Or, nous réalisons aujourd'hui que le progrès technique n'est pas spontanément vert : il s'étend aussi bien aux énergies renouvelables qu'au gaz de schiste par exemple !

De plus, la transition énergétique et écologique est coûteuse en l'absence de tarification du carbone. Si l'on veut créer un différentiel de coût entre les solutions vertes et des solutions polluantes, il est nécessaire de passer par le subventionnement des solutions vertes.

Enfin, sans signaux de prix, les énergies renouvelables (ENR) concurrencent tant le nucléaire que les énergies fossiles.

La fiscalité du carbone a des incidences sur le pouvoir d'achat et des effets redistibutifs, mais elle doit aussi nous amener à réfléchir à la rentabilité des investissements de long terme, du mix énergétique et des solutions vertes par rapport aux solutions polluantes, ainsi qu'aux choix de chauffage et à la mobilité des entreprises.

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