Intervention de François Patriat

Réunion du 16 avril 2018 à 17h00
Intervention des forces armées françaises en syrie — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de François PatriatFrançois Patriat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, l’ordre international reste imparfait et quand le désordre devient insupportable, la légitimité fondée sur les droits élémentaires et universels doit l’emporter.

J’ai écouté avec attention les propos qui viennent d’être tenus. Nous mesurons, nous aussi, l’extrême complexité et l’enchevêtrement du dossier syrien.

La décision du chef de l’État et de nos alliés nous apparaît justifiée. Elle témoigne d’une constance de notre position dans la région.

Dans la nuit du 6 au 7 avril, dans le but de reconquérir le dernier bastion rebelle dans la Ghouta orientale, l’armée syrienne a lancé une terrible offensive sur la ville de Douma, provoquant la mort d’une centaine de civils selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.

Comme l’horreur n’était pas encore à son comble, les secouristes comprirent à leur arrivée que de nouvelles attaques chimiques venaient d’avoir lieu. Les premiers signes apparents sur les victimes – des images insoutenables – étaient effectivement symptomatiques d’une telle attaque. Avec les premières analyses, le doute n’était plus permis.

C’est ainsi qu’à nouveau, le samedi 7 avril, à Douma, des dizaines d’enfants, de femmes et d’hommes ont été tués à l’arme chimique, tandis que des centaines d’autres étaient grièvement blessés.

De même que la survenance d’une attaque chimique est avérée, la responsabilité du régime syrien ne fait pas de doute, eu égard aux faits et à l’évaluation internationale publiée le 14 avril par la France.

Au cours des sept dernières années, en utilisant du gaz sarin contre son peuple, le régime de Bachar al-Assad a transgressé un interdit du XXIe siècle. Il a enfreint des normes internationales. Il n’a eu de cesse, surtout, de mépriser l’humanité.

L’emploi d’armes chimiques par Damas constituait pourtant une ligne rouge, cette ligne rouge qui, maintes fois bafouée, mais réaffirmée par nos soins en mai dernier, avait été posée dès 2012 par l’ancien président Barack Obama, avant d’être reprise par la France et le Royaume-Uni.

La fabrication et l’utilisation d’armes chimiques constituent un danger réel pour le peuple syrien et pour notre sécurité collective, mais aussi une menace pour la paix et la sécurité internationale.

La fabrication et l’utilisation d’armes chimiques s’inscrivent en totale violation du droit international, que ce soit la non-prolifération ou le droit international humanitaire, mais aussi en totale violation des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.

Dès 1925, un premier protocole prohibait l’usage d’armes chimiques lors de guerres. Une convention internationale d’interdiction des armes chimiques suivra en 1993, signée à Paris et à laquelle Damas est partie prenante depuis 2013.

Cette année-là, le régime syrien avait même pris l’engagement devant la communauté internationale de démanteler intégralement son arsenal. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le Conseil de sécurité en avait pris acte en septembre 2013, dans sa résolution 2118.

Dans cette résolution est ainsi clairement établi que, si la Syrie violait cet engagement, elle encourrait l’application de mesures découlant du chapitre VII de la Charte des Nations unies, lequel porte sur l’emploi de la force armée en cas de menace contre la paix.

Le régime de Damas savait donc à quoi il s’exposait, ce qui ne l’a pas empêché de prendre ces décisions délibérées.

Le fait qu’il emploie contre son peuple des armes chimiques barbares, et ce de manière répétée, ne pouvait plus perdurer. Par notre silence et notre inaction, nous n’étions certes pas complices de ces atrocités, mais nous en devenions des acteurs passifs.

Que fallait-il faire d’autre ?

Au nom de la défense de l’humanité, les dernières attaques imposaient donc une réaction urgente, proportionnée, ciblée et ponctuelle de notre part.

C’est la raison pour laquelle, dans la nuit de vendredi à samedi, la France, les États-Unis, le Royaume-Uni ont tenté de détruire – je ne sais pas s’ils y sont parvenus – l’arsenal chimique clandestin syrien se trouvant dans la banlieue de Damas et sur deux autres sites.

Nous tenons, nous aussi, à rendre hommage à nos soldats et à nos armées, dont le professionnalisme est un exemple pour tous. Les opérations menées par la France ont été parfaitement conduites, avec une efficacité dont peu de pays sont aujourd’hui capables. Au dire des autorités syriennes et russes, aucune victime civile ou militaire n’est à déplorer.

