Intervention de Amiral Christophe Prazuck

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 avril 2018 à 9h35
Loi de programmation militaire 2019-2025 — Audition de l'amiral christophe prazuck chef d'état-major de la marine

Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la Marine :

Je débuterai mon propos en évoquant quelques faits opérationnels marquants depuis notre dernière audition. Il y a deux semaines, la frégate Jean de Vienne a saisi 500 kilos d'héroïne en Océan indien après avoir intercepté, quelques semaines auparavant, 4 tonnes de cannabis. Dans l'Océan Pacifique, la frégate Vendémiaire a effectué le passage dans les Spratleys et s'est fait marquer par une frégate chinoise de façon continue entre Hong Kong et Brunei. Je constate chez nos amis britanniques une volonté de réorienter des missions navales plus fréquentes dans cette zone, y compris au détriment d'autres théâtres traditionnels. Dans cette zone, est régulièrement déployée la mission Jeanne d'Arc, constituée par le Dixmude et le Surcouf, qui ont appareillé le 26 février dernier. Le Tonnerre et le Chevalier Paul ont terminé leur déploiement « Bois Belleau 100 » avec l'US Navy par un exercice conjoint impliquant également la Marine égyptienne. En deux mois, nous aurons ainsi coopéré avec les pays du Golfe, l'Inde et l'Égypte. En Méditerranée orientale, une frégate française patrouille depuis 2015 au large de la Syrie ; zone dans laquelle le niveau de tension est élevé ces dernières semaines. La Marine est aussi présente dans le Golfe de Guinée, avec un patrouilleur de haute mer (PHM) et y a organisé, en février dernier, l'exercice « African Nemo », puis, avec l'US Navy, l'exercice « Obangame Express » en mars dernier. En février, aux Antilles, le patrouilleur léger guyanais (PLG) la Confiance - dont un troisième du type vient d'être commandé - a intercepté 200 kilogrammes de cannabis avant que le PLG La Résolue n'intercepte des pêcheurs brésiliens qui pêchaient, de façon irrégulière, dans les eaux guyanaises.

En outre, dans le cadre de la remontée en puissance du Charles de Gaulle, 12 Rafale, un Hawkeye, et 350 marins sont déployés aux États-Unis, près de Norfolk, du 5 avril au 18 mai 2018 ; ces derniers devraient également s'entraîner par la suite à bord du porte-avions George HW Bush dont l'US Navy nous fait bénéficier pendant dix jours, pour conduire nos exercices d'appontage.

Telle est l'actualité, alors que nous sortons de la revue stratégique dont je vous avais présenté les conclusions au moment de la discussion budgétaire. La LPM est désormais le sujet de notre rencontre.

Les défis de la Marine sont de quatre ordres. Premièrement, le retour des rhétoriques de puissance, en particulier en mer, qui sont le fait de puissances ré-émergentes, comme la Chine ou la Russie. Ainsi, La Chine construit en quatre ans l'équivalent de la Marine française et la Russie a multiplié par 1,5 le nombre de ses sous-marins. La posture navale et stratégique de ces pays a donc changé depuis ces dernières années.

Le deuxième défi concerne le foisonnement technologique impliquant la remise en question des technologies de notre actuel outil militaire. Ainsi, le big data, l'intelligence artificielle ou encore l'emploi de nouveaux vecteurs hyper-véloces nous obligent à ouvrir de nouveaux chantiers pour assurer l'adaptation de nos moyens à ce nouveau contexte.

Le troisième défi concerne le nomadisme des crises et du terrorisme militarisé. Daech se trouve à la fois en Afghanistan et dans le Sinaï et des cellules de terrorisme radicalisé apparaissent en Asie du Sud Est, tandis que prolifère le trafic des armes de haute technologie, comme les missiles antinavires désormais détenus par des groupes non-étatiques au Yémen, au Sinaï ou en Méditerranée orientale. Ce nomadisme des crises est rendu plus complexe encore par l'évolution du niveau technique des armements.

Enfin, le quatrième défi concerne l'affaiblissement de l'ordre international qui s'exprime particulièrement en mer, comme l'illustre la remise en cause du droit maritime international en Mer de Chine méridionale.

La France est concernée par ces bouleversements, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations-Unies, membre fondateur de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord et de l'Union européenne, ainsi qu'au titre de son espace maritime, qui est le deuxième mondial. Cette loi de programmation entend donc contribuer au renouveau de la Marine, selon quatre axes distincts.

