Monsieur le président, monsieur le ministre, cher président Cambon, mes chers collègues, après sept ans d’une guerre qui a déjà fait plus de 500 000 morts, plus de 1 million de blessés, provoqué le départ hors de Syrie de plus 5 millions de réfugiés et le déplacement intérieur de 6 millions de personnes, il ne semble faire aucun doute que le régime de Bachar al-Assad s’est livré, le 7 avril dernier, à plusieurs attaques chimiques létales sur le quartier de Douma, faisant plusieurs dizaines de victimes, après des centaines d’autres dans le passé, dans d’atroces et insoutenables conditions.
La ligne rouge fixée par la France en mai 2017 a ainsi été franchie. Le droit international comme les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ont été bafoués.
Monsieur le ministre, disons-le d’emblée : le groupe Union Centriste, pour lequel je m’exprime à la demande de notre président Hervé Marseille, soutient l’initiative et l’action mesurées et proportionnées qui furent celles, dans la nuit de vendredi à samedi, du chef de l’État et de nos armées, même si un certain nombre d’interrogations ont été exprimées par plusieurs de nos collègues.
Nous voulons à cette occasion rendre hommage à nos militaires, qui combattent sur tous les fronts pour défendre notre liberté et notre sécurité. Leur professionnalisme, leur courage et leur excellence font notre fierté et notre admiration. Ils font également notre réputation internationale. Nous saluons d’ailleurs les soldats français qui ont été attaqués à Tombouctou par des djihadistes, l’ennemi commun là encore.
Ne nous y trompons pas : l’attaque chimique de Douma n’était que la dernière d’une bien longue série de crimes de guerre attribués au régime syrien, le plus souvent par des enquêtes internationales.
Dans un monde qui n’a jamais été aussi instable et imprévisible, l’usage de ces armes prohibées par le droit international représente un véritable défi adressé à l’humanité et réveille, en particulier chez nous Français, le traumatisme de l’utilisation des armes chimiques pour la première fois durant la Grande Guerre. Un siècle après, ce fléau n’a pas été annihilé.
Les frappes de la nuit de vendredi à samedi nous obligent à établir un parallèle avec août 2013. Beaucoup d’entre nous, rappelez-vous, étions à l’époque partagés sur l’opportunité d’une intervention : il y avait, d’un côté, l’abomination et l’horreur de l’utilisation de l’arme chimique – je me souviens d’avoir été à l’époque, comme rapporteur pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans un camp de réfugiés syriens près de Gaziantep, en Turquie, et j’ai vu dans le regard de nos interlocuteurs, qui m’ont d’ailleurs appris cette action terrible, ce qu’ils pouvaient attendre de la France – ; il y avait, de l’autre côté, la crainte d’un renversement du régime d’Assad et, conséquemment, d’une victoire islamiste. C’était présent dans tous les esprits.
De même, les déboires en Afghanistan, en Irak et en Libye accentuaient les hésitations.
Or tout autre est la situation aujourd’hui. Le régime syrien est parvenu, avec le soutien de l’Iran et plus encore de la Russie, à reconquérir une grande partie du territoire et ne semble plus menacé à court terme.
Nos frappes ne constituent donc pas la manifestation d’une entrée en guerre contre un pays ou un régime avec la volonté de le voir chuter, mais elles constituent une action punitive. Il est question ici de frappes ciblées et calibrées, fondées sur un faisceau concordant d’indices et de preuves. Avec, en toile de fond, le légitime souci de ne pas ajouter une nouvelle crise à celles, déjà existantes, qui se superposent dans cette région du monde sous l’effet d’acteurs et d’interactions multiples : ainsi de l’Arabie saoudite au Yémen, du conflit israélo-palestinien ou turco-kurde, de l’instabilité croissante au Liban comme de la présence toujours effective de l’État islamique et d’Al-Qaïda.
De l’intervention des forces armées françaises dépendait aussi la crédibilité de notre diplomatie. On peut entendre l’argument selon lequel notre crédibilité, c’était de ne pas être dans ce conflit. C’est un débat digne et responsable. On peut dire également que notre crédibilité, notre spécificité, notre parole particulière, c’est aussi d’être présent lorsqu’il faut l’être. En frappant un centre de recherche et des sites de production reliés au programme chimique clandestin syrien, la France a contribué, avec ses alliés, à faire respecter une « ligne rouge » plusieurs fois rappelée par elle et ses alliés.
