Intervention de Hélène Conway-Mouret

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 avril 2018 à 9h35
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république fédérale du nigéria relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Hélène Conway-MouretHélène Conway-Mouret, rapporteure :

Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et le Nigéria relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces. Je dois dire que j'avais certaines interrogations sur cette convention, c'est pourquoi j'ai procédé à l'audition des services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ainsi que du ministère des armées.

La relation bilatérale dans le domaine de la défense est peu développée et peu formalisée. Elle a été relancée à l'occasion du sommet de Paris de mai 2014 après l'enlèvement des 300 lycéennes à Chibok et de la visite du Président Buhari à Paris en 2015, en lien avec la lutte contre le groupe terroriste islamiste Boko Haram. La France a choisi de répondre favorablement à cette demande de coopération militaire parce que, contrairement au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et à l'Allemagne, la France est encore trop peu présente dans ce pays d'Afrique de l'Ouest anglophone situé hors de sa zone traditionnelle d'influence. Le Nigéria est un pays à fort potentiel économique avec lequel la France souhaite dynamiser sa relation bilatérale. D'ailleurs, le Président de la République s'y rendra en juillet prochain. C'est le pays le plus peuplé d'Afrique avec 193 millions d'habitants, la plus grande économie d'Afrique subsaharienne - pourtant entrée en récession - avec un PIB de 406 Mds de dollars en 2016 et notre premier partenaire commercial dans cette zone avec un volume d'échanges de 3,3 Mds€ en 2016. C'est aussi un pays très inégalitaire et fragmenté, confronté à de graves menaces sécuritaires. Dans le nord-est du pays, le Nigéria est activement engagé dans la lutte contre Boko-Haram et participe à la Force multinationale mixte (FMM). Cette force créée en 2015, sous l'impulsion française, rassemble le Tchad, le Cameroun, le Niger et le Bénin, avec le soutien du P3 c'est-à-dire les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France. Même si Boko Haram a perdu de son emprise territoriale et de sa capacité opérationnelle, on compte encore dans cette région 2,3 millions de personnes déplacées, 7,1 millions de personnes en insécurité alimentaire et 20 millions de personnes ayant besoin d'assistance humanitaire auxquels il faut ajouter 20 000 morts depuis 2009. Dans la région du delta du Niger, les conséquences néfastes de l'extraction pétrolière sur l'environnement, les rendements agricoles et la pêche suscitent les revendications des communautés locales et des militants armés s'opposent aux sociétés pétrolières en multipliant les sabotages d'oléoducs. Dans le Golfe de Guinée, le Nigéria fait face à l'insécurité liée à la piraterie maritime : les eaux territoriales et la zone économique exclusive du Nigéria concentrent près de trois quart des attaques. En 2017, 10 prises d'otages de 65 membres d'équipage y ont été perpétrées (chiffres fournis par le Bureau maritime international). La Middle Belt, région centrale du Nigéria, connaît, elle aussi, une recrudescence des affrontements entre, d'une part, les pasteurs peuls musulmans acculés par Boko Haram et poussés par la désertification et, d'autre part, les agriculteurs appartenant à d'autres groupes ethniques majoritairement chrétiens. Dans le sud-est du pays, l'indépendantisme biafrais refait surface près de 50 ans après la guerre du Biafra. Personne n'a oublié les images de ces enfants mourant de faim. Dans ce contexte, les forces armées nigérianes sont essentiellement engagées dans la sécurisation du territoire national. Elles comptent plus de 110 000 hommes dont 88 000 pour l'armée de terre, 8 000 pour la marine dont 1 500 garde-côtes et 9 500 pour l'armée de l'air. Le budget de la défense était de 1,5 Mds USD en 2017, soit 6% du budget fédéral. Lors de son arrivée au pouvoir en 2015, le Président Buhari a entrepris une réforme de l'armée en renouvelant les chefs d'état-major. Il a également pris acte des critiques émises par des ONG et des partenaires internationaux du Nigéria sur les violations des droits de l'homme par les forces armées nigérianes en mettant en place, en août 2017, une commission d'enquête présidentielle chargée d'examiner les allégations faisant état de violations des droits humains perpétrées par des militaires. En février 2016, il a été créé un bureau des droits de l'homme rattaché à l'état-major général, dédié à la formation des cadres et au traitement des plaintes des populations. En décembre 2017, une loi de lutte contre la torture a été promulguée. Ainsi les forces armées prennent davantage en compte la dimension « droit de l'homme », notamment dans leurs opérations dans le Nord-Est du Nigéria, afin de rallier le soutien des populations dans la lutte contre Boko Haram, mais la situation demeure malgré tout contrastée et de nombreuses violations sont encore signalées.