Le premier axe concerne les ressources humaines, qui représentent un enjeu existentiel pour la Marine. Certaines marines européennes souffrent d'un déficit en ressources humaines au point que parfois, leurs bâtiments ne peuvent pas appareiller, faute d'équipages suffisants. Faute d'équipage, un bâtiment, fût-il de dernière génération avec l'équipement le plus sophistiqué possible, ne sert à rien ! La LPM annonce, d'une part, des travaux sur une nouvelle politique de rémunération des militaires et la mise en oeuvre d'un plan familles. Elle entend, d'autre part, contribuer à la fidélisation des compétences. Renforcer l'attractivité de notre armée et fidéliser les compétences des marins expérimentés, mais également préserver la jeunesse des équipages : la moyenne d'âge des marins embarqués sur les sous-marins nucléaires français n'est que de 29 ans.

Le deuxième axe de la LPM prévoit le renouvellement des équipements et s'attaque aux ruptures capacitaires. J'attends six patrouilleurs pour l'outre-mer d'ici 2024, là où la précédente loi de programmation militaire n'en prévoyait que deux. J'attends dix patrouilleurs de haute mer, destinés à remplacer les avisos A69 ; la précédente LPM n'en prévoyait que deux en 2025. La LPM prévoit une dotation de quatre pétroliers ravitailleurs, dont deux livrés avant 2025, alors que la précédente LPM n'en prévoyait que trois en tout. Cette augmentation est également qualitative, puisque ces nouveaux pétroliers seront à double coque et ainsi en phase avec les normes internationales. Les hélicoptères Alouettes 3, vont être mis au rebut. Avant que l'hélicoptère interarmées léger (HIL) n'arrive, une flotte intérimaire d'hélicoptères de la gamme civile sera louée. Je suis extrêmement satisfait de cette solution de transition.

Enfin, la LPM ne change pas le rythme de commandes et de livraisons des programmes FREMM et FTI. Tandis que les précédentes LPM étalaient les programmes majeurs la prochaine LPM mobilise les moyens nécessaires pour doter, à l'horizon 2030, notre flotte de 15 frégates de premier rang, soit deux frégates de défense anti-aérienne (FDA), 8 FREMM et 5 FTI. Le maintien de ce calendrier est, pour moi, une excellente nouvelle. Nous passerons également de 15 à 18 avions de surveillance maritime (ATL2) rénovés et recevrons 6 sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) Barracuda, dont 4 seront livrés avant 2025. Les forces spéciales navales seront également équipées de propulseurs sous-marins de troisième génération et d'Ecume.

L'autonomie stratégique constitue le troisième axe de la LPM. Au début de l'automne, nous célébrerons la cinq-centième patrouille d'un sous-marin nucléaire lanceur d'engins. En effet, depuis le 20 janvier 1972, il y a toujours eu au moins un sous-marin français de ce type en patrouille. L'invulnérabilité de ces sous-marins passe par leur qualité acoustique : pour qu'ils demeurent indétectables, il faut les moderniser. C'est la raison pour laquelle seront lancés, dès 2020, les travaux de réalisation de la prochaine génération de SNLE qui seront mis en service durant les années 2030. Outre notre autonomie stratégique, la revue stratégique a évalué notre capacité à entraîner des alliés dans des coalitions, autour de capacités discriminantes, qu'il s'agisse de capacités spécifiques de commandement ou de renseignement autonome. Dans ce mécanisme de l'agrégation de volontés politiques, et pour ce qui est de la marine, les sous-marins nucléaires, les missiles de croisière ou encore le porte-avions ont été identifiés comme autant de capacités discriminantes. C'est pourquoi la LPM annonce les études préalables au renouvellement du Charles de Gaulle.

Enfin, le quatrième axe de la LPM est l'innovation. Nos compétiteurs, voire nos adversaires, ont su tirer parti des dernières innovations technologiques, tandis que la marine manque parfois d'agilité dans ces domaines. Les innovations de terrain, comme celles portées par les forces spéciales navales, doivent être mises en cohérence avec l'innovation de plus long terme, qui relève de nos capacités industrielle s et scientifiques.

Cette LPM est très clairement utile à la remontée en puissance de la Marine. Dès qu'elle sera promulguée, j'établirai un plan stratégique que je vous présenterai à l'automne, lors de la discussion budgétaire pour l'année 2019. Ce plan stratégique devra consolider ce que nous sommes : une marine d'emploi, qui navigue et remporte des succès opérationnels, tout en se modernisant et bénéficiant d'un soutien national et international. En outre, je veux préparer la Marine au combat de haute intensité, qui me semble de plus en plus probable à l'échéance de 2030, et assurer son caractère de pointe, afin de conserver sa supériorité grâce aux évolutions technologiques. Enfin, la question des ressources humaines, cruciale pour garantir l'attractivité de la Marine et y attirer les compétences nécessaires, sera fondamentale dans ce plan stratégique.

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