Monsieur le ministre, nous entendons vos propos quant aux objectifs concis de cette opération. Nous les soutenons et estimons que cette réaction était légitime. Il y allait de notre responsabilité, mais aussi de notre devoir moral, compte tenu du dernier blocage de la Russie, empêchant toute réaction possible du Conseil de sécurité.

À ceux qui ont pu reprocher un alignement français sur la politique américaine, nous répondons qu’ils ont tort. La France est une puissance mondiale faisant preuve d’une constance extrême sur le sujet et disposant d’une autonomie stratégique, qu’elle tente par ailleurs d’ancrer dans un cadre européen. Enfin, la France fait surtout de la défense de la paix et de la sécurité internationale un impératif permanent.

À ceux qui ont pu dénoncer l’absence de mandat onusien, nous posons cette question : qui viole aujourd’hui le droit international en massacrant en toute impunité sa population, sous les yeux de la communauté internationale ?

À ceux qui nous accusent d’entraîner la France dans une guerre aux objectifs flous, nous répondons qu’en aucun cas nous ne déclarons la guerre au régime de Damas, vous l’avez répété encore à l’instant, monsieur le ministre. Nous rappelons simplement Damas à ses engagements concernant la destruction de son arsenal chimique.

Monsieur le ministre, la légitimité de cette frappe ne nous exonère pas d’un autre devoir, celui de consacrer tous nos efforts politiques et diplomatiques à trouver une issue la plus rapide possible à ce conflit, qui ne s’est que trop envenimé.

Nous devons le faire avec tous nos partenaires et, surtout, dans le cadre des Nations unies, qui reste et restera l’enceinte garante de la paix et de la sécurité internationale, celle dans laquelle l’humanisme doit primer.

Nous savons que vous en avez pleinement conscience, puisque notre pays n’a évidemment pas attendu ces derniers rebondissements pour s’atteler ardemment à cette rude tâche.

En sept ans de guerre civile, nous comptons aujourd’hui 350 000 morts, dont plus de 100 000 civils - parmi eux, 20 000 enfants -, et 12 millions de déplacés, soit les deux tiers de la population. Ces chiffres nous ôtent parfois tout pouvoir de réflexion et nous n’agissons pas.

De son côté, l’UNICEF a déploré une « violence aveugle et extrême » qui a entraîné une augmentation de 50 % du nombre d’enfants tués en 2017, par rapport à l’année précédente. Comme l’a justement dit son directeur au Moyen-Orient, M. Geert Cappelaere, chacune de ces morts « constitue des rappels criants que la guerre en Syrie doit s’arrêter et doit s’arrêter maintenant ».

Ce carnage n’a que trop perduré. Nous demandons donc au Gouvernement de poursuivre ses efforts, afin de permettre, sur le terrain, l’application d’un cessez-le-feu et l’accès humanitaire aux populations civiles, comme l’exigent les résolutions du Conseil de sécurité restées lettre morte.

Il faut aussi soutenir l’action des organisations non gouvernementales, dont le courage et l’engagement sont remarquables, terminer la lutte contre les terroristes de Daech – les mêmes qui ont organisé une série d’attentats sanglants sur notre territoire –, rétablir la paix et la stabilité en Syrie et dans la région, en enclenchant une dynamique collective pour parvenir à une solution politique inclusive, et, enfin, faire en sorte que la Syrie respecte ses engagements et se débarrasse de ses stocks d’armes chimiques.

Nous saluons donc le fait que la France et ses deux partenaires aient, sitôt ces frappes ponctuelles terminées, présenté un projet de résolution sur la Syrie dans le cadre du Conseil de sécurité.

Ce projet, visant à relancer les négociations, se décline en un volet chimique, avec un mécanisme international d’enquête et d’établissement des responsabilités ; un volet humanitaire, avec un « cessez-le-feu durable » ; un volet politique qui « exige des autorités syriennes qu’elles s’engagent dans des négociations intersyriennes de bonne foi, de manière constructive et sans préconditions ». On peut rêver, mes chers collègues, mais essayons tout de même !

Nous espérons donc que chaque membre du Conseil de sécurité, surtout la Russie, saura prendre ses responsabilités.

Nous saluons les déclarations de la Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, rappelant, au nom des États membres, ce samedi, que l’utilisation de substances chimiques en tant qu’armes est « un crime de guerre et un crime contre l’humanité ».

De même, nous saluons les conclusions du conseil Affaires étrangères de ce matin.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe La République En Marche se félicite de la tenue de ce débat parlementaire, conforme à l’article 35 de la Constitution. Il soutient le Gouvernement dans son action car, quand la barbarie gifle l’humanité, l’humanité doit gifler la barbarie !

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