Encore une fois, l’enjeu n’est pas de bouleverser le rapport de force en Syrie ni même de provoquer la Russie, contre qui ces frappes n’étaient certes pas destinées, mais qui devraient néanmoins l’inciter à modérer son allié syrien. L’enjeu, par ces frappes exclusivement punitives et dissuasives, c’était de faire respecter les règles de juste conduite, les unes juridiques, les autres morales et humanitaires.
Pour autant, nous n’oublions pas les minorités, principalement chrétiennes, qui, en Syrie comme ailleurs, ont à juste titre peur d’un avenir incertain.
Mes chers collègues, défions-nous des réactions convenues dès qu’il s’agit de la Syrie et de la Russie. Le dialogue politique avec la Russie doit se poursuivre. Nul n’en disconvient. L’avenir de la région dépendra maintenant des relations que nous réussirons à établir avec le principal allié du régime syrien.
Parmi les Occidentaux, qui mieux que la France pourra mener à bien ce dialogue avec la Russie de Vladimir Poutine ?
Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, notre ennemi commun, c’est Daech. Le Président de la République a appelé l’ONU à reprendre sans tarder l’initiative sur les plans politique, sécuritaire, sur la question chimique et sur le plan humanitaire pour avancer, dans la plus large unité possible, vers un règlement de la crise syrienne. Nous l’approuvons.
L’intervention en Syrie, pour légitime qu’elle apparaisse à nombre d’entre nous, doit en effet s’inscrire dans un cadre onusien. Certes, comme l’atteste le Proche-Orient déchiré depuis plus d’un siècle, les Nations unies ne mettront pas un terme au conflit. Mais l’ONU n’en demeure pas moins le seul cadre institutionnel existant au niveau international.
Reste une question : comment, monsieur le ministre, sortir de l’impasse et surmonter le blocage persistant de la Russie à l’application de la résolution 2118 des Nations unies ? Cela pose d’ailleurs la question, plusieurs fois évoquée par les présidents français et par d’autres, du fonctionnement du Conseil de sécurité : la liste de ses membres permanents l’atteste, il date du monde d’hier, d’une géopolitique qui a profondément évolué, et cette question est plus que jamais sur la table. On parle de cette réforme du Conseil de sécurité, et un jour il faudra parvenir à la faire.
Et puis, alors qu’il est question de relancer l’Europe de la défense, que penser du fait qu’aucun autre État membre de l’Union européenne n’ait participé, même symboliquement, à la coalition ? Même si – que mon propos ne soit pas mal compris – on doit saluer le partenariat avec la Grande-Bretagne, dans l’esprit de Lancaster House. Cela compte, c’est important, car ce sont nos voisins. Mais on ne peut pas dire que l’Europe de la défense était présente. C’est regrettable.
Si nécessaires fussent-elles pour faire respecter le droit et la morale humanitaire la plus élémentaire, les frappes ne régleront pas le conflit. Car, ne soyons pas naïfs, le sort de la Syrie n’est pas entre les mains des seuls Occidentaux : il dépend d’abord de la Turquie, de l’Iran et de la Russie. Dans ces conditions, monsieur le ministre, quelle est, à moyen et à plus long terme, la stratégie proche-orientale de la France ?
Pour notre part, et sans faire du départ de Bachar al-Assad le préalable, nous considérons que la France doit pouvoir parler avec l’ensemble des protagonistes, sans exclusive. Elle doit aussi pouvoir remettre au cœur des discussions la question d’une future Constitution et l’organisation – le moment venu, quand les conditions seront réunies – d’élections en Syrie.
« Ce que chacun peut apporter de meilleur au monde, c’est lui-même », écrivait Paul Claudel. Or, mes chers collègues, c’est bien en étant fidèle à sa propre histoire et à son héritage, celui de la défense de la liberté des individus et des peuples à travers le monde, que la France peut apporter quelque chose.
Sachez, monsieur le ministre, que le groupe Union Centriste n’esquivera pas ses responsabilités et adoptera à chaque fois une position responsable lorsque seront en jeu l’intérêt de la France et la dignité de la personne humaine.