Le politique prend des risques lorsqu’il fait ce que lui enjoint l’humanitaire – ou le philosophe, comme en Libye. Le politique se trompe, à l’inverse, lorsqu’il ne prend pas ses responsabilités et s’en décharge sur les humanitaires : c’est ce qu’on a vu pendant plusieurs années dans les Balkans avant que Clinton n’envoie ses avions et ne convoque à Dayton les protagonistes pour siffler la fin de ce que je n’oserai pas appeler une récréation.
Le politique des pays démocratiques se trompe encore, et ce fut le cas en Syrie, lorsqu’il raisonne en moraliste : le bien d’un côté, le mal de l’autre. Qui peut nous dire aujourd’hui avec le recul que le mal en Syrie n’était que du côté de l’État et le bien du côté de ses adversaires, hélas ! majoritairement djihadistes ?
Enfin, le politique des pays démocratiques se trompe lorsqu’il pense que sa propre histoire est la matrice de l’histoire des autres peuples : le roi tout-puissant ou le dictateur d’un côté, le peuple de l’autre, et que la chute du monarque ou du dictateur va ouvrir l’ère du progrès et de la liberté. Cette erreur explique les espoirs insensés mis dans les printemps arabes et les déceptions tragiques qui en ont résulté. L’histoire de la Syrie, de la Libye, de l’Irak, de l’Égypte et de bien d’autres n’est pas l’histoire de la France de 1789, des États-Unis de 1778 ou de l’Angleterre de la Grande Charte. Ceux qui l’ont cru ont fait payer aux peuples de ces pays un prix très lourd. Et eux-mêmes l’ont payé de lourds revers diplomatiques.
C’est dans ce contexte qu’il va falloir tenter de régler la question essentielle, celle de la transition en Syrie, conformément aux résolutions unanimes de l’ONU.
À ce titre, je salue la déclaration par laquelle le Président de la République a annoncé, dès le lendemain des frappes, que l’urgence est là, et que la France en fera une priorité.
En outre – je le salue également à cet égard –, le Président de la République l’a clairement compris et exprimé : il n’y a pas, en Syrie comme dans tout le Moyen-Orient, le mal d’un côté et le bien de l’autre ; il va donc falloir discuter et négocier en oubliant les préalables et les préconditions. Il est grand temps !
Ce règlement, s’il peut avoir lieu, cette discussion, cette négociation, nous les abordons, d’une certaine manière, en situation de faiblesse, du fait des successions d’erreurs diplomatiques commises en Syrie depuis des années.
Toutefois, nous pouvons également avoir l’espoir que nos interlocuteurs, à la suite de la démonstration des capacités militaires de la coalition, et à condition que cette détermination perdure, comprennent qu’aucune solution n’existera sans un accord général auquel la France et ses alliés doivent être parties prenantes.