Intervention de Cédric Villani

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 5 avril 2018 à 9h40
Présentation par M. Cédric Villani de son rapport au premier ministre « donner un sens à l'intelligence artificielle pour une stratégie nationale et européenne » Audition conjointe avec la commission des affaires économiques de l'assemblée nationale

Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

Je précise que nous répondrons à toutes les autres questions par écrit.

Au niveau de la formation, pour l'instant, une bonne partie de l'IA se joue sur la « débrouille », si vous me permettez cette expression un peu familière. En l'espèce, les grands outils de l'IA sont plutôt élémentaires. Le fonctionnement d'un réseau de neurones dans l'IA est beaucoup plus simple à comprendre que le code de simulation des équations de Navier-Stokes utilisées en météorologie. Pour caricaturer, il y a une équation majeure, celle qui permet d'optimiser le réseau de neurones, et tout le reste est du bricolage.

Pour l'instant, il existe des formations de très haut niveau en IA en France. La formation la plus pointue est dispensée à l'ENS de Cachan à Paris-Saclay. Les polytechniciens, dans la circonscription voisine, se pressent pour participer à ce master. L'enjeu est plutôt de développer des formations d'un niveau moindre. Ces formations devront être développées dans les écoles d'ingénieurs orientées informatique, plus qu'elles ne le sont actuellement, ainsi que dans les autres grandes écoles scientifiques.

Il ne fait aucun doute que beaucoup d'autres formations vont se développer dans les années qui viennent. Actuellement, pour un lycéen, le plus sûr est de se renforcer dans les trois matières clés que sont les mathématiques, l'informatique et la physique pour la mécanique, la robotique et l'industrie du futur.

Il ne faut cependant pas se focaliser trop tôt. Les profils, les sujets, les formations multidisciplinaires sont très valorisés avec la montée en puissance de l'IA. Par exemple, on recherche comme les loups blancs des médecins qui ont aussi une expertise en programmation ou des ingénieurs informaticiens qui ont suffisamment de connaissances en médecine pour pouvoir discuter avec les professionnels de l'art. Par ailleurs, il n'y a pas unicité de profils et les filières seront variées.

La question du partage des données et de la souveraineté est très délicate. Il existe nombre de façons d'« ouvrir » l'accès aux données. C'est une question de modularité. On peut les rendre publiques pour tous les acteurs ou garder complètement le secret ; entre les deux, il y a toute une gamme de droits et d'accès.

Par exemple, il pourrait être décidé que les acteurs européens ou les acteurs publics aient accès à plus d'informations que les autres, l'accès à l'information dépendant de la gravité du sujet, de l'importance vitale... Des arbitrages devront être faits. Si l'intérêt est vital, ce serait criminel d'empêcher une entreprise étrangère de développer une application qui peut être révolutionnaire.

Nous avons travaillé sur des amendements dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la protection des données personnelles, pour insister sur le fait que la définition de l'intérêt public ne devrait pas être restreinte aux seules entreprises du secteur public. Il peut également exister des entreprises privées qui travaillent dans un secteur d'intérêt public, en particulier dans la santé.

L'INSERM a travaillé sur un programme qui consistait ainsi en l'interconnexion de différentes bases de données de santé pour les ouvrir à tous les acteurs qui en auraient un besoin légitime : connexion des données hospitalières, des données de médecine de ville, des données administratives, des données de décès, des données génétiques, etc. Là encore, il y a une question de modularité. On peut connecter tel type de données avec tel autre quand c'est justifié, du moment qu'est choisi le niveau de sûreté imposé par le cas de figure.

En conclusion, je dirais qu'il existe différentes manières d'ouvrir l'accès aux données, en fonction d'une gamme de motifs et de circonstances.

Concernant les véhicules autonomes, l'objectif majeur est la sécurité. Le deuxième objectif est le confort. La rapidité vient seulement ensuite. Le confort c'est, par exemple, le fait de fluidifier le passage aux péages ou de décharger le conducteur de la charge émotionnelle quand il est pris dans un embouteillage. Mais c'est à double tranchant. Si l'on n'a plus peur de se retrouver dans un embouteillage, on risque de se retrouver avec des hordes de conducteurs qui font la sieste ou qui regardent un film dans la voiture. Les embouteillages risquent alors de devenir interminables. Dans une perspective de réduction des embouteillages, il faudrait une offre plus intelligente de navettes, de moyens de transport à la demande, qui optimisent le temps de partage des véhicules. Un véhicule personnel passe 95 % de son temps à l'arrêt. C'est un gigantesque gâchis en termes de place et de matériel. Au-delà de BlaBlaCar, qui organise déjà des formes de partage, la situation pourrait évoluer vers de nouvelles possibilités de partage efficaces d'offres privées et publiques.

Pour la sécurité, les grands constructeurs se sont fixés l'objectif à terme de véhicules qui aient dix fois moins d'accidents que les conducteurs humains. On ne sait pas quand cela va arriver. Il faudra beaucoup d'expérimentations, dans lesquelles on acceptera localement de relâcher les contraintes dans des environnements contrôlés, bien identifiés, bien cartographiés. Autour du plateau de Saclay, il y a toute une réflexion sur le rôle du véhicule innovant et de la mobilité du futur. Certains acteurs locaux, des centres de recherche, doivent avoir la possibilité de faire de telles expérimentations.

On le sait, il y a eu quelques accidents mortels impliquant des véhicules autonomes, pour l'instant en nombre très réduit. Chaque accident est bien sûr une tragédie. Cependant, à chaque fois, les accidents ont eu lieu dans des conditions difficiles, avec éblouissement, de nuit... Même si ces accidents doivent être déplorés, ils sont très minoritaires en nombre par rapport aux accidents liés aux comportements humains.

L'interaction entre le conducteur humain et le conducteur automatique sera le plus difficile. Comme souvent dans l'IA, on est amené, au fur et à mesure qu'on explore le sujet, à découvrir que les activités humaines sont bien plus complexes que ce que l'on croyait. C'est vrai pour les métiers. Ce qui s'automatise, ce sont les tâches et non pas les métiers. Un métier, c'est en réalité beaucoup de tâches différentes, certaines automatisables et d'autres non. Aussi, un répertoire exhaustif de toutes les tâches peut s'avérer très lourd à réaliser. De même, conduire un véhicule nécessite beaucoup de tâches, dont certaines sont très complexes. Le simple fait de s'insérer sur une bretelle d'autoroute atteint ainsi un sommet de complexité parce qu'il met en oeuvre des comportements, une sorte de transaction voire d'intimidation entre conducteurs, sans qu'on s'en rende vraiment compte. C'est un casse-tête à modéliser.

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