Je ne l’ai pas entendu !
On nous dit que nous sommes intervenus sans mandat de l’ONU. Mais les Russes interviennent massivement en Syrie depuis 2015, les Iraniens depuis 2011, les Turcs depuis quelques mois, tous sans aucun mandat. Où était alors la voix de ceux qui nous rappellent aujourd’hui au respect du droit international ?
Et d’abord, qui viole le droit international ? La France et ses alliés, qui se réclament de la résolution 2118 des Nations unies interdisant l’usage des armes chimiques en Syrie, rappelée tout à l’heure par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères ? Ou ceux qui mettent veto sur veto à son application, piétinant le papier qu’ils ont signé voilà cinq ans et ne trouvant pour le faire que le piètre mensonge selon lequel l’usage d’armes chimiques n’est pas prouvé ? Les mêmes mensonges qui étaient avancés pour nier l’attentat de Londres il y a un mois.
On nous dit aussi que ces frappes vont affaiblir notre diplomatie et le respect qu’on accorde à la France dans le monde. La meilleure réponse à cet argument est la réunion en urgence samedi du Conseil de sécurité de l’ONU, où la résolution russe condamnant ces frappes n’a trouvé le soutien que de deux pays, deux pays dont chacun connaît le degré de démocratie : la Chine et la Bolivie.
Nous soutenons donc la décision du gouvernement français et de ses alliés.
On me dira que ces frappes ne règlent pas la question de fond de la guerre civile syrienne. C’est une évidence, et ce n’était pas leur but. Mais à défaut de solution, elles délivrent, pour la première fois depuis longtemps, un message. Et ce message est clair : nous défendrons en Syrie nos principes, nos objectifs et nos intérêts.
Nous défendrons d’abord nos principes : l’impunité pour les utilisateurs d’armes chimiques est terminée. Pour les criminels contre l’humanité, le prix à payer va s’élever. Et il pourrait bien devenir un jour un risque personnel, comme pour Ali le chimique en Irak, célèbre pour le gazage des Kurdes en 1988, condamné et exécuté en 2010, ou pour tous les criminels traduits devant la Cour pénale internationale.
Nous défendrons ensuite nos objectifs. Et notre premier objectif, c’est la disparition sans retour du califat, en voie d’extinction en Irak et en Syrie.
Je suis étonné d’entendre certains dire que ces frappes sont une gesticulation sans lendemain. Ils oublient que non seulement il y aura un lendemain, mais qu’il y a un hier.
Ils oublient que nous ne sommes pas présents sur ce terrain depuis samedi, mais que nous y sommes depuis plusieurs années au sein d’une coalition. Que le premier objectif de cette coalition est de vaincre Daech dans ses bases historiques et que cet objectif est en passe d’être atteint. Les frappes de ce week-end ne peuvent que renforcer le sentiment que nous irons jusqu’au bout dans ce combat.
Nous défendrons enfin nos intérêts, et ce n’est pas un gros mot. C’est en ne les défendant pas que nous serions critiquables.
Quels sont ces intérêts ?
Ils consistent à faire comprendre aux alliés d’al-Assad que désormais les lignes rouges ne seront plus virtuelles.
Qu’une menace iranienne ou du Hezbollah sur Israël ou un autre de nos alliés dans la région ne sera pas acceptée.
Qu’une déstabilisation des voisins de la Syrie, Irak ou Jordanie par exemple, ne sera pas tolérée.
Qu’enfin, nous ne voulons plus de massacres des populations civiles qui jettent chaque fois des milliers de nouveaux réfugiés sur les routes au Liban, en Turquie en Jordanie et jusqu’en Europe.
Voilà les trois messages qui ont été envoyés samedi à Bachar al-Assad et à ses alliés.
Il y en a un dernier, plus spécifique, à l’égard de Vladimir Poutine : c’est que malgré tous ses efforts pour les diviser, et peut-être même du fait de ses efforts, les alliés sont restés unis. Ils sont restés unis devant ce crime comme après le scandale du Novitchok à Londres.
Et le prix à payer pour la Russie est désormais très lourd avec, pour la première fois depuis longtemps, la chute du rouble et de la bourse de Moscou.
Enfin, il y a l’essentiel, et l’essentiel, c’est ce sur quoi jusqu’à ce jour nous avons tous échoué. Tous, nos alliés comme nos adversaires. C’est bien sûr du règlement politique de la guerre civile en Syrie que je veux parler.
Je ne parlerai pas des échecs des Syriens eux-mêmes ni de ceux de nos adversaires, nous avons bien assez des nôtres. Les échecs des démocraties dans cette guerre proviennent notamment de leurs erreurs d’analyse.
Ballottées par le flot des images télévisées, noyées sous la tempête permanente des réseaux sociaux, naviguant au gré des émotions de l’opinion, les démocraties ne décident plus sous l’angle de la raison, mais sous la passion des sentiments. Une vidéo peut aujourd’hui déclencher une guerre. Il est normal, consubstantiel même aux démocraties, que le sentiment humanitaire soit une part importante de leurs décisions, et ce fut le cas dans les frappes récentes. Mais il est anormal que dans tant d’autres occasions il soit devenu la seule.
Ces paroles peuvent vous paraître étonnantes de la part d’un ancien président de Médecins sans frontières, mais elles sont au contraire logiques. Après avoir passé des années sur les terrains de conflit, les humanitaires ont compris que la confusion des genres entre humanitaire et politique est néfaste pour les deux.