Quelques mots sur l'état de la coopération bilatérale de défense : la coopération structurelle date du second semestre 2016 et reste limitée avec la mise en place de deux coopérants militaires qui ne sont d'ailleurs pas encore complétement intégrés dans l'administration nigériane - l'un au sein du ministère de la défense et l'autre au sein de l'état-major de la marine -.La coopération de défense est principalement centrée sur l'enseignement du français en vue de l'interopérabilité avec les armées des pays voisins, notamment dans le cadre de la Force multinationale mixte et de l'intégration des unités nigérianes dans les opérations de maintien de la paix. La création d'un centre interarmées du français à Abuja a recueilli un accord de principe des autorités du pays. Des places de stages en France (12 en 2017, 10 prévues en 2018) et au sein des écoles nationales à vocation régionale (ENVR) (2 en 2017, 6 prévues en 2018) pour la formation des cadres militaires sont également offertes. Un effort particulier de formation est également fait dans le domaine du renseignement depuis fin 2015, en appui de la lutte contre Boko Haram, avec des stages au Centre de formation et d'interprétation interarmées de l'imagerie de Creil. La sécurité maritime est un autre axe prioritaire avec des formations dispensées en France ou à l'Institut de sécurité maritime interrégional d'Abidjan en Côte d'Ivoire. Quatre exercices et formations délivrées par la mission Corymbe dans le Golfe de Guinée sont prévus en 2018. Par ailleurs, la France organise, depuis 2013, un exercice annuel multilatéral dans le Golfe de Guinée baptisé NEMO (Navy's exercice for maritime operations) auquel la marine nigériane participe systématiquement. La coopération militaire opérationnelle est mise en oeuvre par les Eléments français au Sénégal, pôle opérationnel de coopération pour l'Afrique de l'Ouest, avec 14 détachements d'instruction opérationnelle prévus en 2018. Compte tenu du caractère transfrontalier de la menace terroriste que constitue Boko Haram, il importe de signaler que les forces françaises sont également impliquées dans la région avec une équipe de liaison à Abuja, une cellule de coordination et de liaison pour soutenir la planification des opérations de la Force multinationale mixte adossée à la Force Barkhane à Ndjamena (Tchad) et un appui opérationnel de la Force Barkhane à la Force multinationale mixte.

Voyons maintenant l'accord lui-même : son contenu est très similaire aux accords de défense « nouvelle génération » passés avec d'autres pays africains (les Comores, le Togo, le Sénégal, Djibouti, la Côte d'Ivoire et le Gabon entre 2010 et 2012, la Guinée et le Mali en 2014 et la Jordanie en octobre 2015) depuis 2008, tels que la Guinée et le Mali en 2014 et la Jordanie en octobre 2015. Les relations de coopérations militaires de la France avec le Nigéria s'inscrivent ainsi dans un cadre conforme aux grands axes de la politique internationale française qui soutient notamment la construction d'une défense collective de l'Afrique par les pays africains. Essentiellement centré sur la coopération militaire structurelle et opérationnelle, cet accord ne comporte naturellement pas de clause d'assistance militaire automatique en cas de déstabilisation intérieure ou extérieure du Nigéria. Il comporte essentiellement trois volets. Le premier volet précise les objectifs et les grands principes de la coopération ainsi que les autorités chargés de sa mise en oeuvre, à savoir les ministres de la défense. Les domaines de coopération sont décrits de manière non exhaustive : dialogue stratégique sur les questions de sécurité et de défense, sécurité et sureté maritime dans le Golfe de Guinée, renseignement, coopération opérationnelle et structurelle ainsi que coopération dans le domaine de l'armement. Un premier dialogue stratégique franco-nigérian s'est tenu dans le cadre du Haut Comité de Défense en avril 2016, à Abuja et un deuxième vient d'avoir lieu les 29 et 30 mars 2018, à Paris.

Le deuxième volet, conclu sur la base de la réciprocité, est relatif au statut des coopérants. Il définit notamment les facilités d'entrée et de séjour des coopérants sur le territoire de la Partie qui les accueille, les règles de port de l'uniforme, de permis de conduire, de port d'arme et d'accès aux soins. L'accord établit également les priorités de juridictions applicables en cas d'infractions commises par les membres des forces et garantit le droit à un procès équitable. Le Nigéria n'ayant pas aboli la peine de mort, une clause de substitution automatique de la peine de mort par la peine encourue au moment des faits pour la même infraction dans la législation de la partie d'origine permet d'offrir toutes les garanties requises par la France, en cas de priorité de juridiction de l'Etat nigérian. Cette clause assure une protection satisfaisante de nos ressortissants pour le cas où ils viendraient à faire l'objet d'une demande de remise par les autorités nigérianes pour des faits passibles de la peine de mort, de tortures, de peines ou de traitements inhumains ou dégradants et même indépendamment de toute procédure de remise.

Le troisième volet a trait aux conditions matérielles des activités de coopération. Sont ainsi accordées des facilités pour la circulation aérienne et dans les eaux territoriales, pour la mise en place de systèmes de communication temporaire ainsi que pour le stockage des matériels. Un régime d'exemption de droits de douane pour les matériels importés et réexportés destinés à l'usage exclusif des forces est également prévu.

Enfin, cet accord est conclu pour une durée de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction pour des périodes successives de 5 ans.

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. Cet accord a le mérite de donner un cadre juridique à notre coopération bilatérale en matière de défense et les stipulations relatives au statut des personnels offrent à ceux-ci une vraie sécurité juridique, ce dont les auditions auxquelles j'ai procédées m'ont permis de m'assurer. Cette coopération, outre qu'elle va dans le sens d'une diversification de l'influence de la France en Afrique de l'Ouest, pourrait notamment permettre de soutenir la réforme de l'armée entreprise par le Président Buhari en 2015 et aider à la stabilisation des régions confrontées à des problèmes sécuritaires par des forces armées mieux formées. Enfin, la procédure interne nigériane nécessaire à l'entrée en vigueur est en cours mais n'est pas parvenue à son terme.

L'examen en séance publique est prévu le jeudi 19 avril 2018, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

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