Intervention de Kurt Van Dender

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 11 avril 2018 à 10h30
Impacts de la montée en charge de la contribution climat énergie « taxe carbone » — Audition conjointe de M. Alain Quinet inspecteur général des finances et président de la commission sur la valeur tutélaire du carbone M. Benjamin delOzier sous-directeur des politiques sectorielles à la direction générale du trésor et M. Kurt Van dender chef du service de la fiscalité environnementale à l'organisation de coopération et de développement économiques ocde

Kurt Van Dender, chef du service de la fiscalité environnementale à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) :

Les objectifs de l'accord de Paris sont compatibles avec une croissance économique et inclusive, à condition que la politique climatique soit intelligente et constante. Un engagement ferme pour la mise en place d'une augmentation dans la durée des prix du carbone constitue le facteur clé d'une telle politique.

L'accord de Paris implique une transition vers une économie neutre en carbone au cours de la deuxième moitié du siècle. Pour atteindre cet objectif, toutes les politiques doivent s'aligner sur la transition vers une économie faible en carbone. Le prix du carbone est à ce titre le facteur clé de toute politique climatique car il garantit une approche cohérente et contribue à la transition des foyers et des entreprises vers une économie à faible intensité de carbone.

Quel est le niveau de tarification à prévoir pour décarboner ? La commission de haut niveau sur les prix du carbone, coprésidée par Sir Nicholas Stern et Joseph Stiglitz, s'était fixé pour objectif de répondre à cette question. Elle conclut, dans un rapport publié en 2017, que le niveau de prix de carbone compatible avec l'atteinte des objectifs se situe entre 40 et 80 dollars par tonne de CO2 d'ici à 2020, et entre 50 et 100 dollars la tonne d'ici à 2030. D'autres politiques doivent donc être mises en place. À défaut, les prix de la tonne de carbone devront être encore plus élevés.

Deux questions difficiles se posent. Pourquoi mettre l'accent sur les prix du carbone plutôt que sur d'autres mesures ? Sommes-nous loin des prix compatibles avec l'accord de Paris ?

S'agissant de la première question, voici trois réponses : la tarification du carbone réduit les émissions, elle est donc efficace ; la tarification du carbone a un coût réduit par rapport aux autres mesures ; la tarification du carbone est une politique fiscale judicieuse.

Premier exemple, en ce qui concerne l'efficacité de la tarification, l'intensité carbone du PIB a tendance à être plus faible lorsque les prix effectifs du carbone sont plus élevés. Bien entendu, d'autres facteurs entrent également en jeu, mais le prix du carbone contribue à cette corrélation.

Deuxième exemple, lorsque les prix du carburant sont plus élevés, la consommation est plus faible. Les prix faibles en Australie et aux États-Unis, et plus élevés au Royaume-Uni et en Italie expliquent la différence de consommation entre ces pays. La consommation d'essence est sensiblement plus faible là où les taxes sont les plus élevées, même si bien sûr d'autres facteurs entrent, là aussi, en jeu.

Le troisième exemple concerne l'Australie, qui a mis en oeuvre une taxe carbone en juin 2012, avant de la supprimer en juillet 2014. Elle s'appliquait à la production électrique, mais pas au pétrole. On constate que la taxe a nettement réduit les émissions dans le secteur de l'électricité tandis que les émissions relatives à l'essence non taxée ont augmenté. En juillet 2014, suite à la suppression de la taxe carbone, les émissions de CO2 dans le secteur de l'électricité ont grimpé.

Dernier exemple d'efficacité, la Suède a introduit une taxe carbone en 1991, qui a progressivement augmenté dans le temps. Cette augmentation a été combinée à une forte croissance du PIB et à une baisse des émissions de CO2.

De nombreux autres exemples montrent sans équivoque qu'une tarification du carbone permet de réduire sensiblement les émissions, mais peut-être existe-t-il de meilleures politiques ? En réalité, ce n'est pas le cas : la tarification du carbone est non seulement efficace, mais elle est aussi efficiente. Cela signifie qu'elle offre le meilleur rapport coût-efficacité, car elle permet aux émetteurs de réduire les émissions de la façon qui leur convient le mieux. D'autres instruments de réduction des émissions ne procurent pas cette souplesse et sont plus coûteux. Dans le transport routier, une réduction d'une tonne de CO2 coûte 55 euros si l'on utilise les taxes sur les carburants, contre 240 euros par tonne pour des taxes préférentielles, 420 euros pour les subventions de capital et 441 euros pour les mandats sur le mélange des carburants.

Enfin, la tarification du carbone est une politique fiscale judicieuse. Les taxes sur le carbone génèrent des recettes fiscales non négligeables. Actuellement, les recettes fiscales tirées des taxes sur l'énergie avoisinent 2 % du PIB. Au cours de la transition vers une économie à faible intensité de carbone, ce produit pourrait doubler. Ces suppléments de recettes sont-ils une bonne nouvelle ? Oui, si l'on en fait un bon usage, notamment redistributif. Selon une estimation portant sur 22 pays de l'OCDE, utiliser 25 % à 30 % du produit de la taxe carbone pourrait réduire la précarité énergétique. On peut s'en servir également pour réduire la charge de l'impôt, ce qui est une bonne nouvelle pour le système fiscal en matière de croissance. On peut aussi les utiliser pour augmenter les dépenses écologiques.

Pour conclure, si la tarification du carbone est un excellent outil pour la politique climatique, est-il utilisé avec enthousiasme ? Sommes-nous sur la bonne voie pour atteindre les fourchettes recommandées par Stern et Stiglitz ? Deux études de l'OCDE, Taxing Energy Use et Effective Carbon Rates, décrivent la situation dans 42 pays membres de l'OCDE ou du G20, responsables pour 80 % de la consommation mondiale d'énergie. L'écart entre les prix du carbone actuels et le prix de 60 euros par tonne recommandé comme minimum par Stern et Stiglitz est d'environ 80 %.

Le progrès dans l'application du principe du pollueur-payeur est donc très lent, même si l'écart de 80 % tend à se réduire de 1 % par an. Si cet écart reste large, la proactivité de la France peut sensiblement contribuer à changer cette dynamique.

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